CXLVI. Cravate & Homicide Désiré

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Que puis-je faire pour vous Mademoiselle ? demanda-t-elle dans un anglais parfait.

Je parcourus du regard le mur derrière elle. Il y avait tant de choses qu'il me serait impossible de tout examiner. Et puis je n'avais pas d'idée pour la décoration.

Je cherche une cravate violette et quelque chose d'original à accrocher sur un sapin.

Elle poussa un portillon de bois et s'avança dans le rai de lumière blanche que formait sur le sol une ampoule suspendue à l'extérieur. Elle ferma le loquet du portillon-quoique je doute que ce soit nécessaire, étant donné que la zone s'auto-sécurisait par son désordre en bazar- puis leva la tête vers moi. Son sourire étirait harmonieusement les traits de son visage et formait de petites ridules autour de ses yeux, ces derniers d'une étonnante teinte grise aux reflets émeraude.

La cravate est pour votre elsker ? s'enquit-elle.

elsker... ? répétai-je, interrogative.

Elle désigna Nikolas.

La cravate est pour lui ?

Comprenant enfin, je hochai la tête.

Oui c'est ça. (Et j'ajoutai non sans malice) Il raffole du violet.

Je la suivis entre deux rayonnages. Elle monta sur un petit escabeau, souleva un tissu de velours rouge qui recouvrait un petit panier posé en haut d'une armoire, qu'elle attrapa. La corbeille contenait de petits rubans de toutes les couleurs, des nœuds papillons à motifs variés et des cravates.

Voici, fit-elle en me tendant une jolie cravate satinée parfaitement violette.

Puis elle retourna derrière son comptoir. Je la remerciai et continuai de chercher des choses intéressantes.

Alors que j'inspectais une charmante poupée de porcelaine vêtue d'une robe bleu marine, je m'aperçus que ce suis quoi elle avait été installée était un petit dictionnaire norvégien-anglais. Cela tombait à point. Je le feuilletai, curieuse.

elsker : (l') amoureux

No comment.

mørke : (les) ténèbres

« Trist mørke » avait dit le vieil homme. « Tristes ténèbres » ? Était-ce une menace, une mise en garde ou un signe de démence ? Un certain regard bleu pas franchement sympathique avait plutôt tendance à me faire pencher pour la première hypothèse.

Un frisson me parcourut le corps. Cette mauvaise sensation n'allait pas me gâcher cette journée tout de même ! Je rendis son siège à la poupée.

Nikolas avait quitté le coin poupées et broches pour celui où je me trouvais quelques instants plus tôt, celui des pendules. Il était absorbé dans la contemplation du mécanisme complexe d'une minuscule horloge.

J'esquissai un petit sourire. Je venais d'avoir une idée brillante.

Il me tournait le dos. Je m'approchai de lui sans bruit tout en nouant la cravate dans mes mains. Puis, j'agrandis la boucle et levai les bras au-dessus de sa tête pour l'y faire passer. Malgré toutes mes précautions de délicatesse, il se retourna brusquement.

J'évitai soigneusement son regard tout en finissant de passer l'accessoire autour de son cou. Il posa promptement la petite horloge et immobilisa mes mains.

Ca m'a tout l'air d'être une tentative d'assassinat déguisée, fit-il, faussement indigné.

Je rétorquai sur le même ton :

Comment ça ? Je n'ai même pas encore serré le nœud !

Selena, murmura-t-il.

Je levai les yeux vers lui à l'entente de mon prénom. Son œil brilla. Apparemment c'était la réaction qu'il escomptait.

Je ne savais pas que cette cravate m'était destinée, fit-il malicieusement.

J'eus un arrêt. Ce qu'il sous-entendait... je ne voulais pas lui montrer que j'avais compris.

Destinée ? Voyons, à qui d'autre... pourrais-je montrer mes talents artistiques ?

Il eut un sourire en coin. Mes yeux s'attardèrent un moment sur ses lèvres. Quand je les relevai, son regard ne m'avait pas lâchée. Confuse, je tentai de le déstabiliser :

Je veux bien reconnaître une tentative d'homicide, mais est-ce le cas quand la victime ne se défend pas ? chuchotai-je.

L'onde noire de son œil se troubla. Touché. Avec un s. Durant un instant, nous ne dîmes rien, ne fîmes rien.

Un bruit dans la boutique me fit soudain prendre conscience de notre proximité. Il lâcha mes mains aussitôt.

Espérant que la propriétaire de la boutique ne nous ait pas vus, n'ayant pas une envie folle de connaître d'autres mots du champ lexical de elsker, je dénouai rapidement le tissu violet et allai payer. Je sentis le regard de Nikolas dans mon dos jusqu'à ce qu'il ait refermé la porte de la boutique sur lui.

La vieille dame me sourit quand je lui donnai l'accessoire. Elle chercha derrière elle un petit sac en me demandant si je voulais que je l'emballe. Je lui répondis que ce n'était pas nécessaire tout en promenant mon regard sur les magnifiques broches disposées devant moi.

Mon cœur rata un battement lorsque mon regard glissa sur l'une d'elle. Je la saisis.

Grande comme la moitié de ma paume, cette broche était de loin la plus jolie de toutes. Elle était sertie de pierres d'un rouge profond et de gemmes si noires que la lumière ne passait plus à travers. Des filaments d'argent s'entrelaçaient autour d'elles, s'entortillant comme des serpents.

C'est offert, dit la vieille dame en me tendant le petit sac contenant la cravate.

Alors que j'allais la remercier, elle baissa les yeux sur la broche que je tenais et ajouta, une lueur passant dans ses yeux gris :

Vous pouvez aussi emporter l'anémone.

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now