10- Verre brisé

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Mon réveil n'a jamais été aussi tardif. Mon père m'a appris depuis ma plus tendre enfance que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Je n'ai donc jamais eu le choix quant à de possibles grasses matinées. A vrai dire, je ne suis pas sûre d'avoir déjà eu mon mot à dire sur les plannings qui s'enchainent et les innombrables représentations. Ma vie est un show perpétuel, qui se déroule devant les caméras ou sous l'objectif de mon smartphone. 
Pourtant ce matin, je traine dans le lit, bercée par les ronflements de Han, dans l'espoir que ma sentence disparaisse comme par magie. Evidemment, la patience de mon père connait une rupture et c'est sans sommation que Hyunjin et Namjoon pénètrent dans ma chambre, dans un vacarme tonitruant. Mon meilleur ami se réveille en sursaut et agite ses membres tandis que je ne fais que me lever avant d'en recevoir l'ordre. 

— Ton père t'attend immédiatement dans le salon, m'informe le chef de la sécurité. 
— Tu n'es pas rentré chez toi? Me renseigné-je alors que le turn-over aurait déjà dû être effectué. 
— La faute à qui, me répond-il exaspéré. 

Je ne récupère qu'un kimono de soie que j'enfile par-dessus ma nuisette pour éviter de me présenter dans une tenue peu recommandable. Mon cas étant déjà désespéré, je compte bien esquiver la condamnation à perpétuité en jouant la fille contrite. 

— Toi, enfile de suite des fringues. Tu as cinq minutes pour déguerpir avant que je ne te balance dans cet état devant le portail. 

Les menaces de Namjoon ne sont jamais à prendre à la légère et même s'il marmonne pour la forme, mon meilleur ami n'a pas l'audace de s'opposer à cet ordre. C'est donc à peu près en même temps que nous descendons les marches de l'escalier et nous nous quittons. L'un se rend vers le salon quand l'autre est chassé comme un malpropre. Nul doute que Han aurait été prêt à me défendre si je lui en avais fait la demande mais il vaut mieux que je sois la seule à subir les conséquences de mes actes puérils. 
Lorsque je fais mon entrée dans l'espace de vie favori de mon géniteur, je constate que l'heure est grave car son armada est réunie derrière lui tandis que mes bodyguards sont alignés juste en face, autant sur la sellette que moi. Même le nouveau, Chris, est invité à mon humiliation programmée et ne me verra plus comme la princesse des lieux dans quelques secondes. 

— La voilà enfin, s'offusque Doona tandis qu'elle sert deux Martinis et se réinstalle à proximité du chef de maison. Cette petite mériterait une bonne correction pour son manque de ponctualité. Oser nous faire attendre alors qu'elle...
— Ca suffit! L'arrête mon père. 

Le ton de sa voix me laisse comprendre qu'il a accumulé une rage qui ne va pas tarder à s'abattre sur moi. Avec les sourires et poignets de main qu'il accorde devant les caméras, cet homme fait battre le cœur des ménagères qui rêveraient de combler le vide dans notre famille et sûrement réchauffer son lit. Mais je n'ai jamais été dupe de cette mascarade puisque j'ai toujours été celle sur qui il passait ses nerfs. Dans sa bouche, les mots sont des lames qui me tranchent inlassablement l'épiderme. Je ne suis jamais à la hauteur de ses attentes, alors à quoi bon essayer? 

Au moment où il se lève, mon coeur fait un bond que je ne parviens pas à canaliser. Chaque pas qu'il réalise fait trembler mes fondations et mes doigts accrochés à ce tissu de soie ne parviennent pas à camoufler mes tremblements. Je sais par habitude que je dois fuir son regard, lui montrer le respect qu'il attend pour minimiser l'impact. Mais aujourd'hui, je ne suis que paralysie et lui, l'incarnation de la terreur. La paire de Richelieu s'arrête si près de mes orteils que je crains de les voir être écrasés mais c'est une autre partie de mon corps qui est ébranlée. Deux de ses doigts se posent sur mon épaule et une lente poussée me fait fléchir les jambes jusqu'à ce que je m'agenouille. L'impact de ma peau sur ce bois dur est très vite oublié face à la menace grandissante au-dessus de moi. Dans la position la plus soumise, à genoux devant mon père, les yeux rivés vers le sol, j'écoute les actes s'énumérer. 

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant