50- La sérénade

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Notre balade imposée nous oblige à repasser dans ce fameux couloir où tous les gardes du corps ont été abandonnés. Je découvre qu'une salle de costumes noirs désespère que leur patron termine de batifoler. Pour nous quatre, c'est chose faite puisque nous allons nous dégourdir dans un espace vert conçu entre ces murs. L'intelligence et le talent de l'Homme m'étonneront toujours. Ce que l'on pourrait considérer comme un jardin tropical grandit à la lumière artificielle et l'humidité créée à partir de capteurs. C'est ainsi que nous pouvons vagabonder entre les plantes, au bruit du gravier sous nos pas. Je crois entendre Lya pester pour la difficulté à déambuler en talons aiguilles mais je ne me débrouille pas beaucoup mieux et m'oblige à prendre mon temps en marchant dans l'herbe. Très vite, cela devient un prétexte pour prendre mes distances avec celui qui m'insupporte. 

— Tout est fait pour qu'on profite de cet instant, nous informe Jimin.
— Et surtout pour qu'on ne puisse pas s'enfuir, lui réponds-je.

Mais cela ne fait pas rire les gardes du corps, de nouveau avec nous. Je dévisage longuement ceux appartenant à l'autre manipulateur car je me méfie des volontaires pour travailler aux Enfers. Un cours d'eau a même été créé pour donner un sens à la marche et nous faire oublier que nous sommes ici pour céder notre liberté contre des alliances. M'éloignant du groupe, je m'accroupis pour observer le petit coquelicot qui y a vu le jour, en toute solitude, mais qui ne rencontre aucune difficulté pour s'épanouir. Le rouge de sa robe me fait rêver et relance un espoir d'un acte de rébellion avant qu'une main ne vienne tout gâcher.

— Tiens. Geste de paix, dit l'abruti en chef en cueillant cette fleur pour me la tendre.
— Mais... t'es idiot ou quoi ? T'avais besoin de la tuer ?
— Oh mais c'que t'es épuisante. Tu veux un romantique mais tu t'énerves quand on t'offre un pétunia.
— C'était un coquelicot, mou du bulbe, et je n'accepterai aucun cadeau de ta part. Enfonce-le dans ton cul, ça me fera la même émotion. 
— Ben ne compte plus sur moi pour t'en offrir jusqu'à la fin de tes jours. Et même pour tes anniversaires, me menace-t il.

Le culot personnifié s'en va la tête haute comme s'il venait de gagner notre duel et espérait me voir accourir pour trois boîtes de chocolat rapportées les années bissextiles. Au lieu de ça, je m'assois en face du corps bientôt sans vie de ce végétal qui n'avait rien demandé. Je ne suis pas le genre de femmes qui aiment les choses qui perdent de leur sublime rapidement. Une plante en pot que j'arriverais tous les jours à entretenir volerait plus facilement mon cœur. Les beautés sauvages sont faites pour le rester.

La place à mes côtés ne reste pas vide bien longtemps puisque je sens une ombre y prendre place. M'apprêtant à lâcher mes nerfs sur DoHyung, j'inspire ma haine et pivote pour la vomir sous forme de mots quand je me statufie en découvrant Jimin. D'un coup d'œil, je comprends que sa fiancée n'est pas avec nous mais occupée à fuir les abeilles qui butinent dans le coin.

— Est-ce qu'il faut s'inquiéter pour elle ?
— Tant qu'elle crie, c'est qu'elle est en vie.

Je ne fais pas l'effort de pincer mes lèvres trop longtemps pour sourire de connivence. Nous sommes peut-être mauvais mais on ne blesse personne. 

— Tentative échouée pour ton fiancé, me demande-t-il en désignant la fleur.
— Ce type n'a pas ce statut. Il n'est rien de plus qu'un abruti, fils d'abruti et j'espère jamais géniteur d'abruti.

Mon voisin ne me reprend pas pour mes insultes gratuites et s'allonge plutôt dans l'herbe humide. Je ne sais pas quel mécanisme recrée la rosée du matin avec une telle perfection. Cet endroit est le symbole même du génie qui défie la Nature. Et parfois l'Homme devrait rester à sa place.

— Tu as épargné sa mère. Ce doit être une brave femme à tes yeux.
— Oh non, je ne l'ai juste pas encore rencontrée. Ce sera chose faite, ce soir. Une journée pourrie l'est jusqu'au bout.

Je rapproche mes jambes en tailleur et lève la tête naturellement cherchant la chaleur d'un Soleil qui n'existe pas ici. Mais ce bruit d'oiseaux et de plénitude est si apaisant que je finis par fermer les yeux pour le savourer, tout en sachant qu'il est mécanique. 

— Mérite-t-il ta colère ?
— Plus que tu ne le penses.
— Dans ce cas, je ne l'aiderai pas alors qu'il me l'a demandé.
— Et tu fais bien. Lya m'a l'air d'avoir beaucoup de chance d'être tombée sur quelqu'un comme toi.
— Je n'en dirais pas autant mais il y a toujours pire.

Son humilité est tout à son honneur. Je l'écoute s'excuser pour un verre d'eau qu'il décide d'aller chercher et profite à nouveau de cette solitude. Ce calme contraste avec l'aventure que j'ai vécue aujourd'hui. Je ne réalise toujours pas avoir rencontré ma tante. Son caractère m'amuse autant qu'il me rend fière. Si seulement je pouvais en avoir le quart. Elle me renierait pour toutes les fois où j'ai baissé les bras devant la difficulté. J'ai une facilité à me plaindre de mon existence au lieu de chercher des solutions, mais les leçons de Changbin ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd. Je me concentre sur chaque sensation qui m'entoure. Une petite fraicheur réveille les frissons sur ma peau, me faisant réaliser que mon corps arrive peut-être à saturation pour aujourd'hui. J'écoute les pas qui se rapprochent et me demande si Jimin est parti remplir son gobelet à la source. L'idée que ce jeune homme soit sans chichi me plaît. J'apprécie de m'entourer de personnes naturelles mais n'oublie pas qu'il ne faut pas que je fasse de lui mon point faible. DoHyung sera sans pitié. 

Avec élégance, j'entends celui qui pourrait devenir mon nouvel ami s'asseoir juste derrière moi et cueillir une brindille pour commencer à effleurer ma peau. Mon corps se crispe aussi bien que je pouffe de rire. Je suis chatouilleuse dans beaucoup d'endroits et le cou n'y fait pas exception. Cette douce torture se poursuit alors qu'on perçoit au loin les hurlements de Lya et ses supplications pour que son fiancé intervienne. La couleur jaune de sa robe semble plaire aux petites bêtes volantes. 

— Tu devrais lui venir en aide. Elle va t'en vouloir pendant des années et te le reprocher. Je te rappelle que vous allez vous dire oui pour la vie. 

Je sens la terre se mouvoir derrière moi mais alors que je m'attends à ce qu'il parte, un léger souffle glisse sur ma peau et réveille des sensations troublantes. Je suis tout d'abord gênée de l'acte intimiste auquel se prête ce client de Fairytale et surprise d'imaginer un quelconque intérêt qu'il me porterait. Je n'ai pas été aveugle devant les perches qu'il m'a tendues, pourtant cela me semblait malgré tout un minimum respectueux envers Lya. L'idée qu'un autre homme que Chris me touche ne me met pas à l'aise et fait que je repousse cette brindille de la main. 

— Arrête de jouer, Jimin, et va la retrouver. 

Au lieu de m'écouter, ses mains se glissent autour de ma taille pour m'attirer contre lui et je déchante en reconnaissant les avant-bras d'un homme qui n'a pas l'autorisation de me toucher. Sans ménager mes forces, je balance des coups de coude contre DoHyung pour me dégager au plus vite de son emprise. Mon corps bascule en avant pour s'accrocher à tout ce qui m'entoure jusqu'à ce que je me considère à bonne distance. Mon cœur gère difficilement la tension soudaine et la haine qui désire s'échapper de mes yeux. Mais très vite, je me retourne vers les hommes chargés de ma sécurité et accuse le coup en réalisant qu'aucun n'a réagi. Peut-être ai-je une explication de la poigne de Namjoon qui enserre le biceps de Changbin. Jimin fait son retour avec un gobelet dans les mains et s'inquiète de nos visages tendus qui taisent une tension palpable. Cela en est trop pour moi. Je décide quitter cet établissement sans attendre qu'on me l'autorise, tant pis pour leur romantisme fictif et la sérénade qui ne me fait aucun effet. 

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseWhere stories live. Discover now