55- L'amateur de littérature

3.4K 223 19
                                    

Il est difficile de reprendre une vie normale après cet entretien avec Solar. J'ai l'impression de ne pas en faire assez pour elle en me reposant sur la grandeur d'âme de mon meilleur ami, mais j'ai mes propres combats à mener. L'invitation chez Jimin en début d'après-midi me permet de faire une pause dans cette descente aux enfers et de m'octroyer un petit temps de bienveillance. Seuls Namjoon et Chris prennent la peine de se déplacer, sachant pertinemment que je ne craindrai rien. Je ne connais pas vraiment ce jeune homme mais sens que je peux lui accorder ma confiance et cette idée est insensée après l'épreuve que j'ai vécue.
Notre voiture est contrôlée à l'entrée de la villa puis j'ai le plaisir de découvrir l'hôte m'attendant aux pieds des escaliers menant à sa demeure. D'un geste galant, il m'aide à sortir du véhicule, prenant de court mon amant secret. 

— Jiu, c'est un plaisir de t'accueillir chez moi. Je suis ravi que tu aies accepté cette invitation au pied levé. 
— Je n'aurais manqué cette fameuse bibliothèque pour rien au monde. 

Ma petite remarque qui se veut sympathique ne trouve pas d'écho chez les gardes du corps qui jugent durement ma façon de minauder. Mais Jimin n'y prête pas attention et m'invite à découvrir la demeure familiale, héritage de plusieurs décennies. Les meubles anciens composent avec goût cet espace qui me laisse sans voix. Je peux sentir l'histoire et les fantômes du passé glisser sur ma peau tandis que je dévore d'admiration les beautés qui m'entourent. Je suis conduite jusqu'à une zone excentrée devant laquelle mes yeux pétillent. Des rangées de livres se succèdent avec une échelle sur roulette pour accéder aux hauteurs périlleuses comblées au centimètre près. Jimin s'amuse de ma réaction et me présente les différents genres qui composent son trésor de mots. Si je m'émerveille chaque seconde, Namjoon se montre à la limite de l'irrespect avec ses essoufflements répétés. 

— Peut-être pourriez-vous faire une pause, proposé-je à ceux garants de ma sécurité. 
— Très bonne idée, rebondit Jimin. Lucas, emmène-les prendre un café. Messieurs, vous ne serez pas loin et en mesure d'entendre votre cliente crier s'il se passait quoique ce soit. 

Personne ne rit à sa blague. Le pauvre Jimin n'imagine pas que cela s'est déjà produit auparavant et s'étonne de la mise en place de mon bracelet. Afin de dédramatiser, j'explicite sommairement l'utilité de l'objet et encourage mon amant à nous laisser. A son regard, je comprends que nous aurons une conversation une fois rentrés mais je n'explique pas ce sentiment d'apaisement que me procure Jimin. Ma vie est un tel chantier que je ressens le besoin de me cacher dans ce cocon. 
La discussion qui anime cet endroit se veut légère. J'écoute Jimin me raconter à quel point sa pile à lire est plus grande que son avenir et son besoin irrépressible d'acheter les nouveautés. Les couvertures magnifiques s'accordent aux jaspages hauts en couleurs, et je comprends tout à fait sa faiblesse. Ne disposant pas d'un crédit illimité pour mes achats livresques considérés comme futiles, je lui avoue me limiter à des coups de cœur ultimes dont les titres sont soumis à la volonté de mon père de me faire plaisir ou non. 

— Tu peux te servir sans restriction et s'il y a un titre que je n'ai pas, n'hésite pas à me le demander. La lecture est un plaisir qui se consomme sans modération. 
— C'est trop, Jimin. Je ne peux pas accepter. 
— Et pourquoi pas ? Qu'est-ce qui t'en empêche ? 

Je voudrais lui dire que cette forme de proximité cachée n'est pas correcte pour celui qui détient mon cœur mais il penserait aussitôt à DoHyung et je me refuse à jouer ce rôle avec ce monstre imperméable aux émotions. 

— Tu es ici, chez toi. Je sais que nous ne nous connaissons pas vraiment mais j'ai l'impression que tu fais partie de ma vie depuis le temps que je te suis. 
— Jimin...
— Je ne suis pas un stalker, rassure-toi. Ta personnalité m'a juste touché. 
— Jimin, je me dois de te dire la vérité. Les photos que je publie sur les réseaux sociaux viennent rarement de moi ou sont commandées. J'ai très peu de liberté là-dessus. Je m'amuse juste à réécrire les légendes ou les hashtags pour faire rager le personnel de Doona. 

Cette petite habitude que j'ai prise a été décriée par l'assistante qui a fini par laisser tomber ses crises de nerfs répétées et infructueuses. Je me suis donc amusée à détourner les messages pour en faire passer d'autres mais bien souvent, les followers ne se doutent pas du second degré qui s'y cache. 

— Oh, je le sais, Jiu. Je m'attarde rarement sur les photos, même si tu es très jolie, il va sans dire. J'ai moi-même des employés qui me font des propositions de publications même si je ne les suis quasiment jamais. Mais j'attends à chaque fois la notification de la photo pour observer le changement que tu y places. Je te trouve très pétillante dans tes commentaires et amusante. En parlant de ça, cela fait un moment que tu n'as rien modifié. Techniquement, je dirais depuis l'annonce de tes fiançailles. 

Le fait qu'il suive mon actualité à la lettre me trouble mais aucune alarme ne s'active en moi. Peut-être ai-je épuisé mon quota d'énergie face au danger ? Je prends un risque à me livrer à cet homme que je connais depuis si peu de temps mais il est en réalité mon seul espoir extérieur à cette tourmente. Tout en m'installant sur le tapis, entourée des livres préférés de Jimin, je me laisse aller à des confidences. 

— Comme tu as pu le voir, je vis très mal cette décision de mon père. 
— Tu m'as laissé entendre que DoHyung avait fait quelque chose de mal. Je t'avoue que je n'ose pas imaginer à quel point je dois m'inquiéter. Il... t'a menacée ?
— Si ça ne s'était arrêté qu'aux mots. Cette histoire est allée bien trop loin et je n'accepte pas le fait que mon père ne me soutienne pas alors que j'ai été agressée. 

Le mot est lâché et mon nouveau confident prend la mesure du problème. Je vois bien à son visage qu'il ne sait comment réagir et fuit mon regard. J'en viens même à regretter de le mettre dans une position délicate alors qu'il n'a pas à se mêler de mes difficultés. 

— Je suis désolée de t'accabler avec mes histoires. Je ne veux pas te mêler à tout ça. Oublions ces dernières minutes. 
— Il en est hors de question. J'entends tout ce que tu me racontes et te promets d'y réfléchir. Mais ma suggestion de t'ouvrir les portes de chez moi tient toujours. Je veux que tu t'y sentes à l'aise et tu ne quitteras pas les lieux sans dix livres entre les bras. 

Je crois n'avoir jamais entendu de menace aussi douce. La discussion se détend à nouveau pour dévier vers son rapport à son nouveau statut de fiancé. Jimin m'apprend que cette décision a été prise par les proches collaborateurs de son père qui lui ont proposé un panel de jeunes filles pouvant apporter du prestige ou une manne financière à l'entreprise. Son choix s'est porté sur Lya sans que cela ne soit associé à un quelconque désir physique. 

— Tu exagères, elle est très belle.
— J'aurais plutôt tendance à dire expressive. Je suis quelqu'un de calme et je t'avoue que son omniprésence m'épuise déjà. Mais bon, c'est une gentille fille. 

Cette dernière phrase me fait grimacer car aucune personne n'apprécierait recevoir un tel compliment. Mais Jimin semble placer la sincérité devant la délicatesse. 

— C'est assez troublant, tu n'as pas l'air emballé alors qu'il s'agit en fait de ton choix. Comment est-ce que ça s'explique ? 

Mon hôte prend le temps d'inspirer et de fixer l'encadrement de la porte avant de la clore pour nous laisser dans une intimité totale. Même si le danger se signale par son action, je patiente jusqu'à ce qu'il me rejoigne au sol et plonge son regard dans le mien. La tension est palpable. Ce qu'il s'apprête à confesser n'a rien d'anodin puisque je le vois canaliser ses émotions. 

— Saurais-tu garder un secret, Jiu ? 

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin