Bodyguard : Le Soldat et la Promise

69- Un secret, un choix

Cette prise de conscience de l'importance du moment présent se brise aussitôt le pas de cette inconnue fait en ma direction. Mon corps se mue en une carapace qui me protège des sentiments que je pourrais extérioriser et de l'attachement qu'elle pourrait réveiller. Je l'entends murmurer mon nom, comme si elle s'accordait le droit de le prononcer après des années de silence et tend vers moi une main fragile. Son visage me fait prendre conscience que le temps a passé, que sa vie a continué, sans moi. Mon regard lui envoie toute ma peine qui se déploie, la rancune d'avoir grandi avec cette faille, ce père violent et cette sensation de ne jamais avoir mérité l'amour que les autres exhibaient. J'ai appris à jouer avec les règles de ce monde odieux, faux et sans pitié alors qu'elle m'a effacé en donnant naissance à cette autre fille. Ce sentiment d'injustice réveille une colère sourde et l'envie de recommencer à mon tour une nouvelle vie que je mériterais. 

— Jiu, ne reste pas à la vue de tous, me conseille Chris qui m'entraine vers l'intérieur du restaurant par les épaules, comme s'il craignait que je m'effondre dans la seconde. 

Cette femme qui n'est pas digne de mon temps, entre à notre suite et verrouille en plaçant un panneau qui indique la fermeture de l'établissement. Je réalise à quel point cette poursuite d'un vieux rêve était une erreur. Parfois, il vaut mieux laisser le passé là où il est quand on n'est pas prêt à affronter les fantômes qui le hantent. 

— Madame Bae, y a-t-il un endroit où nous pourrions discuter ? questionne Jimin. 
— Je... Oui, suivez-moi.

Mes pieds refusent d'obéir à celle qui n'a jamais fait l'effort de venir me voir pendant ces seize années de douleur. Mon coeur réveille sa plus belle cavalcade au son de la voix de celle qui a bercé mes nuits et soigné mes bobos avec des bisous magiques. Je voudrais tant m'empêcher de repenser à ce doudou qu'elle ramassait et glissait contre moi lorsque je paniquais pendant les soirées marquées des cris de mon père. Je me hais pour cette gorge qui se serre et la lourdeur de mes yeux qui ne demandent qu'à s'exprimer. 

— Ma puce, reste près de la caisse pendant que nous allons en cuisine, indique-t-elle à sa fille. 
— Oui, maman. 

Mon coeur se brise un peu plus, conscient de ne pas être invitée dans cette relation fusionnelle que l'on m'a injustement retiré. Je remarque sa difficulté à me regarder alors qu'elle s'assure du bien-être de sa deuxième chance en frottant ses mains sur ses bras. Sa fuite se symbolise par son entrée dans la zone située à l'arrière du restaurant. Jimin est obligé d'attraper ma main pour ne pas me laisser l'opportunité de m'en aller. Je ne désire pas être là. Je regrette les espoirs passés. Les garçons saisissent la seule chaise disponible pour me positionner en face de celle qui en espère trop de moi. J'agis en l'imitant mais me refuse à desceller les lèvres. 

— Je... ne m'attendais pas à te voir ici, m'annonce-t-elle. 

Voilà donc la première chose qu'elle a à me confier après toutes ces années. Quelle déception...

— Nous sommes désolés du dérangement, madame Bae. Votre sœur nous a transmis un message et cette escapade s'est faite sans grande organisation. 
— Ce n'est rien. Vous devez être Park Jimin ? 
— C'est bien ça. Voici mon garde du corps, Lucas et Chris, celui de Jiu. Je suis le fiancé de votre fille. 

Ce dernier mot me fait tiquer car je n'accepte pas que le simple fait d'avoir mis au monde un être humain lui octroie ce statut. L'abandon efface tout ce qui nous reliait. 

— J'ai appris pour vos fiançailles à la télévision. C'est une telle joie de voir que vous faites le bonheur de Jiu. Je vous souhaite que ce mariage soit le plus beau jour de votre vie et regarderai les photos qui seront publiées. 
— Tu pourras te rattraper avec ton deuxième enfant, lêché-je sans retenue.