68- Face au passé

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Assise sur le parquet, je compte les minutes pour estimer avec une grande largesse le temps qu'il faudrait à deux amants pour se rhabiller et se remettre de leurs émotions. Le secret de Jimin ne cesse de me coller le sourire aux lèvres. Chez lui, je ne m'attendais pas à apprendre qu'il vivait une relation passionnée avec son chef de la sécurité. Au moment de la révélation, je n'ai pas osé lui confier qu'il en était de même pour moi, poussée par la volonté de garder mon jardin encore inavoué. Maintenant qu'il est au courant pour Chris et moi, cela explique peut-être son manque de vigilance quant à son rapprochement avec Lucas. Je suis curieuse de voir comment Chris va réagir en sortant de la chambre, la queue rangée dans le pantalon.

— J'ai fini de me brosser les dents, dis-je d'une voix portante pour être certaine que les amoureux ne soient pas encore en plein ébat.
— Pourquoi est-ce que tu cries ? M'interroge Chan, installé dans le canapé qu'il a ramené à sa place.

Tous me dévisagent comme si j'étais la folle du village et me font douter de ce que j'ai vu. Je n'ai pourtant pas consommé de substance. A moins que Chris ne fasse pas de manière avec cette information toutefois incroyable. Je suis étonnée qu'il ne saute pas de joie mais n'en fais pas tout un plat.

— C'est juste pour le plaisir de faire entendre ma jolie voix.
— Ça serait bien qu'elle nous apporte des indications sur la femme qu'on recherche. Que sais-tu sur elle ?

Je tique sur le tutoiement qu'il s'autorise et me rappelle que les barrières ont été retirées entre nous dans la sphère privée. Pourtant, je n'ai toujours pas l'impression d'avoir gagné en sympathie à ses yeux.

— Elle s'appelle Bae Yoomi et a grandi à Pocheon. Ses parents sont maintenant décédés. Elle a encore une soeur qui vit là-bas Leur grand-mère était douée en cuisine donc peut-être tient-elle un restaurant comme ma tante ? Je n'ai pas d'idée précise de son âge. J'imagine qu'elle doit approcher la cinquantaine. Et je n'ai aucune photo d'elle.
— En gros, nous devons chercher une aiguille dans une botte de foin...
— Peux-tu être un peu plus optimiste, Lucas ? Tu te rends compte que tu es en train de la stresser ?

Jimin me frotte gentiment les épaules pour me détendre mais ne fait que provoquer les regards électriques des deux autres gardes.
Lucas détaille alors la marche à suivre pour retrouver cette inconnue, plan qui est contré par celui de Chris moins intrusif et direct. L'ordre est donc donné que nous restions enfermés dans ce chalet pendant que les deux gardes prennent le risque de s'éloigner pour partir à la recherche de ma génitrice. Leur angoisse nous est transmise et nous pousse à nous armer de couteau, de peur qu'un groupe de mercenaires viennent nous enlever. Je ne sais pas si une menace plane réellement sur la tête de Jimin mais il prend les choses très au sérieux.

À leur retour, nous sommes embarqués pour visiter les endroits sélectionnés. Les propositions erronées se succèdent, n'ayant aucune ressemblance physique avec les femmes indiquées. Je ne sais pas s'il s'agit d'un instant ou d'un fantasme que je me fais de l'image de celle qui m'a mise au monde, mais aucune n'est celle qui a partagé cinq ans de mon existence. 
Notre tour se termine dans un restaurant reculé au fond d'une impasse, là où aucun touriste ne se rend. En observant la devanture, je me questionne sur ce qui permet à cet endroit de rester ouvert. Puis l'enseigne attire mon attention. Effahum. Un drôle de nom qui me rappelle la dynamique de la famille Bae. Ma tante m'aurait donc donné davantage d'indices que je ne le pensais.

Lucas passe la porte le premier pour s'assurer de la sécurité et nous fait signe de le suivre. C'est une petite serveuse aux cheveux débraillés qui nous reçoit, avec un peu trop d'excitation pour cet endroit calme.

— Bonjour, bienvenue à Effahum, le temple de la gastronomie d'antan où nous accueillerons en toute humilité comme un membre de notre famille. Souhaitez-vous une table pour... manger à quinze heures ?

Je réalise enfin le temps écoulé suite à nos recherches et nos ventres affamés qui crient leur besoin d'être nourris. Cette jeune fille ne doit pas avoir plus de douze ans et me fait douter de la légalité du restaurant. Elle ne peut pas être déclarée en tant que salariée donc doit faire partie de ces enfants malheureux exploités par des adultes mal intentionnés.

— Nous ne mangerons pas, je vous prie de vous excuser, intervient Chris. Nous sommes à la recherche d'une femme qui devrait avoir entre 40 et 50 ans, a grandi à Pocheon, a encore une sœur là-bas mais dont les parents sont décédés.

Le garde du corps ne prononce pas le nom de ma mère, de peur d'attirer la curiosité sur celle qui fut l'épouse du candidat à la présidentielle. Cela permet également de trier les profils sérieux des corrompus. Mon corps se prépare à un demi-tour comme cela a été le cas à chaque fois mais mon pied reste cette fois-ci dans le vide.

— Oh ! Vous devez parler de ma mère.

Ce dernier mot brise les rares morceaux encore intacts du coeur de la petite fille abandonnée à ses cinq ans. La température de ma peau chute pour refroidir mes émotions et ralentir mon rythme cardiaque. Les sueurs froides qui se mettent à couler ont la sensation de lames qui me lacèrent. Jimin fait un pas vers moi pour me montrer son soutien, mais je ne suis pas apte à accepter quoique ce soit du monde extérieur.

— Ce doit être sûrement elle. Son nom m'échappe, bafouille Chris avec un jeu d'acteur convaincant. B...
— Cei Moiyo. Je sais, elle n'a pas un nom évident à retenir. Je crois même qu'elle doit être la seule à le porter dans le pays.

L'identité annoncée m'octroie une sensation de relâchement dans mes muscles. Jimin m'empêche de m'effondrer mais je ne me retiens pas de sourire. Ce n'est pas elle. Je suis stupide et ridicule de réagir au quart de tour et de m'imaginer le pire alors que ma mère n'est pas la seule femme au monde à venir de Pocheon. Je ne cache pas le rire nerveux qui agite ma poitrine et interpelle Chris afin que nous ne perdions pas plus de temps. 

— Allons-nous-en. Ce n'est pas elle. Désolée de t'avoir dérangé...
— Aecha. 
— C'est cela.

Je hoche la tête par politesse mais ne m'intéresse déjà plus à elle, pressée d'avoir l'excuse de l'échec de nos recherches pour trouver refuge dans notre cabane. 

— Ca signifie fille amante, marmonne-t-elle sans conviction. Et toi, comment tu...

Ma main presse la poignée de cette lourde porte en bois mais mon corps s'arrête face à la montée des marches d'une silhouette. Celle que je n'aurais préféré jamais revoir après seize années de silence. Le temps n'efface finalement pas tous les souvenirs. Je reconnais ces yeux verts, les mêmes que la jeune fille dans le restaurant. Sa coupe de cheveux est plus courte et son visage marqué par les rides. Elle a maigri. Ou peut-être la voyais-je avec des yeux d'enfants ? 
A la façon dont sa bouche se ferme et son corps qui se met à trembler, je comprends qu'elle me reconnait. Me voici donc face à ma mère. 

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant