71- Une dernière danse

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Chris

C'est une torture pour mon coeur d'assister aux dernières répétitions avant le grand moment, demain. Avoir été viré et ne plus pouvoir accéder à la demeure des Choi est un cadeau cruel mais digne du candidat à la présidence. Heureusement que Park Jimin trouve chaque jour des excuses pour faire sortir Jiu de sa prison et faire en sorte que je puisse l'admirer avant que tout ne prenne fin. Officiellement, mon engagement pour m'assurer du mariage de l'héritière Choi est terminé mais je me suis promis de rester jusqu'aux secondes qui cloront cette histoire. Son avenir est avec lui. Je sais maintenant que ce type est un homme bien qui saura la rendre heureuse. Il n'a eu aucune réaction manifeste en apprenant notre relation secrète et s'est montré d'une patience inespérée. Je ne peux pas tout gâcher égoïstement. Il saura la protéger de ce père tyrannique. Il en a l'influence et les moyens financiers. Je ne suis qu'un garde du corps, à la tête d'une entreprise convenable sans renommée internationale, qui tire désormais un trait sur l'espoir d'un happy end pour sa vie sentimentale. Mais le soleil n'est pas encore levé et je mets mon plan en route pour voler au fils Park quelques heures qui me seront précieuses. 

Jiu semble désespérée suite aux exigences des photographes pour le shooting photo organisé avant les noces. Madame Park et Doona terminent de débattre sur le plan de table et les détails sur la salle. Pour l'occasion, le wedding hall de trois étages a été entièrement réservé pour ne pas que des intrus s'infiltrent dans le bâtiment et capturent des images du moment, l'exclusivité ayant été accordée à un magazine renommé. Les trépieds sont déjà installés, prêts à accueillir les photos en impression grand format des futurs mariés et un technicien commence à réaliser le montage qui sera projeté en fond pendant la représentation du célèbre chanteur de K-Pop, Kim Taehyung. Jimin joue à la perfection son rôle de tampon en calmant les délires de la professionnelle et en offrant quelques minutes de répit à ma princesse. L'assistante de Choi déplace sans cesse sur l'autel de cérémonie les châtaignes, symboles de fécondité, les feuilles de pin qui rappellent la loyauté et le bambou pour la fidélité, l'ordre ne convenant jamais. La célébration du mariage ne durera que deux heures mais elle prend des proportions inquiétantes. 

Je m'avance vers la promise et lui tends la main pour l'aider à se relever de sa chaise. L'organisation de la salle est loin d'être terminée puisque tant de petits gestes restent à faire avant la mise en place des couverts et des fleurs, demain. Même si elle ne me pose aucune question sur mes intentions, je la vois bien s'interroger sur ce qui me motive à l'écarter de ce cirque. 

— Pas si vite, vous ! Il nous faut retoucher le maquillage pour refaire quelques photos de la préparation de la mariée. 

Je peux entendre la victime du jour soupirer de désespoir et soulever légèrement les pans de sa robe de mariée afin de subir cette tâche. La cérémonie de l'oie réalisée la veille a achevé d'égratigner sa joie de vivre. Doona s'est octroyé le rôle qui revient habituellement à la mère de la fiancée, de lancer l'animal en bois, en vue de déterminer le sexe du futur enfant. Celui-ci est retombé sur ses pattes, annonçant la venue d'un garçon lorsque les futurs époux auront consommé leur mariage. Je me refuse de penser à ce moment et insiste sur le départ de Jiu. 

— Mademoiselle Choi, vous êtes attendue pour la retouche de la robe principale, dis-je dans l'espoir d'être assez crédible.
— Quoi ? Mais je n'ai rien qui indique cette... commence Doona. 
— Je me suis chargé d'organiser ce rendez-vous de dernière minute, intervient Jimin. Jiu a perdu quelques kilos depuis le dernier essayage et doit s'assurer de la perfection du vêtement. 

L'étonnement de ce coup de main inespéré me surprend, surtout que le fiancé m'accorde le loisir de transporter seul l'héritière, renvoyant Hoseok et Namjoon à d'autres tâches ingrates. J'aperçois le clin d'œil de Lucas qui retrouve très vite son masque de fer tout en s'assurant de la sécurité des lieux avec les autres gardes postés un peu partout dans le bâtiment. Je me détends aussitôt en entrainant celle qui est encore à moi pour quelques heures, jusqu'à la voiture gardée au parking du sous-sol. Sa grande robe blanche, plus massive que l'officielle, ne facilite pas son installation sur la banquette mais je n'abandonne pas mon pari fou. 
Il nous faut quarante-cinq minutes de route pour atteindre la destination de mon choix et les yeux de Jiu s'écarquillent avant qu'elle n'explose d'un rire satisfaisant. 

— Tu m'emmènes faire une randonnée ? A dix-neuf heures alors que le soleil est maintenant couché ? 
— As-tu peur du noir, princesse ? 
— Seulement quand tu n'es pas là, me répond-elle de la même œillade envoyée. 

Les sportifs ont abandonné les lieux avec la fraicheur ambiante, ce qui nous permet de ne pas attirer la curiosité des passants avec nos tenues peu en accord avec le paysage. Je récupère dans le coffre les baskets de l'héritière Choi et les lui fais enfiler afin qu'elle puisse me suivre jusqu'à l'endroit voulu. 

— On va se repérer à la lumière de nos portables ? s'inquiète-t-elle.
— J'ai des lampes frontales. Mais si tu ne veux pas abimer le travail de la coiffeuse, je comprendrai et accepterai de te laisser déambuler dans l'obscurité. 
— File-moi ton truc, réplique-t-elle sans hésiter. 

L'installation achève de nous transformer en de véritables individus loufoques déguisés pour un événement indéterminé. Ma petite princesse ne peste pas sur le sentier légèrement pentu, même quand elle arrive à bout de souffle soixante-douze minutes plus tard, le bas de la robe déchirée, près d'un immense arbre aux racines fuyantes.

— Tu cherchais un arbre en particulier pour un pique-nique nocturne ? Je sais qu'il est très beau celui-là mais on aurait pu se contenter de l'autre à côté de la voiture, me taquine-t-elle. 
— Viens par là, grande bouche. 

J'attire son corps pour qu'elle regarde au-delà des branches touffues et lui révèle la vue panoramique de Séoul. Je profite de sa béatitude pour installer les guirlandes lumineuses et l'enceinte que je portais dans mon sac à dos. La piste de danse, au bord du vide, est créée pour que je lui dévoile mon coeur qui s'apprête à s'éteindre. 

— Choi Jiu, tu es la plus belle âme qui m'ait été donnée de rencontrer. 

Les premières notes de ce mashup de Perfect d'Ed Sheeran et Happier d'Olivia Rodrigo illustrent parfaitement nos caractères qui font de notre histoire un bijou unique. Je récupère sa main et lui offre les derniers pas de danse avant qu'un autre ne prenne le premier rôle dans sa vie. Jamais je n'aurais cru tomber dingue de ce petit bout de femme que j'ai aidé à se réveiller du calvaire qu'elle acceptait irrémédiablement dans son existence. Jiu n'est pas quelqu'un de facile à vivre mais l'aimer ne m'a jamais paru aussi évident. A la seconde où j'ai posé mes lèvres sur elle dans cette piscine, j'ai su que mon coeur ne m'appartenait plus. 

— Mademoiselle Choi, sache que je serai toujours à toi. Ne l'oublie jamais. 

Je pèse mes mots et ne prononce pas la réciprocité car je ne souhaite pas me voiler la face. Dès qu'elle passera les portes du bâtiment, je m'effacerai de sa vie. Mais elle l'ignore ou ne semble pas l'envisager, tant son corps se détend contre moi, nos mains emmêlées pendant que nous nous mouvons au rythme de la musique. En rond, au bord du précipice, à l'image de notre histoire qui n'a été qu'une succession de mèches allumées au-dessus d'un brasier. Dans le creux de l'oreille, je lui murmure mon amour et la sens se réfugier contre mon torse. J'aimerais tant l'entendre prononcer ces trois mots dévastateurs mais n'insiste pas et la laisse effleurer ma peau et mon coeur battant. 

Ce soir, je m'accorde le droit d'être égoïste et de vivre ce moment avec elle. Mais demain a un goût de fin. Je dois être fort car je fais cela pour elle, pour qu'elle soit heureuse. 
Avant que la musique ne se termine, Jiu s'arrête et me fixe de ses yeux luisants pour partager ses sentiments. 

— Chris, tu as les clés de mon coeur. Ne les perds pas. 
— Jamais, lui promets-je en sachant que le goût du mensonge est sur ma langue. 

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant