26- Des angoisses

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Mes habitudes universitaires redeviennent un plaisir avec Han et Hwasa à mes côtés, me faisant prendre conscience que j'ai été une très mauvaise amie en ne me renseignant pas sur les absences récurrentes de Solar, quatrième membre du groupe mais souvent oubliée.

— Vous savez ce qu'elle devient ?
— La dernière fois qu'elle m'a adressé la parole, c'était à la soirée. Puis je l'ai aperçue montant les escaliers avec Jung donc je ne m'en mêle plus, s'agace Hwasa.
— C'est quand même un peu radical cette façon de nous tourner le dos.
— En même temps, on a attendu vingt ans pour réagir donc elle n'a peut-être pas tort de se trouver d'autres meilleurs amis, me fait remarquer Han.

On ne peut pas dire que son absence ait été insupportable mais c'est la dure réalité des petits groupes formés depuis des années qui se suffisent à eux-mêmes.  Je pense très souvent que je devrais faire un effort pour me lier d'amitié avec davantage de personnes car je me repose sur ma popularité et dans ce monde, un rien peut la faire basculer vers l'horreur.
Ma motivation à rester dans cette bulle satisfaisante me pousse à trouver de nombreuses excuses pour éviter mon faux petit ami. L'excuse de la soirée imminente en est un exemple parfait pour justifier que j'accorde mon temps présent à d'autres. Mais je n'échappe pas au dîner en compagnie de mon père et de quelques-uns de ses partisans importants. Je pense aussitôt à la folie d'hier dont il a dû être prévenu et à la colère qui m'attend. Pourtant, c'est avec le sourire qu'il réserve à ses électeurs qu'il m'accueille et m'invite à m'asseoir à table.

La sensation est troublante car je n'ai jamais joué un rôle assez intéressant pour mon père, au point qu'il ait besoin de me prendre avec des pincettes. D'un geste de la main, une fois tout le monde installé, il indique le début du repas et les plats sont posés entre nous.

— Tout se passe bien à l'école, ma chérie ?

Je hausse un sourcil en direction de Doona qui se sert en kimchi, sans que ce terme affectif sorti de nulle part ne la choque.

— Oui. Je travaille dur et j'ai de bons résultats.
— Parfait. Je suis fier de ton implication. Je me souviens comment ces années de cours étaient longues mais elles sont nécessaires pour obtenir une bonne place. Ton objectif est-il toujours le même ?

Dès mon plus jeune âge, mon père m'a appris à donner du sens à mes actions. Ne jamais offrir de son temps à une cause qui n'en rapporte rien. Toujours viser haut avec l'obligation d'atteindre ses objectifs. Au moment où beaucoup s'impatientent de devenir majeur pour boire, je redoutais ce qui impliquait les études et le lancement dans une carrière professionnelle. La politique ne m'intéressant pas, au grand dam de mon père, je me suis donc tournée vers le poste de juge à la Cour suprême. Aucune femme n'a jamais réussi à exercer ce rôle et je ne crois pas que ça inquiète mon géniteur car il s'attend sûrement à ce que mon futur mari exige que je m'arrête de travailler lorsque je tomberai enceinte. Cette perspective est des plus déprimantes mais si courante dans les familles aisées. Le rôle de la femme est celui d'apparat. Elle s'assure de la réussite de ses enfants, participe à des moments conviviaux avec les autres épouses d'hommes influents, se vante de ses dépenses excessives qui indiquent la richesse de son mari et enchaînent les dîners mondains. Et la simple idée de devoir jouer ce jeu toute ma vie me déprime.

— Il n'a pas changé, papa.

La familiarité que j'utilise le met mal à l'aise mais je remarque qu'il ne me le fait pas me le faire remarquer pour autant.

— On m'a raconté quelques-uns de tes petits secrets. Veux-tu en parler de toi-même ?

La panique me prend subitement. Je me tourne vers mes gardes du corps, témoins présents de mon passage chez Han et du groupe Alpha l'ayant éjecté de la maison. Le moment est-il venu pour que je paie mes erreurs ? Pourtant la voix de mon père me semble si douce. Peut-être que si je lui avoue tout maintenant, il ne m'en tiendra pas rigueur ?

— Je...
— Tu as un rendez-vous avec Kim DoHyung, n'est-ce pas ? Pouffe-t-il derrière son verre.

Je cligne trois fois des paupières et cherche quel est l'élément sympathique derrière ce fait. Mais mon père sourit à ses sous-fifres comme s'il était gêné de dévoiler une part de ma vie privée.

— J'ai vu quelques-uns de vos selfies. C'est très... Je suis content que ce garçon te plaise.

Je me tourne vers Doona qui imite parfaitement le gloussement de la dinde. Sa place serait plus appropriée sur cette table. Mais l'urgence est de rectifier cette erreur. 

— Nous jouons un rôle. Rien de tout cela n'est vrai.
— Mais bien sûr, dit-il en mimant des guillemets. Vous, les jeunes, vous suivez tout le temps les règles sans profiter de ce rapprochement pour déraper.

La simple idée d'embrasser l'autre abruti me fait grimacer de dégoût. Je fixe mon plat encore vide et me demande si je vais finalement réussir à le combler sans tout renvoyer.

— Elle n'a déjà plus d'appétit, ricane Doona. C'est l'amour.
— Non. Pas du tout, m'offusqué-je mais les rires s'intensifient à mon encontre.

Je suis maintenant la risée de cette tablée. Quoique je dise pour me défendre, cela est tourné à la dérision comme si j'étais encore une collégienne qui fantasmait sur mon voisin de table. Je n'obtiens aucun soutien de la part de l'équipe de surveillance de mon père qui obtient le droit de faire entendre leurs émotions ni de Namjoon, soudainement très corporate.

— Tu as raison de ne pas trop te sustenter si tu le vois dans pas longtemps. Il faut que tu sois à ton avantage, lâche-t-il en redevenant l'homme politique manipulateur. Les hommes aiment les femmes élégantes, celles qui les mettent en valeur sur les photos. Évite l'alcool tant que possible s'il y a des caméras qui traînent.
— Nous avons fait une trêve avec les Kim, le rassure Doona.
— Certes mais il serait préférable qu'il n'y ait pas de quoi nous faire chanter. Ils ont déjà l'avantage de ma petite fille se soit amourachée de lui. Je suis certain que DoHyung se maîtrise encore pour gérer la situation d'une main de maître.

Je prends le temps de tourner la tête pour lever mes yeux au ciel sans être remarqué. L'idée qu'un homme soit forcément supérieur à la femme est exaspérante. Je serais donc la première à écraser cet adversaire pathétique, une fois l'accord levé.

— Je t'ai attribué Chris Bang comme protection. Ca suffira amplement mais il a ordre de rester en retrait pour que tu puisses t'amuser avec tes amis, m'indique Doona. 
— Ce ne sont pas mes amis mais ceux de DoHyung. Mais merci pour l'information. 

Je suis étonnée de me savoir surveiller par un seul garde alors qu'il s'agit d'une festivité en milieu extérieur, inexploré jusqu'à présent avec le fils du principal opposant, déjà connu pour ses coup-bas médiatiques. Mais un peu de liberté n'est pas pour me déplaire, surtout si cela inclut mon nouveau garde du corps. Mon corps ne se souvient que trop bien de sa participation au secret que j'ai gardé jusqu'à ma pause déjeuner. Je serais même prête à changer mes plans pour rester en sa compagnie, plutôt que d'assister à cette soirée en petit comité qui ne m'attire en rien. Je n'aurais pas dû accepter si facilement sa condition d'exclure mes amis. Je n'oublierai pas de lui rendre la pareille dans une activité qui ne sera pas à son avantage. L'idée d'une humiliation prochaine me redonne finalement le sourire et l'envie de dîner, pour le plus grand agacement de mon père. 

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseWhere stories live. Discover now