29- Un soldat passionné

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Le bras reposant sur mon corps épuisé, j'étudie cette perfusion accrochée à la poignée de maintien qui diffuse goutte après goutte, sous l'effet de la gravité, le produit chargé de me faire oublier cet état désastreux. Je marmonne des promesses de ne plus jamais toucher à l'alcool devant le médecin qui ne me questionne pas sur mon identité et s'en va très vite après avoir donné des instructions sur l'aiguille à retirer dans une heure. Je prends conscience d'être chanceuse d'éviter un nouveau drame avec cette vérité caché à mon père.

— Tu es bien installée ou tu veux que j'abaisse un peu plus ton siège ? 
— C'est parfait. Tu en as déjà assez fait pour moi, Chris. Je ne sais pas comment te remercier. 
— En évitant de boire en compagnie de personnes mal intentionnées. 
— On ne va pas revenir là-dessus. J'essayais surtout de faire le choix le moins pourri. 

Mon voisin de siège descend légèrement sa vitre pour faire entrer de l'air frais, afin de contrebalancer la buée qui s'installe autour de nous. Il lui est impossible de lancer la radio au risque d'user la batterie et que nous nous retrouvions avec un autre problème sur les bras. Il ne nous reste que deux choix : échanger des stupidités ou bien décéder en silence. 

— Je t'ai dit que j'adorais les bouchées vapeur ? Me confié-je sans y avait été invitée. 
— Non, mais je suis ravi de le savoir, s'amuse-t-il. 
— C'est la seule chose qui me rappelle ma mère et que mon père ignore. Sinon crois-moi qu'il aurait éradiqué de la Terre l'existence de ce met. C'est dingue comme l'esprit est complexe. Il ne parvient pas à mémoriser un visage ou un son mais se focalise sur ce petit aliment. 
— Il faut aimer la crevette. 
— Je ne parle pas de ceux-là. Ma mère les faisait elle-même à la viande. On n'en voit quasiment jamais sur les marchés ou dans les restaurants. C'est ce qui fait que j'ai rarement l'occasion de penser à elle à partir de cet élément précis. 
— Sais-tu ce qui lui est arrivé ? Se risque à demander mon chauffeur à l'arrêt. 
— Je n'ai jamais eu d'explications. Je me souviens juste d'un départ qui a créé une immense douleur dans ma poitrine et d'une attente qui a fini par user la patience de mon père. Je devais cesser de pleurer et ne plus l'évoquer. 

Puis il y a eu l'arrivée de Doona qui a régenté ma vie au point de la rendre invivable. Mais cette femme n'a jamais essayé de jouer un rôle qu'elle ne méritait pas et c'est bien la seule chose pour laquelle je la tolère dans mon espace vital. 

— Les opposants de ton père doivent forcément être à sa recherche pour l'utiliser contre lui. 
— Ca m'arrive d'espérer qu'ils la trouvent mais ensuite, je me demande ce que je lui dirais. Qui abandonne son enfant pendant tant d'années ? Au bout d'un moment, la cicatrice est si profonde qu'on ne peut pas revenir en arrière. Les choses sont peut-être mieux ainsi. 
— Et je n'ai pas l'impression que beaucoup de personnes se sont portées volontaires pour mettre du baume sur tes bobos. 

Je peux effectivement les compter sur les doigts d'une main mais n'en tiens pas rigueur à quiconque. Ma vie est telle qu'elle est et je dois accepter les obstacles sans tenter de les éviter. En cachant cet alcoolisme forcé, l'équipe de campagne pensera que cette soirée s'est très bien passée et ne verra pas de contrindication à ce que ce petit jeu continue. Mes forces disparues, je n'arrive pas à imaginer une riposte digne de ce nom, qui ne mettrait pas en danger Hwasa et Han. Je dois donc briser moi-même cette entente. 

Des doigts claquent devant mon visage et me font sursauter jusqu'à ce que je regarde l'individu inquiet à mes côtés. 

— J'ai cru que t'avais à nouveau rechuté. 
— Et bien désolée de te décevoir mais j'étais juste en train de penser. 
— T'avais un air possédé...
— Chris, rappelle-moi de te botter les fesses quand je serai en état de marcher. 
— Alors si tu es incapable de te souvenir de quoique ce soit de ce moment, autant que j'en profite. 

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseWhere stories live. Discover now