1- Prologue

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Tous les hommes politiques en activité n'ont qu'une seule obsession, être réélu. Mon père ne faisait pas partie de l'exception. Au moment de se lancer dans ce monde véreux, il y a maintenant quinze ans de cela, je n'imaginais pas que ma vie serait liée irrémédiablement à la sienne et ce, même après ma majorité.

Dans les familles ordinaires, le passage à l'âge adulte des 19 ans* entraîne la recherche d'un emploi fixe pour permettre d'envisager une vie de famille. Les couples se forment puis se marient et engendrent des enfants. Tel est le cycle de la vie dans notre bon pays mais je ne fais pas partie de cette majorité à l'avenir tout tracé. Depuis mon plus jeune âge, j'ai appris et compris que mon mariage ne serait pas le fruit de l'amour mais la concrétisation d'un arrangement. Cette idée qui offusque la nouvelle génération, peu à peu progressiste, ne touche pas encore l'univers des privilégiés. Ma vie représente un investissement au quotidien que je me dois de rembourser à mon père par une union prolifique. Et lorsque l'influence politique vient se mêler à mon existence, je suis très vite condamnée à vivre sous les feux des projecteurs.

La perfection à toute heure, voilà ce que je dois incarner. Un corps de rêve dû à une privation abusive, des soins en tout genre qui font passer épilation et manucure pour des besoins vitaux. Et maintenant un autre outil diabolique s'invite dans la danse: les réseaux sociaux.
J'ai l'obligation d'être populaire sans me montrer trop arrogante. Je dois être celle qu'on désire être sans jamais laisser penser qu'un jour, on puisse m'égaler.

Une chose cumulée à une autre, parfois, j'explose.

— Jiu, c'est non négociable, tonne mon père en frappant du poing sur la table basse vitrée qui menace de céder. Tu es attendue à ce meeting samedi à 15h00. Tu ne seras nulle part ailleurs. Un engagement, ça se tient.
— Mais je lui ai aussi dit oui!
— Alors il fallait réfléchir avant de promettre l'impossible. Tu sais bien comme cela est dangereux et synonyme de retour de bâtons. Une promesse ne se fait que...
— ... si elle est réalisable le temps du mandat. Je le sais. Merci pour le cours de politique, papa...

Mon attitude a tout de puérile alors que j'ai passé l'âge des caprices mais mes années de jeunesse volées reviennent parfois réclamer leur dû au galop.

— Évite l'insolence, ça ne te va pas.

Et un peu de flexibilité de sa part lui ferait du bien.
Mon pied s'agite nerveusement sous la table et rend ma position inconfortable. Mais on m'a appris à souffrir en silence, avec le sourire s'il vous plaît. J'inspire donc une grande bouffée d'air empoisonnée par la rigidité de mon géniteur et cherche au plus profond de moi la candeur et l'innocence qui pourrait le faire fléchir. Un visage marqué par la colère ne ferait qu'entraver mes intérêts.

Ma présence lui est nécessaire car je suis la substitution à l'épouse officielle qui lui fait défaut. Pour ne pas se voir souligné son absence de famille traditionnelle, mon père joue avec moi la carte de l'homme solide, capable d'élever seul sa fille et d'en faire l'objet le plus convoité sur le marché marital haut de gamme. Mais je ne me fais pas de soucis de ce côté. Me vendre au plus offrant ne serait pas bénéfique à sa campagne, la fragilité gagne plus de voix que la maturité.

Cela me fait sourire lorsque je l'entends se présenter comme la nourrice de ma vie car s'il y a bien quelqu'un qui a joué cette fonction, c'est mon équipe de bodyguards et non lui.

Le garde du corps, cet individu dont le travail est de protéger une personne en cas de tentative d'agression. Et bien, j'en ai une toute autre définition. Homme baraqué, très souvent séduisant, payé une fortune pour me priver de toute liberté et s'assurer que je reste bien dans le rang. Soit l'autre définition d'un emmerdeur.

Nombreuses sont les filles qui les adulent et fantasment dessus mais je les aperçois à peine, tant ils font partie du décor. Leurs devoirs entraînent mes contraintes, encore plus depuis que mon père s'est lancé dans la course à la présidentielle. La Maison-Bleue est devenue un cauchemar pour moi, d'où ma recrudescence de rébellions stupides.

— Tu n'as qu'à emmener Doona.
— Ne te fiche pas de moi, jeune fille.

Pourtant, l'assistante personnelle nous impose tellement sa présence au quotidien que je la sais rêver d'accéder au lit de mon père. Je serais prête à fermer les yeux sur son air arriviste et interessée pour obtenir la paix mais il semblerait que cela ne soit pas dans ses projets. Peut-être ne la trouve-t-il pas à son goût ?

— Je me charge de lui réserver une tenue, déclare la fameuse vipère qui se vengera de cette petite humiliation en m'obtenant une tenue hideuse, comme à son habitude.
— Est ce que je peux m'en aller puisque je n'ai pas mon mot à dire?
— Reformule, Jiu. Ce n'est pas convenable.
— Puis-je me retirer?
— Oui. Tes caprices m'ont coupé l'appétit.

Grand bien lui fasse, lui qui se plaint sans cesse de paraître trop bouffi sur ses photos de campagne, malgré tout retouchées.
Je ne fais pas dans la dentelle en me levant et me dirige vers le balcon un peu plus en retrait sur la partie arrière du salon. Cette villa est si grande que je m'y perdrais s'il n'y avait pas trois hommes pour suivre constamment chacun de mes gestes. A croire que le danger rôde même dans cette forteresse.

Observant avec dédain le visage de ce jardin taillé au millimètre près pour s'accorder autour de cet arbre gigantesque, je me mets à rêver de tronçonneuse et de chaos en tout genre. Le sourire de ce fantasme secret s'accompagne de ma recherche d'une cigarette dans ma poche. J'ai à peine le temps de la coincer entre mes dents et de faire rouler mon pouce sur le briquet que Namjoon, le plus ancien de mes gardes du corps, intervient en balançant un revers sur le papier roulé. Celui-ci fuse par dessus la balustrade pour se perdre dans les rosiers.

— Bien joué, j'vais devoir plonger dans les ronces maintenant...
— On avait dit plus de tabac.
— Pas on, mais toi. Et moi je t'avais répondu que je voulais épouser Park Seo-Joon. Il est où? Je ne le vois pas donc j'vais aller chercher ma clope. Excuse-moi, dis-je en tentant de pousser cette armoire à glace pour tenter d'enjamber le rebord.

Je n'ai strictement aucun besoin d'aller me malmener dans les épines car je possède d'autres cigarettes mais l'envie de mener la vie dure à celui qui s'applique à la lisser, jour après jour, est tentante. Les fesses penchées sur la balustrade, je ne m'étonne pas de sentir deux poignes colossales me maintenir puis me reposer à trois mètres loin de la bordure. Et d'après la position de son corps en travers de mon chemin, je comprends que la fête est finie. J'accepte de perdre ce soir mais n'ai pas dit mon dernier mot.

*Selon le système de calcul international.

***
Pour celles et ceux qui découvrent l'histoire, bienvenue dans mon monde. Pour les autres, votre place vous est toujours réservée et les commentaires vous attendent. Les noms de quelques personnages ont changé et attendez-vous à pas mal d'autres surprises.
Bonne lecture quotidienne !

LilouMeow

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseWhere stories live. Discover now