16- Une gentille fille

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Alors que mon garde du corps me fait face dans l'optique d'avoir l'ascendant sur moi, je refuse de montrer une once de soumission et me permets même de déplacer sa main pour lui rappeler qui a l'autorité dans cette pièce. Je fais taire en moi l'excitée qui ne désire que ressentir à nouveau son toucher afin de lui faire croire que je maitrise parfaitement la situation. 

— Tu ne souhaites vraiment pas me raconter la suite? 
— Es-tu réellement intéressé par cette histoire ou est-ce une excuse pour boire mes paroles?
— Ta voix a le mérite d'être envoutante.  

Le silence qu'il impose entre deux fusions de nos pupilles provoque l'ébullition de mes sens. Je ne peux nier être attirée par cet homme et désire me réfugier entre ses bras mais son attitude différente me fait comprendre que mes charmes et caprices ne me seront pas très utiles dans cet objectif. Alors je décide de mettre mon âme à nu en évoquant l'histoire d'une héroïne qui pourrait l'intéresser. 

— Si je te raconte plutôt le récit d'une petite princesse trop gâtée par la vie?
— Ton scénario sera facile à deviner, me répond-il en m'obligeant à étendre mon bras pour que son doigt commence à suivre le trajet de ma veine. Je te parie qu'elle a grandi dans le luxe, sans jamais se soucier du monde extérieur au sien. Les flash des photographes, les interviews, les campagnes et dîners de représentations...
— Tout cela lui paraissait habituel au point qu'elle en oubliait les recommandations de celle qui fut un temps sa mère. Sois gentille, répétait la jeune femme au visage rendu flou par le temps. Sois une bonne petite. Mais avec les années qui passaient, notre jeune princesse ne savait plus ce que cela signifiait puisqu'il était attendu d'elle qu'elle obéisse au terrible roi sans se soucier des autres. Et ses actions faisaient forcément du tord à ceux qui ne le méritaient pas. 

La poigne de sa main accroche alors mon menton pour m'obliger à le regarder et me sort ainsi de ma rêverie. Je ne me suis pas rendue compte qu'il s'est confortablement allongé sur le flanc, ni qu'une courte distance nous sépare, rendant presque palpable cette folie. Je ne dois pas franchir la ligne. Cette règle a été imposée au moment où mes hormones se sont mis en ébullition. Et pour s'assurer que je n'essaie pas de la transgresser, mon père n'a jamais  manqué de m'humilier devant ses hommes de main afin qu'ils ne voient plus la jolie tentatrice mais le déchet qu'il me faisait devenir. A genoux, sur le sol, à sentir les larmes et la morve couler et à supplier pour que cessent ses coups de sang. Qui voudrait d'une telle femme incapable de se rebeller devant un monstre assoiffé de pouvoir qui lui promet une vie malheureuse auprès d'un autre ? J'ai eu plusieurs années pour entendre la révolte de Hwasa au sujet des mariages arrangés et du commerce des jeunes filles riches qui continue de s'appliquer pour faire prospérer et fusionner les entreprises. On nous apprend que c'est ainsi mais je ne peux m'empêcher de percevoir l'issue aberrante qu'on édicte à celle qui a fait l'erreur de naître femme. 

— Ta princesse se pose en victime dès le début de son histoire. Ce n'est pas très emballant. Et tu oublies de dire qu'elle trouve quand même un malin plaisir à rendre fou les soldats, derrière son obéissance de façade. 
— Veux-tu toi aussi qu'elle ne soit rien d'autre qu'une gentille fille? 
— Non. Elle ne peut pas se réduire qu'à ça. L'histoire n'aurait pas d'intérêt. Et il te faut un prince.
— C'est toi qui devient tellement réducteur. Il y a déjà tellement d'hommes qui gravitent autour d'elle. 
— N'a-t-elle pas besoin d'être sauvée? Me questionne-t-il en approchant le dos de ma main de sa bouche pour y glisser un geste romantique. 
— Dans notre histoire, le prince à qui elle sera promise sera le méchant. Ce sera donc à un autre de l'aider mais il faudra qu'elle y participe car je veux que cette libération soit un choix pour elle. Peut-être pouvons-nous utiliser un soldat? 
— Les hommes de main sont payés par le roi et donc loyaux. Mais ça pourrait être intéressant comme tiraillement. Osera-t-il contrer les ordres pour faire ce qui lui est interdit? Mystère. Il se fait tard, Jiu. Nous continuerons notre propre histoire un autre soir. 

A son souffle suspendu, je sais pertinemment qu'il ne pense pas un traitre mot de ce qu'il vient d'imposer. Et son pouce qui caresse inlassablement la paume de ma main me fait frissonner à tel point que je ne parviens plus à réfléchir. Je voudrais tant revenir dans cette piscine et poser à nouveau mes lèvres sur les siennes mais mon bodyguard amorce un retrait qui me fait douter des pas que nous avons fait l'un envers l'autre. 

— Passe une bonne...

Sa politesse reste suspendue dans le temps puisque la porte de ma chambre s'ouvre sans avertissement. Mon sursaut se combine avec la mise en garde de Chris pour me protéger mais nous nous détendons très vite en découvrant Namjoon dans l'encadrement, même si son visage annonce une furie surprenante. 

— Je peux savoir ce que tu fabriques dans sa chambre depuis tout à l'heure? Tu as coupé ton micro et donné aucune explication avant d'entrer ici. 
— Quoi? J'ai fait ça? Ca devait être par inadvertance, répond le subalterne, le sourire aux lèvres. 

Je comprends parfaitement la référence au geste du chef de la sécurité dans cette cuisine mais ne suis pas très à l'aise à l'idée que Chris partage ce que nous faisions dans ce lit. Même s'il n'y a eu aucun geste déplacé, cette proximité n'aurait jamais dû avoir lieu et je risque comme lui de gros ennuis. 

— Je l'aidais à faire ses devoirs, déclare le nouveau garde tandis qu'il désigne un vieux carnet posé sur mon bureau. 
— Tu vas me faire croire que toi, tu es calé en droits?
— J'ai validé ma licence avant mon service dans l'armée et mon engagement dans la formation de sécurité. Voilà pourquoi je lui faisais réviser ses cours sur le droit de la famille. Hyunjin et Felix pourront te confirmer que c'est très facile de s'y perdre entre les régimes matrimoniaux, le droit patrimonial, la filiation et j'en passe. Mais vas-y, prends ma place si tu y tiens, Namjoon. Est-ce quelque chose pour laquelle tu as assez compétent comme la cuisine ? 

Le chef de la sécurité, se sentant pris de haut, ne manque pas de lui renvoyer un regard haineux et acte cette nouvelle en rebondissant sur une donnée logistique. 

— Tu veux jouer les professeurs? Très bien. La porte restera ouverte pour une question de visibilité. 
— Je trouve cette exigence curieuse. Parfois, des gestes inconvenants se font sous l'objectif des caméras ou même derrière donc qu'elle soit ouverte ou fermée, je pense que nous pouvons faire confiance à Mademoiselle Jiu pour indiquer si quelque chose d'indécent ou d'interdit a été effectué. 

Les joutes verbales me donnent froid dans le dos. Tour à tour, Namjoon et Chris se défient et tentent d'écraser l'adversaire qui devrait être un coéquipier de confiance. Lorsque le chef de la sécurité annonce que cette discussion n'en restera pas là, je crains que ce ne soit les derniers moments de Chris à mes côtés mais l'homme avec qui j'ai échangé des baisers sulfureux dans cette piscine ne se montre pas ébranlé. Quand je suis enfin laissée seule, regonflée par cette testostérone ambiante, je me permets d'imaginer la fin de la situation initiale de mon histoire et le début des péripéties. 

"Au moment où le soldat prit position devant son capitaine pour protéger la princesse de son énième incartade, elle sut qu'elle pourrait compter sur lui pour changer la triste fin qui lui avait été prédite."

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant