CXLVIII. Barbecue & Menteurs

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Il me lâcha aussitôt.

Daud apparut au même moment, supprimant de sa seule présence l'étrange atmosphère qui s'était installée. Elle tenait dans ses mains une petit boîte métallique.

Vous êétéss à Den Røde Månen c'est bién qua ?

Je hochai la tête silencieusement. Je doutais qu'il y ait d'autres écoles dans les environs que celle de télépathie.

Elle enchaîna avec entrain :

Folmidable ! J'ai iustement ichi une fibule en folme de lune louche !

Mon petit doigt me disait qu'elle simulait la surprise chaque année et que Nikolas et moi n'étions pas les premiers à subir sa fashion frénésie... et même qu'elle avait en réalité un carton entier de broches en forme de lune rouge.

Pendant que la bonne femme accrochait ladite fibule et Nikolas ses lacets, je portai discrètement la main à mon cou.

Le collier me semblait plus chaud qu'une météorite embrasée, il irradiait et me brûlait si fort que j'en étais étonnée que Daud ne l'ait pas remarqué. Pourtant, paradoxalement, et ce malgré sa puissance, la sensation tenace de brûlure était supportable.

J'avais l'impression que la pierre était une écharde de feu qui pouvait à tout instant traverser ma peau pour se substituer à mon cœur, et embraser mon sang et tout mon être. À cette pensée, je soulevai le pendentif afin de me rendre compte des dégâts sur ma peau.

Je fus très surprise de voir qu'il n'en était rien : aucune marque, pas même une rougeur, nada.

Je tournai entre mes doigts ce petit objet décidément très mystérieux. La pierre était d'un rouge vermillon et de fines fissures plus foncées s'entrelaçaient en désordre sur toute sa surface comme des veines.

Quand Daud eut terminé d'ajuster le moindre pli de la robe, elle recula d'un pas, m'observa des pieds à la tête et eut un petit sourire satisfait. Elle saisit la petite boîte et partit la ranger.

Je poussai alors un soupir de soulagement en jetant la tête en arrière.

Elle est impossible, souffla désespérément Nikolas derrière moi, en réponse à mon silence tout aussi désespéré.

Assis sur un pouf, il avait achevé de nouer ses lacets. Il passa nonchalamment une main dans ses cheveux ébène. Je surpris un sourire malicieux sur ses lèvres.

Fuyons, fis-je sur le même ton.

Il me tendit théâtralement la main. Je la saisis en me retenant de rire et lui lançai une délicate pique :

Vous êtes magnifique mon cher... si nous ne disons pas cela à notre geôlière elle ne...

Reconnaissant ses propres mots, il se leva brusquement, coupant court ma phrase. Une lueur indéfinissable dansait dans ses yeux. Je répétai, assassine :

Vraiment, magnifique, sublime ...

Cette fois ce fut Daud qui m'interrompit :

Mâ mignonne, lès saouliers sont danss une boîite crèmé dellière la cabiné d'esséyége.

A contre-cœur, je dû cesser de tourmenter Nikolas, lâchant sa main, je partis chercher les souliers. Lorsque je me fus éloignée de quelques pas, Daud, pensant certainement être hors de portée de mes oreilles, proposa toute excitée à Nikolas de nous prendre en photo, magnifiques que nous étions.

Elle avait dû surprendre la fin de notre conversation.

Maiis si, maiis si, divant lé lideau, là, cé sela palfaite en costume et lobe... argumentait-elle.

Devant le silence de Nikolas, la bonne femme se crut obligée de préciser :

Voyonss, une photo dé votle elsker et vous sera un ioli souvenil !

Merci, mais...

— C'est qué vous né vous tlouvez pas beau ou photoguénique ? Je vous assulé que ce n'este pas le casss, le rassura-t-elle.

Je pouffai à ces derniers mots, qu'on ne pouvait plus sincères.

Merci, c'est... tenta de nouveau Nikolas.

— Je vous lé faiiss glatuitemente, vous m'êtéss sympathiques, coupa Daud.

Ayant trouvé et mis les chaussures, je glissai un regard à la vendeuse. Elle tenait un vieux polaroid et tapotait l'épaule de Nikolas.

A mon grand étonnement, il céda.

Si c'est gratuit...

« Comme si l'argent était un problème », pensai-je en les rejoignant.

L'entremetteuse nous poussa contre les rideaux de velours de la cabine d'essayage avec un air satisfait et s'accroupit devant nous plus loin, calant le petit appareil sur son nez.

Vous êtésss magnifiquoues, commenta-t-elle.

Je lançai un regard en diagonale à Nikolas à ce dernier mot. Celui-ci tourna brusquement la tête dans ma direction. Il avait parfaitement compris. Il esquissa un sourire malicieux et murmura :

Si tu le permets Selena, pour la photo...

Et il enlaça ma taille. Mon cœur rata un battement, ce qui attisa mon barbecue portatif. Mais sans me laisser déstabiliser je glissai à mon tour mon bras autour de sa taille.

Bien sûr, il faut que la photo soit magnifique, répondis-je.

Son sourire s'élargit alors que je riais.

Son regard était indéchiffrable comme toujours, mais sa main se crispant sur ma hanche m'assurait qu'il était tout aussi troublé que moi.

Quels mauvais menteurs étions-nous...

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now