Bodyguard : Le Soldat et la Promise

31- L'alliance

Chris

Ma patience a ses limites et ce repas en dessine les contours. Je pense être aussi choqué que Jiu d'apprendre que l'un des hommes que je côtoie n'a pas su se taire comme je l'avais exigé. Mais il est encore plus agaçant de découvrir le plan monté par Madame Nah concernant le meilleur ami de ma cliente, sans qu'on ait jugé utile de me consulter. Après tout, je suis là pour ça, mais dans cette maison, rien ne semble être fait pour que la normalité s'applique. Je peux me réjouir momentanément que Monsieur Choi ignore le retour de la sangsue dans la vie de sa fille. Cela donne cependant une cartouche à cette femme qui savoure le fait de se savoir armée et d'avoir une cible en joue.

Au départ de l'assistante de mon patron du salon, je suis partagé entre l'envie de lui courir après et rassurer ma petite princesse mais la priorité va à la hiérarchie. Je dois découvrir ce qu'elle a prévu pour protéger Jiu du mieux que possible. Ma conscience me regarde honteusement, me rappelant les raisons premières de mon engagement et le chemin dangereux que je prends depuis que je l'ai rencontrée.

— Madame Nah ! L'interpelé-je près de la sortie. Une minute, je vous prie.
— Je vous ai dit de m'appeler Doona, Chris. Que voulez-vous ?

La proximité qu'impose cette cougar est assez malaisante au point que je rigidifie mon corps, sans effectuer de pas en arrière par égard pour sa fierté. Sa main prend appui sur mon épaule pour qu'elle puisse se pencher et enfiler ses escarpins. Sentir ses doigts s'accrocher à mon biceps me fait souffler intérieurement, me remémorant que mon métier n'a rien de facile. Mais je dois me taire car ce travail est important, aussi bien pour moi que pour des centaines d'autres personnes.

— Puis-je avoir une idée de ce qui est prévu pour Monsieur Han Jisung ?
— Si vous le souhaitez mais cela n'est pas en lien avec votre devoir. Cette petite punaise de lit va être envoyée très loin d'ici le temps que Jiu l'oublie puis il sera écarté comme un malpropre au premier prétexte. Nous, les personnes aisées, avons peut-être le cœur sur la main quand il s'agit d'aider les nécessiteux mais cela ne doit pas leur laisser penser qu'ils ont un avenir parmi nous. Que chacun reste à sa place.

Mes paupières lui indiquent que je suis ses paroles alors que je meurs d'envie de m'en offusquer. Les qualités essentielles à mon emploi sont la disponibilité, la mobilité, mais surtout une grande faculté d'écoute et d'adaptation. Nous devons savoir garder notre jugement et ne pas laisser exprimer nos sentiments. Madame Nah a visiblement oublié d'où elle venait mais ce n'est pas à moi de le lui rappeler. Il n'existe pas d'empire à son nom ni de terrains à foison, juste de la prétention, quelques mensonges et un air qu'elle se donne.

— Souhaitez-vous m'accompagner aujourd'hui ? Je réfléchis grandement à demander la présence d'un garde. Après tout, je suis très proche de Monsieur Choi donc je représente un objet de convoitise pour les détraqués. Il faut prendre soin de ma personne. 

Ses désirs ne sont malheureusement pas des réalités puisqu'il est de notoriété que Doona passe désespérément sous le bureau dans l'espoir d'être officialisée comme la femme vivant aux côtés du député mais il ne semble toujours pas pressé d'écarter définitivement ses autres conquêtes pour cette incarnation de l'avarice. Elle n'est donc pas d'une si grande valeur dans la mesure où elle est remplaçable. 

— Je suis chargé de la sécurité de Mademoiselle Jiu à partir de la fin d'après-midi donc je me dois de décliner.
— Après avoir passé la nuit à la supporter ? Je ne vous savais pas aussi courageux. Cette petite pimbêche rend la vie impossible à chaque homme qui l'approche. Ne faites pas trop d'effort pour lui être agréable, ce serait une perte de temps. Les autres l'ont bien compris et supportent mieux ses caprices depuis qu'ils ont écouté mes conseils. 

Son discours me laisse penser qu'elle n'est peut-être pas étrangère à la raison qui pousse les six hommes chargés de la sécurité de la fille Choi à être irrespectueux envers elle. Je ne connais pas un employé qui oserait lever le ton et le regard sans craindre des représailles. Mais si celle qui fait figure d'autorité encourage dans ce sens, alors tout s'explique.
Je suis cette femme du regard pour lui donner l'impression d'une certaine utilité dans le rouage de cette famille tandis qu'elle retrouve deux de ses collaborateurs dans la voiture. Les caméras des télévisions du pays seront braquées sur l'usine Five Stars chargée de la réalisation d'équipements pour des véhicules de marques coréennes. Le compromis réalisé accorde des droits inédits aux ouvriers mais également une plus grande marge de manœuvre et de protection pour les patrons. Ils pourront licencier sans craindre d'être attaqués en justice en échange de salaires attractifs. L'argent est le nerf de la guerre et la crise économique mondiale fait que beaucoup sont prêts à brader leur santé et leur avenir pour des fonds faciles et immédiats. 

A peine le temps de revenir dans le salon que je constate que Jiu s'en va, elle aussi, pour ses cours de droits. Je n'ai donc pas l'occasion de lui préciser que je suis extérieur à ce qui se trame contre son ami. En parfait petit enfoiré que j'ai identifié, Namjoon s'amuse à m'écarter le plus possible pour l'enfermer dans son véhicule avec l'équipe Bêta et autoriser son départ. Ce type me sort par les yeux et fait tout pour me compliquer la tâche. Je veux bien être conciliant sur le fait que mon arrivée chamboule leur organisation et que le mystère qui rôde autour de moi ne les met pas en confiance, mais il n'est pas nécessaire d'être directeur de la Seoul-Class Security pour deviner qu'un futur sans ajustement n'est pas concevable. 
Je les observe donc passer le portail tout en échangeant quelques venins avec le chef de la sécurité, issu d'un centre de formation adverse au mien, resté sur place. 

— Je peux savoir qui a ouvert sa bouche pour Han Jisung ? Demandé-je sans détour. 
— Pourquoi me regardes-tu ainsi, je n'y suis strictement pour rien, me répond-il avec malice. C'est toi qui l'as fait. 

Sa réponse me coupe le souffle, tant je ne comprends pas ce qu'il avance. Je ne peux pas être le responsable puisque je me suis acharné à tout garder secret. 

— Epargne-moi tes mensonges et dis-moi plutôt qui est la balance de l'équipe ? 
— Mais toi, mon cher Bang Christopher. Tu m'as chargé de transmettre l'information à Doona concernant le passage de Jiu chez son ami mais avec la supplique que Monsieur Choi n'en soit pas forcément alerté. 
— Je n'ai jamais...
— Pourtant nous étions tous témoins. Nous avons tous la même version. En ce moment, Hyunjin, Felix et Changbin apprennent à Jiu ta traitrise. Comme c'est dommage...

Mes nerfs me lâchent devant le sourire vainqueur qu'il affiche et me pousse à agripper sa chemise pour le plaquer contre la porte. Si je ne me savais pas observé par bon nombre d'autres gardes alloués à la surveillance du domicile, je ne retiendrais pas mes poings. Mais il faut que j'élabore un plan pour retourner la situation en ma faveur avant de perdre la confiance de Jiu. J'espère qu'elle aura le réflexe de remettre en doute leurs affirmations après notre rapprochement de ces derniers jours. 

—Je ne vais pas en rester là.
— C'est ça. Retourne jouer les patrons dans ta société et fiche-nous la paix. Bodyguard Training Security ne se mélange pas aux amateurs. 
— Tu veux vraiment la jouer à qui a la plus grosse ? Rappelle-moi quelle entreprise a été épinglée par le fisc ? Laquelle compte le plus de recrues en formation et déployées sur le terrain ? Donc si on en a fini pour le déballage des burnes, je te préviens que je vais rétablir la vérité auprès de Jiu et que la prochaine fois que tu me fais un coup de pute, je t'éclate. 

Son corps bute à nouveau contre l'obstacle tandis que je m'éloigne vers notre salle de repos. J'ai quelques heures de sommeil à rattraper avant de rejoindre ma cliente pour la fin de journée. J'espère que d'ici là, elle n'aura pas inventé une nouvelle bêtise que j'aurai à réparer.