46- L'opportuniste

4.4K 219 31
                                    

Je n'ai pas la chance de faire une grasse matinée puisque Doona entre dans ma chambre au petit matin comme si elle était chez elle. En la dévisageant malgré mes yeux collés et le brouillard qui enfume mon esprit, je parviens à me demander si elle a toujours été ainsi ou si le vice la rend encore plus laide.

— Bien le bonjour, ma petite Jiu. Comment est-ce de se réveiller en tant que fiancée d'une famille puissante ?
— C'est simple, c'est comme... Non, tu sais quoi, ça ne sert à rien que je t'explique, c'est quelque chose que tu ne sentiras jamais.

Je repousse le drap, consciente que le sommeil m'a définitivement quittée après la vision de DoHyung en costume, imposée par l'assistante qui fulmine de rage. Ses espoirs de devenir un jour ma belle-mère sont ridicules. Mon père lui aurait déjà passé la bague au doigt s'il y avait trouvé un intérêt. Mais il a à sa disposition un petit toutou qui le suce sans jamais avoir prononcé la moindre promesse. Pourquoi s'embêter ?

— Puisque tu es d'humeur aussi exécrable, je t'annonce que nous rencontrerons la mère de Kim DoHyung ce soir. Ce sera un dîner entre femmes.
— Et tu seras présente pour quelle raison ?

J'ai la sensation de la blesser par ma question alors que celle-ci est sincère. Je ne vois clairement pas ce qu'elle fera en s'ajoutant dans ce qui s'annonce être un combat à mort. Un adversaire sera déjà bien assez à affronter, je peux me passer d'un deuxième.

— Je serai ton garant de moralité, voyons. La figure de référence de notre famille. 
— Laisse-moi rire. Ne joue pas un rôle que tu n'obtiendras jamais. Et en passant, cette femme aura du boulot si elle doit faire passer un agresseur pour un saint.
— Arrête tes sottises. Nous avons tous convenu que cette petite querelle d'amoureux était derrière nous.

Je crois apercevoir la tension crisper les corps dans mes bodyguards du jour. Certains ont vécu ce moment horrible au cœur de l'agitation et n'acceptent pas non plus qu'il soit minimisé.

— Mais bien entendu, je peux te laisser gérer seule ton choix de robe, de fleurs et de décoration, si tu préfères, petite effrontée. À ce propos, tu peux choisir une autre couleur que le blanc, vu ton passé de dévergondée connu de tous.
— Je ferai les choses encore plus simples, Doona. Il n'y aura pas de robe car pas de mariage.

Un catalogue est balancé vers mon visage et rebondit heureusement sur l'oreiller. Sans que je n'ai besoin de l'ouvrir, je donne une nouvelle utilité à ce pavé de photos de vêtements que je n'essaierai jamais. Ce missile sera à projeter sur la mégère quand elle passera sous ma fenêtre.

Au coin, je vois Hyunjin et Félix s'éloigner en même temps que l'assistante alors que Namjoon a la curieuse réaction d'entrer dans ma chambre en fermant la porte derrière lui. Me savoir dans une pièce avec un homme autre que Chris allume tous mes systèmes d'alerte et me fait serrer très fort mon arme de papier.

— Je peux savoir ce que tu fais ?
— Je ne vais pas te proposer de cours, Jiu. Rassure-toi. Je suis seulement là pour te détendre.

Cet intrus se permet de poser son séant tout près de mes jambes et de devenir une cible à repousser dans les plus brefs délais. Pour lui faire comprendre ce qu'il m'inspire, je recule ostensiblement et ne montre qu'un visage fermé.

— Tu produis exactement le contraire de ce que tu espères. Tu peux t'en aller.
— Déjà ? Ça ne te gêne pas de passer des heures à bosser avec un autre, mais tu ne veux même plus flirter avec moi ?
— Toutes les mauvaises idées ont une fin. Et en parlant de ça, où est Chris ?
— Ah... Tu cherches ce bon vieux Bang Christopher. Il suit actuellement ton père. Je ne sais pas ce qu'il espère négocier mais il perd son temps.
— Il réalise peut-être à quel point cette situation est absurde au lieu de coopérer avec l'autre dragon.
— Quand tu es prise dans une toile, tu auras beau te débattre, Jiu, tu ne feras que renforcer la prise. Accepte ton sort, me lâche-t-il froidement avant de se redresser. Au passage, je t'informe que tu as ton premier entretien d'union au Fairytale cet après-midi. J'ai fait en sorte que ton amie Lya soit présente avec son fiancé pour qu'elle t'aide à retrouver la raison. Tu as donc une double bonne raison de te montrer à la hauteur de ton nom. Courage mademoiselle Choi, et pense à t'épiler.

Son cynisme me dégoute au plus haut point. Je n'attends pas qu'il soit parti pour sortir mes deux majeurs et cours verrouiller cette porte avec l'intention d'y rester ad vitæ aeternam.
Je tente immédiatement de récupérer des meubles lourds que je positionne devant la porte afin de bloquer l'entrée et m'assure de la solidité de la fenêtre. La branche que je vois de l'autre côté attire aussitôt mon attention. J'avais entendu le jardinier évoquer son élagage car elle représente un risque d'intrusion dans ma chambre. Je ne réalise que maintenant que ce qui peut entrer peut aussi sortir. Il ne m'en faut pas plus pour tenter de dénicher une vieille paire de baskets restée dans mon sac de sport et à l'enfiler avec une tenue adaptée aux acrobaties. Avec le déplacement de mon père et ma présence au domicile, il y a moins de gardes sur mon dos et une plus grande probabilité pour que je puisse m'échapper. La position des caméras dans le domaine ne m'est pas inconnue puisque j'ai été informée des espaces filmés mais aussi des rares angles morts. Ce sera surtout une question de rapidité pour atteindre le véhicule et quitter la propriété. Plus je l'élabore dans ma tête et plus cette idée me parait folle mais rencontrer la mère de DoHyung me convainc de ne rien lâcher à ma déraison. 

Un petit sac à bandoulière enfilé contenant mon portable, mes papiers et de l'argent, je vérifie qu'aucun individu ne circule dans le jardin pour commencer à grimper sur la branche. Les craquements n'ont rien de rassurant mais malgré quelques griffures sur les bras, je parviens à sauter sans encombre. De l'autre côté de la baie vitrée ouverte du salon, j'entends les reproches de Doona à mon encontre. 

— Cette petite garce n'en fait qu'à sa tête, mais je te promets qu'elle va ramener son cul au dîner de l'autre dinde. JaeMyung m'a demandé de planifier ce mariage et je ne dois pas le décevoir. Tu sais que j'ai dû verser des pots-de-vin pour son aventure avec l'étudiante ? Oui, j'ai bien dit étudiante. Elle n'a que vingt ans ! Pour qui est-ce que je passe, moi ? Dans le milieu, on me regarde comme Hillary Clinton. Ca m'a tellement chamboulé que j'en ai fait une crise de boulimie. 

Je décide de ne pas m'attarder, étant peu captivée par la vie soporifique de cette femme et déambule tranquillement vers le garage comme si ma présence était tout à fait naturelle. Le seul garde que je croise ne détecte aucune bizarrerie et poursuit sa ronde sans lancer d'alerte. Quatre modèles de berline s'alignent à l'abri des intempéries et me font de l'œil pour la suite de mon plan. Je récupère les clés accrochées au panneau mural et me munis d'un tournevis trainant à proximité pour crever les pneus des véhicules qui resteront sur place. Cette manœuvre, si simple dans les films demandent toutefois de l'énergie mais j'y viens à bout et commence à m'installer sur le siège conducteur. Comme chaque jeune adulte de mon âge, j'ai passé mon permis mais n'ai quasiment jamais eu l'occasion de conduire, avec mes gardes du corps trop précautionneux. 

Je m'apprête à activer le contact quand une silhouette se positionne de profil, devant la sortie de garage. Mon souffle se coupe, réalisant que mon escapade s'arrête là. Changbin bombe le torse quand je meurs d'envie de me cacher et il regarde fixement vers le portail. J'ouvre ma portière, résolue à baisser les armes sans mettre de bâton dans les roues à celui qui m'a soutenue dans une période difficile mais un drôle de conseil arrive jusqu'à mes oreilles. 

— Dans deux minutes, je vais me rendre au portail pour discuter avec le gardien d'un grésillement que j'aurais constaté afin de savoir s'il faut contacter la maintenance. Et peut-être que je montrerai mon plus beau visage de stupéfaction quand je verrai notre voiture passer. 

Le garde reprend alors sa marche en sifflotant jusqu'à atteindre la zone indiquée. Je fais alors un décompte stressant en partant de 120, avant d'inspirer profondément et de faire démarrer cette voiture. Je positionne le levier de la boîte automatique pour faire avancer mon carrosse et m'offre le luxe de foncer sur les gravillons pour passer le portail à toute vitesse. Afin de protéger la couverture de Changbin, il se pourrait que mon doigt d'honneur se soit levé en direction des employés de mon père. La liberté me tend la main et celle-ci va me conduire à Pocheon. 

Bodyguard : Le Soldat et la PromiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant