47- La famille

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Mon temps est compté. Je sais pertinemment que cette fuite n'est que la première étape d'un plan qui s'est dessiné dans ma tête mais il faut que je le valide pour pouvoir un jour retenter ma chance. Je dois bouger et vite, sans donner d'indices. J'abandonne alors la voiture au niveau d'un grand parc à Pocheon et lance l'application de navigation pour analyser le tracé indiqué. Ma concentration n'est pas des plus fines puisque mon cœur est lancé dans un sprint infernal, pourtant je dois tout assimiler avant de couper mes données mobiles. La suite se fait à l'aveugle, sur l'appui de mon intuition et de ma mémoire.

Je débouche très vite dans une zone de restauration où s'accumulent les menus, espérant attirer du public. La devanture devant laquelle je m'arrête ne m'inspire rien de succulent mais je m'encourage à y pénétrer, tout en m'assurant que ma tête est couverte par la capuche de mon sweat.

— C'est trop tôt, revenez dans une heure ! Hurle une voix de l'autre côté du passe-plat.

Pourtant, je ne bouge pas car il me faut trouver la propriétaire de l'établissement. J'attends donc que l'on vienne à moi et observe avec intérêt le visage de la femme âgée d'une soixantaine d'années qui tient une louche entre les mains.

— Mais c'est qu'elle est bouchée la petite quand on lui parle. Allez, oust. Sors de là. On n'ouvre pas avant midi.
— Bonjour, je cherche...
— Les fast-foods pour les jeunes se trouvent au bout de la rue. Y a rien pour toi ici.
— Je suis désolée de vous déranger mais je...
— J'ai toujours dit à Joon de fermer quand on n'est pas dans la salle, il ne m'écoute jamais. Ce jeune n'en fait qu'à sa tête. Mais toi aussi t'es un peu dure de la feuille. Qu'est-ce tu comprends pas dans...
— Ma tante. Je crois que vous êtes ma tante.

Cette femme s'arrête de parler, aussi ébahie que je suis apeurée. J'entends une silhouette se précipiter vers nous et passer la tête par-delà le passe-plat.

— Elle a dit que vous étiez quoi, m'dame ? Lui demande son cuisinier.
— T'occupes, lui répond-elle froidement. Et va couper tes oignons. Si tu ne pleures pas quand j'arrive, j'te fouetterai le derrière pour t'aider.

L'individu semble motivé dans sa tâche donnée. La vieille femme nous éloigne vers la porte pour un peu plus d'intimité et se permet de baisser ma capuche pour observer mon visage. Ce qu'elle y trouve ne l'impressionne pas ni ne l'attendrit.

— Pas d'doutes. T'es bien la fille de cet enculé. Qu'est-ce tu veux ? J'ai un restau à faire tourner, moi. L'argent ne tombe pas du ciel avec de beaux sourires ici.
— Je ne souhaite pas vous causer de tort. Mon père ignore ma présence dans votre établissement et...
— S'il sait que t'es dans la ville, il fera le lien très vite alors parle avant que je ne te mette dehors.
— Très bien. Je la cherche.
— Elle est morte pour vous. Pleure un bon coup à la télé et passe à autre chose. Va t'acheter un sac Chanel. T'aimes bien ça, hein ? J'ai vu dans ton émission. Vas-y que j'montre mes beaux habits, mes chaussures. Mon papa est gentil, c'est le plus fort...
— C'est un connard.

Mon aveu est risqué car l'établissement pourrait être filmé et cette scène diffusée mais cette femme doit comprendre que je ne suis pas l'image qu'on a construite de moi.

— Je m'en fiche que tu sois dans ta crise d'adolescence retardée. Ça ne m'intéresse pas. Rentre chez toi.
— Elle m'a abandonnée.
— Elle n'a pas eu le choix.
— Je ne connais rien d'elle. J'ai même oublié son visage.
— Alors la douleur te fera moins mal. J'ai une cuisine à faire tourner, petite. Cesse de cogiter.
— Je vous en supplie. Ne faites pas comme eux. Ne m'enfermez pas dans une tour d'ignorance. Il ne me parle jamais, sauf pour m'humilier. Tout ce que vous voyez n'est qu'une illusion. Aujourd'hui... c'était ma seule chance. Il veut me marier. Et j'ai l'impression de n'avoir aucune possibilité de l'empêcher.

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant