53- Un fragile self-control

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La table haute a été dressée pour ce repas, afin d'éviter de froisser la tenue de notre invitée qui prend un malin plaisir à juger chaque objet de décoration de la maison. Rien ne trouve grâce à ses yeux. Je me retiens de sourire, sachant que ce sont les goûts de Doona qui sont critiqués et non les miens. Chaque membre du personnel retient son souffle, sachant qu'un moment délicat doit être supporté. Lorsque les premiers plats sont servis, les mains de l'assistante se frappent pour m'indiquer qu'il est de mon devoir, en tant que benjamine, de remplir les contenants de mes aînées. Je contrôle ma haine pour qu'elle ne se répercute pas dans les bols et inonde leur plat de légumes.

— Jiu doit revoir entièrement sa garde-robe. Vêtue ainsi, elle fait honte à mon fils.
— Je suis tout à fait d'accord avec vous.
— On dirait qu'elle ne peut plus respirer au niveau du cou et cette longueur est bien trop suggestive. Autant montrer ses fesses à tout le monde.
— Je vous rejoins dans vos remarques, insiste Doona qui agit comme si elle était extérieure aux choix vestimentaires.

Nous sommes donc officiellement au cœur d'une discussion d'hypocrites dans laquelle le thème principal sera mon nom. Mais après la scène vécue dans la chambre, l'assistante se doute que je ne bougerai pas d'un cil. Il est culturel de se montrer soumis et respectueux envers ceux qui ont vécu les épreuves avant nous mais je me rends compte que la sagesse ne s'acquiert par forcément avec l'âge.

— Je vous donnerai un coup de main pour le mariage. Ma grand-mère avait une robe qu'elle tenait de sa mère. Nous nous la transmettons de génération en génération mais je pense qu'il faudra revoir les coutures à cause du... derrière de cette jeune fille.
— J'ai tenté de la mettre au régime mais elle se goinfre de biscuits dans sa chambre.

Ma tête se penche pour tenter de croiser le regard de celle qui agit exactement de cette façon et se fait vomir par la suite dans les toilettes. Mes hanches sont naturellement développées et je ne fais rien de spécial pour que mes fesses soient rebondies. La nature m'a fait ainsi et je m'en accommode très bien. Ce qui n'est pas le cas de celle qui nous invente une vie.
Madame Kim se met à chercher sur son portable puis dévoile la photo d'une robe hideuse en forme de meringue bouffante. Je me retiens de rire et fais passer cette crise pour une toux dû au riz passé dans ma gorge. Le comble veut que je n'ai pas encore touché à mon plat mais aucune de ces femmes ne m'observe.

— La robe traditionnelle sera celle des Choi. Il est hors de question qu'elle salisse la mémoire des ancêtres de mon mari après ses accusations.
— Nous avions convenus que tout cela était derrière nous, tempère Doona.
— Sachez que je pardonne mais n'oublie pas, me menace l'invitée.
— J'aimerais avoir votre sagesse, réponds-je ironiquement.

Mes baguettes jouent avec le riz et la viande dans ce bol mais ne me convainc pas d'avaler quoique ce soit. Je ne sais pas comment je vais m'en sortir avec ce qu'a découvert Doona. Je suis condamnée à lui obéir pour ne pas être séparée de Chris mais cette situation ne peut durer. Je finirai par être mariée à DoHyung et cela m'est insupportable. La fuite devient un besoin crucial puisque je ne vois aucune solution. A moins que mon fiancé ne veuille plus de moi. Pour cela, il faudrait que je le dégoute sans que Doona n'apprenne mes intentions.

— Nos enfants vivront dans notre deuxième demeure. Il s'agit d'une volonté de mon fils pour mettre en route une descendance rapidement.

Une réelle quinte de toux se met à animer ma cage thoracique, créant un agacement chez les deux femmes. L'une tourne la tête, voulant échapper aux microbes tandis que l'autre claque des doigts afin qu'on apporte un masque. Me voilà condamnée à porter cette barrière lors d'un repas dans ma demeure.

— Soignez-la, bon sang. Elle a l'air fragile. Je ne sais pas comment elle fera pour porter mes petits-enfants.
— Nous lui donnerons des vitamines, ne vous en faites pas. Et elle se mettra au sport pour perdre dix kilos.

J'hallucine sur le nombre indiqué car il ne me restera que les os. Mais rien de sensé ne sort de cette discussion. Ces femmes ne me veulent que du mal et je n'ai plus de moyens de me défendre, au risque d'éloigner mon bodyguard. J'accepte donc mon sort et réalise que je serais la honte de la famille Bae.
Qu'ont-ils pensé de ma mère fuyant le domicile et abandonnant son enfant ? Même si elle n'avait pas le choix selon les déclarations de ma tante, lui ont-ils pardonné ses actions ? 

Le repas continue sans que je n'aie besoin d'intervenir pour m'excuser de la pluie et du beau temps. La nouvelle équipe Bêta nous observe et je sens bien le soutien de Hyunjin et Felix. Cela me faut chaud au cœur de savoir qu'ils sont enfin de mon côté après des débuts chaotiques. Chris n'est pas présent, ne souhaitant certainement pas rappeler à Doona l'information qu'elle tient entre ses mains.

— Elle est enfin revenue à la raison et quitte son école de droit, continue de piailler l'assistante.
— Manquerait plus qu'elle devienne avocate et défende des criminelles, ricane madame Kim. Quoique... Ça irait parfaitement avec ses actes. La mauvaise graine ne fait jamais pousser de roses.
— Je suis tout à fait d'accord avec votre adage, interviens-je avec le sourire.

Notre invitée comprend le double sens de mes paroles mais ne prend pas la peine de me corriger. Il est plus amusant de s'esclaffer sur mon destin professionnel. Je découvre à travers leur conversation que je suis attendue demain matin au bureau de la faculté pour signer mon désistement afin de laisser la place à un autre pour les examens. Ils n'auront pas perdu de temps avant de mettre en application leur menace. Ma liberté m'est donc retirée et avec mon consentement. Je ne sais pas jusqu'où cette folie me mènera mais je promets qu'un jour, ils paieront.

Les baguettes se posent et les bouches s'essuient des insanités qui en sont sorties. Le repas touche à sa fin. Je dois supporter de raccompagner la mère de mon agresseur à la porte et de la chausser tandis qu'elle s'appuie sur mes épaules pour marquer sa domination. Puis je la regarde s'en aller en me disant que je préfèrerais l'irrémédiable qu'à vivre cela tous les jours.

— Voilà une bonne chose de faite, s'exclame Doona. Tu as vu ? Elle m'adore. Je sens qu'on passera de très sympathiques repas de famille. Allez, va te coucher. Tu as beaucoup à faire demain.
— Tu parles de la fac...
— Ça ne prendra que quelques minutes, ne sois pas gourde. Tu as reçu une invitation de Park Jimin pour une histoire de bibliothèque. C'est très bien que tu te décides enfin à te faire des relations dans le monde des entreprises. Ça servira les intérêts de DoHyung. Va dormir pour faire disparaitre ces cernes. Tu es horrible à voir, Jiu.

Cette femme me laisse sur ces mots, sans se soucier du mal qu'elle continue de répandre dans ma vie. Mais elle ignore le bol d'air que représente cette visite inattendue chez Jimin.

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseWhere stories live. Discover now