CLXXI. Un Verre D'Espoir

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Cela faisait une bonne heure que j'étais assise au bord de mon lit, premier et seul geste que j'avais fait en arrivant dans ma chambre. Je ne m'étais pas changée et j'étais encore entièrement habillée. Je n'avais – pour dire – même pas retiré mes gants.

Je n'avais plus cette impression de suffocation et de trop-plein dû au choc des mots de Nikolas. Son nom brûlait mes lèvres et de penser à lui me serrait le cœur, mais les ténèbres qui menaçaient de me noyer s'étaient diluées.

J'avais mal, mais je ne réalisai pas tout à fait. Tout s'embrouillait dans mon esprit. Jamais Nikolas n'avait semblé me détester à ce point, au point d'être aussi cruel. Il s'était laissé aimer. Je ne voulais pas encore penser qu'il n'avait aucune affection pour moi. C'était allé trop vite pour que je le réalise encore.

Peut-être était-ce juste sa manière à lui de voir si je l'aimais vraiment ? Une sorte de test ? Mon esprit échafaudait désespérément des hypothèses farfelues qui s'éloignaient de son caractère tant il refusait la possibilité que Nikolas ait pensé ce qu'il avait dit.

Il me haïssait. J'en étais sûre, on n'est aussi cruel qu'avec les personne qu'on haït. Mais comme on dit, il n'y a qu'un pas entre l'amour et la haine ? Je ne pouvais me résoudre à accepter qu'il ne m'aime pas au moins un peu. Je n'exigeai rien, seulement de l'amitié. Qu'il me supporte.

Ridicule.

Il fallait que je le revoie. S'il me haïssait vraiment sans m'aimer, il me planterait de nouveau des couteaux dans le cœur mais si ce n'était pas le cas... Rien que par espoir pour cette deuxième possibilité, il fallait que le revoie.

Je jetai mes gants sur la commode, remplaçai mes souliers par des chaussures plus confortables et sortit en trombe de ma chambre. Je n'avais pas été très attentive à ce qui se passait autour de moi pendant le Bal mais je savais que ce soir était la seule soirée de l'année où les professeurs, ne surveillant plus que chacun aille dans son dortoir, permettait une sorte d'after entre les élèves.

Aussi, je décidai sans trop de crainte d'aller dans le dortoir des garçons, là où s'étaient rassemblé la plupart des élèves. Je dévalai les escaliers en m'accrochant à la rampe, prenant garde à ne pas utiliser de télékinésie, les caméras étant partout hors des chambres. Je ne pris pas le temps de mettre une cape et poussai la porte de rez-de-chaussée d'un grand coup, profitant de l'élan de trois étages. Je regrettai quelque peu ma précipitation en passant devant le réfectoire et la bibliothèque, sentant le tissu de ma robe s'alourdir au contact des flocons de neige fondus.

Qu'à cela ne tienne, personne n'était à cette heure dehors, je me permis donc de prendre d'une main ma traîne, et serrant les dents à l'étreinte glacée du froid autour de mes jambes ainsi découvertes, je courus de plus belle.

Essoufflée, j'époussetai ma robe dans l'entrée du dortoir des garçons, sous le regard offusqué d'un couple que j'avais apparemment dérangé. Levant les yeux au ciel, je les dépassai sans plus un regard et, après m'être essuyé sommairement les pieds sur le tapis, montai l'escalier.

Je me stoppai sur le palier du deuxième étage, réalisant que je ne connaissais pas le numéro de la chambre de Nikolas. Alors que je me traitais d'imbécile mentalement, j'entendis une voix qui me sembla familière. Une voix aux accents italiens, quelque peu éraillée par un très probable abus d'alcool.

Sortant de la semi-pénombre dans laquelle était plongé le couloir, je vis apparaître Cazimir, une bouteille à la main. Il s'effondra à côté de moi, s'affalant sur la rampe sur les coudes. Il empestait mais je supportai sa présence. Il me semblait qu'il lui restait encore une petite étincelle de vie.

Je remarquai que sa bouteille était encore aux trois-quarts pleine. Je lui retirai, profitant du fait qu'il regarde d'un air émerveillé le plafond pendant un instant et la dissimulai sous une cape noire qui traînait sur le sol. Puis, je m'assis à mon tour et attendis qu'il reprenne contact avec la réalité.

Son regard hagard dévia finalement vers moi et il sembla s'apercevoir de ma présence puisqu'il articula :

Salut... ma belle...

Je retins un grimacement de dégoût aux relents d'alcool qui me parvinrent quand il ouvrit la bouche. Il toussota et je me reculai vivement, croyant qu'il allait vomir mais ce ne fut pas le cas.

Poussant un long soupir, il passa sa main dans ses cheveux blond vénitien pour se recoiffer – geste qui pour une fois était justifié – et vira son regard dans le mien. Le jaune si étrangement pâle de ses yeux n'était plus aussi éteint que tout à l'heure. Au son de sa voix, je compris qu'il avait récupéré quelques fonctions cognitives. Grand bien lui fasse.

T'es venue avec Zella ? Tu fais quoi ici ?

Eludant la première question, je me levai en répondant :

Je cherchais Chokola, il était censé m'apporter un verre. D'eau.

Il sourit en s'accrochant à la rambarde pour se mettre debout.

No problemo ma belle, je vais te le trouver.

Si la construction de ce bâtiment était identique à celle du dortoir des filles – ce dont j'avais l'impression – nous nous trouvions à l'étage des Nyfødts. Cazimir me fit signe de le suivre et emprunta le couloir par lequel il était venu.

A la quasi-extrémité du couloir, il s'arrêta devant une porte portant le numéro 394 et se retourna vers moi, attendant mes directives.

Il était là, derrière cette porte et tout à coup je ne savais plus ce que j'étais venue faire ici. Si. Le voir. Seulement le voir, rien d'autre. Je ne lui parlerai pas. Juste, me prouver à moi-même que ce qu'il m'avait dit était réel.

Kafée ?

Sans regarder Cazimir, je lui lançai résolument :

Toque et demande un verre d'eau, mais sans dire mon nom.

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now