Mars - 4

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Lorsque j'arrive au parc, Caroline m'attend déjà. Ses cheveux sont coiffés en deux petites nattes, et elle a mis un foulard de soie comme bandeau. C'est très joli, comme d'habitude. Je me penche vers elle et ses lèvres se collent sur les miennes. C'est toujours aussi sympa, et pas désagréable du tout. Mais à l'intérieur, ça ne provoque plus rien. J'ai presque l'impression d'embrasser une amie proche, exactement comme Daisy.

Elle me sourit quand c'est fait, et sa fausseté me saute aux yeux. Pour quelqu'un de non averti, qui ne connaît pas aussi bien Caroline que moi, ça pourrait ressembler à des étoiles, à des paillettes, à une joie immense. Mais en fait, elle est au bord des larmes. Elle n'en peut plus et ne sait pas comment me le dire. Il faut que je la libère de tout ça et le plus vite possible.

Nous commençons à marcher, main dans la main. C'est l'un des seuls avantages de sortir avec elle. Pouvoir être proche sans être regardé de travers. Même si avec Miho, c'est difficile de se tenir de cette manière à cause de son fauteuil, je donnerais tout pour que personne n'ait rien à dire sur le fait que je pose mes mains sur ses épaules ou que mon regard s'attarde sur lui, pas du tout à la manière d'un meilleur ami. Plus on avance, plus je suis frustré par ces étiquettes. Je sais qui je suis, je sais qui j'aime et je voudrais tout simplement que l'univers fasse avec et me laisse en paix.

Nous nous arrêtons devant une statue qui est l'une des mascottes du parc. C'est une représentation toute en fer forgé du faune du Monde de Narnia. C'est une petite fierté pour la ville de Belfast que l'auteur de cette série de livres soir né et ait grandi ici. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'une des maisons de notre Grammar School se nomme C.S Lewis. Lorsqu'on était plus jeune, on adorait venir dans ce parc avec Miho. Et c'est à cet endroit précis que j'ai demandé officiellement à Caroline de sortir avec moi, en plein mois de septembre. Je m'en souviens comme si c'était hier ; je tremblais comme une feuille et je m'étais trop bien habillé. J'étais parfaitement ridicule.

Nous observons le faune sans un bruit. Je l'imagine courir dans la neige froide de Narnia avec ses paquets sous le bras. Boire un thé dans sa caverne et jouer de sa petite flûte magique qui endort les gens. Et puis, tout d'un coup, je me mets à parler.

- On n'y arrive pas, hein ? À faire illusion. À faire comme si on était heureux. On essaie, mais on n'y parvient pas. C'est comme Monsieur Tumnus. Il tente d'obéir à la Sorcière blanche et être méchant, mais il ne réussit pas. Parce que ce n'est pas lui.

- Parce que son cœur appartient au bien. Pas au mal, me répond une petite voix.

Je me retourne vers elle. Elle a les yeux plantés sur l'écharpe rouge du faune. Je reprends ma position précédente pour continuer la discussion.

- Je serais toujours amoureux de toi, Caroline. Parce que tu es mon premier amour. Mais je ne t'aime plus, je ne t'aime pas, et je pense que je ne t'aimerais plus jamais. Plus de cette manière. Plus avec cette force. Plus comme avant. Et il faut... il faut qu'on arrête d'essayer de coller. On ne doit pas être la Sorcière Blanche de l'autre.

- Tu fais des métaphores littéraires maintenant ?

- Non. Je tente d'exprimer mes idées. Et il s'avère qu'on est devant une statue représentant un élément phare de la littérature irlandaise. Je... laisse tomber. Je me sens con. N'importe qui me traiterait de con en fait.

- Parce que tu aimes un garçon et moi une fille, alors qu'on pourrait être bien ensemble, tous les deux ?

Elle s'est rapprochée de moi, et elle glisse ses doigts tout contre les miens. Je saisis sa main, sans doute pour la dernière fois. Elle trouve sa place, sur ma paume, et me serre de toutes ses forces.

Ciel d'automne [BxB]Where stories live. Discover now