CXXXVII. Prends Garde A Toi

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Leur discussion, sur un sujet peu intéressant, n'était pourtant à aucun moment coupée de brefs instants de silences, pourtant naturels dans une conversation normale. C'en était presque à se demander s'il ne le faisait pas exprès.

Quoique je ne me posais plus vraiment la question.

De temps à autres, il me jetait un regard, comme on le ferait pour vérifier une présence. Par pure provocation, je me mis à effleurer la pierre de mes doigts.

Son œil fut immédiatement attiré par le joyau rougeâtre grossièrement taillé. Comprenant qu'il s'était trahi, il remonta son regard vers le mien.

Je ne pus retenir un infime sursaut.

Je ne lui avais jamais vu cette expression. Dans l'onyx de son œil se mélangeaient avec violence des émotions contradictoires : incrédibilité, colère, effroi, doute, surprise... et d'autres encore que je ne parvenais à identifier.

Pour la première fois depuis que je le connaissais, son regard n'était pas volontairement indéchiffrable ; pour la première fois, il me livrait les émois de son âme par leurs reflets dans son œil. J'étais sidérée. Pourquoi maintenant ? Pour quelle raison était-il si troublé qu'il m'en livrait -consciemment ou pas- ce qu'il ressentait, vraiment ?

Constatant mon expression -assez légitime- de surprise, il me lâcha du regard pour répondre à Kathryx, qui n'avait rien remarqué de ce qui venait de se passer.

***

Toutes les tables de la salle de Mme Sandor avaient été poussées près des murs pendant que nous étions tous partis nous changer en sport. Les Barn nous avaient rejoints pour ce cours spécial.

Mme Sandor finit par arriver, accompagnée par une femme dans la trentaine, ladite professeure en sports de combat. Cette dernière possédait une silhouette athlétique sculptée par son art, et une taille plutôt moyenne quand on considérait son apparente appartenance slave. Elle avait les traits du visage marqués encadrés de courts cheveux blonds, deux orbes bleu persan sous une arcade sourcilière affirmée, et une cicatrice qui barrait sa joue gauche.

Ce portrait un peu sévère fut tout de suite démenti par le grand sourire qu'elle nous adressa quand elle nous aperçut, tous, à l'attendre sagement.

Elle s'avança, posa un gros sac devant le bureau de Mme Sandor, et se retourna vers nous.

Bonjour à tous ! commença-t-elle dans un anglais parfait, je suis Ania, j'espère que nous allons bien nous entendre.

Mme Sandor, restée près de la porte, sourit légèrement. Je frissonnai.

Elle prit un air plus sérieux pour continuer :

J'ai accepté de venir dans cette école surnaturelle, et j'ai accepté de me faire effacer les souvenirs concernant les choses magiques, mais je ne veux rien savoir de plus à propos de ce que vous apprenez ici. Je ne vous enseignerai que des arts martiaux naturels. (et en souriant) Je compte sur vous tous.

Nous hochâmes la tête en silence, quelque peu intimidés par la présence de Mme Sandor, et de mon côté en plus, surprise de découvrir qu'on pouvait modifier la mémoire à l'aide de la télépathie.

D'un mouvement leste, elle saisit des petits paquets dans son sac. C'étaient des bandes de maintien, utilisées notamment en boxe pour maintenir tous les tendons, os et ligaments de la main, protéger la peau lors de l'impact et... absorber la sueur quand on les portait avec des gants.

C'est ce qu'elle nous expliqua on nous montrant comment les mettre.

J'observais avec amusement mes camarades peiner à les poser à plat sur leur main dominante. Ce geste m'avait été journalier pendant plusieurs semaines.

Cette pensée me rappela que je devais faire particulièrement attention à ne pas me trahir en sachant trop bien me battre : car, bien que je perde à chaque fois face à Nikolas, j'étais toujours plus forte que la moyenne des élèves ici présents. J'avais même envie de penser que j'étais sur le podium, tant j'avais passé de temps à m'entraîner sous la tutelle d'un certain exigeant professeur.

Quand nous fûmes prêts, elle demanda à un garçon de le rejoindre. Chouette, un cobaye qui allait se faire mettre à terre pour la première fois de sa vie.

Nous allons commencer par des rudiments de boxe française, qui mobilise les poings et les pieds. Crochet, uppercut, direct, chassé, fouetté... seront des termes qui auront du sens pour vous à la fin de cette après-midi.

Elle saisit par les épaules notre camarade pour le placer en face d'elle. Celui-ci se laissa faire sans broncher, en galant homme.

Elle se mit en garde et fit rapidement quelques enchaînements efficaces. Aussitôt son vis-à-vis leva instinctivement les bras devant son visage et fit un pas en arrière.

Devant son air vexé, elle rit.

Voilà la première chose que vous allez apprendre : la garde.

Elle nous montra comment positionner nos bras et nos mains, puis décomposa les différents coups de poing de la boxe française.

Nous nous mîmes par deux et répétâmes les gestes lentement tandis qu'elle passait entre les duos ajuster nos mouvements.

Selena - Les Lunes JumellesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora