CLXVII. Une Coquette Inutile Contre Un Fripon

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Ma robe avait une traîne mais mes talons n'étaient pas très hauts, ce qui me permettait d'envisager de descendre l'escalier sans trop d'inquiétude. J'avais un équilibre déplorable que l'entraînement de Nikolas était à peine parvenu à placer au niveau « normal », et ceci avec l'aide récurrente de la télékinésie.

Mais ce petit problème technique n'entacha pas mon enthousiasme et je me penchai au-dessus de la rampe de bois sculpté pour considérer avec confiance les trois étages qui me séparaient du rez-de chaussée. Je commençai à descendre l'escalier en spirale en prêtant bien attention au bois ciré dont il était conçu, assez glissant, m'accrochant d'une main ferme à la rampe sous le regard noble des tableaux d'inconnus suspendues aux tapisseries.

Devant la porte, un petit troupeau de robes colorées piaillait dans tous les sens, dans l'excitation des derniers préparatifs. L'une recoiffait l'autre pendant qu'une autre criait à son chien d'aller chercher quelque chose. Je remarquai alors que certaines, prêtes, enfilaient la même longue cape blanche avec un col de fourrure, chacune les avait visiblement prises sur le porte-manteau assigné à sa chambre. Je n'avais jamais vraiment utilisé mon crochet, préférant tout centraliser dans ma chambre.

Je parcourus du regard la longue rangée de petits écriteaux de numéro de chambre, trouvai celui sur lequel était inscrit le nombre 397, posai la cape immaculée sur mes épaules nues et sortis dans le froid et la neige.

J'eus – bien malgré moi – le souffle coupé d'admiration devant la Salle de Bal, métamorphosée. De longues tables revêtue de nappes blanches avaient été disposées du côté où il n'y avait pas de feu*. Celui-ci, projetant des lueurs rouges et bleues féroces sur les lustres, faisait briller le cristal des verres. Au crépitement des braises et au brouhaha environnant s'ajoutait des musiques galantes jouées par un quatuor venu pour l'occasion, installé au-dessous d'une colonne, au milieu de la pièce. Des guirlandes lourdement chargées de boules rouges et vertes et des pommes de pin traditionnelles étaient suspendues entre les colonnes et s'enroulaient comme des serpents autour de chacune d'elle.

Mais la plus spectaculaire – et démesurée – chose de cette salle était le sapin. L'arbre de Noël croulait sous la multitude des décorations hétéroclites, des guirlandes brillantes et des boules étincelantes. J'abandonnai rapidement la recherche de ma broche anémone mais notai avec plaisir la présence de petits nœuds de satin rouge entre deux décorations.

Des odeurs de riz, de brioche et de cannelle flottaient dans l'air et j'aperçus de la fumée s'échappant de soupières déjà entreposées sur les tables entre bougies et guirlandes.

Raaah mais dépêche-toi, je ne vais pas pouvoir m'asseoir près de lui !

Je connaissais cette voix. Je me retournai pour voir Ophélia qui – quel étonnement – criait sur Arora. Ophélia avait tressé ses longs cheveux bruns autour de sa tête et y avait glissé un diadème de métal sur lequel étaient fixées de petites boules jaunes. Sa robe, de la même couleur, tombait jusqu'au sol, s'évasant sur le devant. Elle portait la parure associée au diadème et un châle foncé aux motifs tortillés couvrait ses épaules dénudées. Quant à Arora (qui arrivait justement en trottinant) elle n'avait pas la prétention de surpasser ou même d'égaler la jeune fille, non, elle restait bien à sa place de chien et portait une robe beige droite, cintrée sous la poitrine et un simple collier de perles blanches autour du cou. L'incarnation de l'innocence. Elle ne risquait pas de faire de l'ombre à son maître, si c'était ce que craignait ce dernier.

Je posai ma main sur le bras d'Ophélia. Elle sursauta à mon contact mais lorsqu'elle me reconnut, son visage, précédemment laidement déformé par la colère, se détendit.

Kafée !

Elle me détailla rapidement et poursuivit :

Voici une très jolie robe et très bien portée ! Le Noël à Røde Månen te plaît pour le moment ?

La Salle de Bal est magnifique, tout ici est démesuré. Dis, je cherche Chokola, est-ce que... par hasard... ?

Ophélia eut un petit sourire coquet, probablement flattée que quelqu'un lui demande son aide. Elle passa sa main derrière son oreille, rajustant une mèche rebelle. Afin d'accélérer sa réaction en la prenant par les sentiments, j'insistai, un ton plus haut :

Il a été insupportable ces derniers temps, il ne sait plus où est sa place...

Evidemment, elle bondit aussitôt et surenchérit :

Exactement pareil de mon côté ! Elle est intenable et indisciplinée au possible !

Je le cherche donc depuis quelques minutes car il est en retard sur l'heure de rendez-vous que j'avais fixée. L'aurais-tu croisé par hasard, ce... fripon ?

Ses épaules s'affaissèrent d'un geste compatissant.

Je suis désolée mais non... (elle regarda derrière moi) Oh il faut commencer à s'asseoir, bonne soirée !

Et disparut entre deux robes au grand désespoir d'Arora qui sautillait pour la retrouver parmi la masse d'élèves qui s'amassait de plus en plus autour des tables.

C'était mon moment ou jamais de repérer Nikolas. Je me rapprochai d'une table sur laquelle était disposé un dessus de table couleur bois. Très certainement la table des Nyfødt. Lorsque je remarquai de petits écriteaux nominatifs posés à côté des verres, mon sourire s'élargit. Cela serait une question de temps que de retrouver celui où était inscrit « Chokola Falsi ».

Je débutai mon inspection méthodiquement par l'extrémité de cette première tablée. J'avais beau me hâter, les élèves qui tiraient les chaises et s'asseyaient me gênaient.

Ces élèves qui... ne s'asseyaient pas du tout à leur place attitrée ! notai-je devant un trio de garçons qui s'asseyaient respectivement aux places de Lupe Rivertree, Lucinda Sublinne et Lisha Rod.

Nikolas pouvait donc être assis n'importe où. Qu'à cela ne tienne, ma détermination ne s'amenuisait pas d'un quota, je chercherai donc parmi les places assises. Toutes.

Tu...

Oui, je me faisais un peu peur à moi-même aussi.

Mais je fus définitivement stoppée par le crépitement d'un micro. Au vu du mouvement vers les tables qui s'accélérait tout coup, j'en déduisis que c'était quelqu'un d'important qui allait s'exprimer.

Asseyez-vous, je vous prie, prononça une voix grave et chaleureuse.

Avant que ma traîne ne soit sauvagement piétinée dans la trajectoire d'un balourd en costume qui marchait un peu trop vite à mon goût, je passai au milieu de deux tourtereaux qui se faisaient les yeux doux, manquai de faire faire une culbute à un serveur et m'assis sur le premier siège venu.

*juleeldsmæle :une tradition en Norvège est d'allumer un grand feu dans l'âtre

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now