Décembre - 7 / TW

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TW : Crise de panique

(la chanson n'a pas grand chose à voir avec le chapitre, mais j'écoute énormément Linkin Park en écrivant cette histoire.)


C'est ça le problème. Lorsqu'on a commencé à jouer ensemble, lorsqu'on est devenu ce duo indissociable, Miho m'a piqué un pan de mon cœur. Sur le coup, j'avais trouvé ça normal. Maman m'avait expliqué que se faire un nouvel ami, c'était comme donner une toute petite partie de son cœur à une personne. Et elle, en échange, elle nous offrait aussi un bout, comme ça, notre cœur se retrouve toujours complet. C'était une métaphore enfantine, c'est sûr, mais bon sang, ce qu'elle est vraie.

Imaginons que mon cœur soit un dessin fait par le moi de huit ans. Sur une feuille blanche, qui n'est pas dans le meilleur des états. Elle est froissée sur un coin, et j'ai dépassé au moment du coloriage aux crayons de couleur. Mais le cœur est tout rouge, bien là. Lorsque je suis devenu ami avec Miho, à six ans, je lui ai donné un bout de ce dessin. Et lui, du sien. J'ai collé ce morceau jaune sur mon cœur rouge. Quand notre rivalité a explosé sur le terrain de football, j'ai déchiré violemment ce bout de papier, en emportant du rouge avec moi. J'étais triste d'avoir perdu mon ami. Tellement triste. Et lorsqu'on s'est réconciliés, j'ai récupéré le jaune.

Et au fil des ans, on arrachait peu à peu de notre couleur pour en offrir à l'autre. Moi, je croyais que je donnais aussi des bouts aux filles avec qui je sortais. Sauf que c'était faux. La seule couleur que j'ai eue et qui est différente de celle de mon meilleur ami, c'était le bleu ciel de Caroline. Mais lorsqu'elle a déménagé, ce n'est pas du rouge qui est revenu. C'est du jaune. C'est Miho qui est revenu.

Ce mec comble tous les vides de ma vie. Lorsque je me plains de nos coéquipiers en carton, il est là. Lorsque je râle que ma copine est trop collante, il est là. Lorsque je fume comme un pompier, alors que ça va finir par foirer mon souffle, il est là. Lorsque je pleure après la complicité que j'avais avec mon frère, il est là. Lorsque je manque de mourir, il est là. Et c'est flippant.

C'est flippant, parce que mon cœur, ce n'est plus du rouge ou du jaune. C'est de l'orange.

Cette réalisation me coupe le souffle. Je m'arrête complètement dans ma tache et je commence à respirer fort. Je n'ai jamais eu de problème pulmonaire, et je ne crois pas que la cigarette provoque cet effet quand il n'y a pas d'effort réalisé par le fumeur. Tout doucement, je glisse mon doigt sur ma carotide et j'entends mon cœur battre à une vitesse exponentielle. Ça me fait encore plus paniquer.

Je n'ai jamais fait ce genre de crise. J'en ai déjà vu, parce que mon père y est sujet, et c'est toujours très impressionnant. Je sais qu'il se promène avec un sac en papier de la supérette du coin, pour pouvoir hyperventiler en paix, au cas où son anxiété prendrait le dessus. Je ne crois pas que ça soit héréditaire, mais le fait est là. Je suis en train de faire une crise de panique.

Je me lève d'un bond en renversant ma chaise au passage. Forcément, ça fait réagir mes collègues de travail. Mais je n'entends rien, comme si j'étais dans une forme de brouillard. Parfois, dans les séries, ils matérialisent le réveil après un coma de cette manière. La vue floue, l'ouïe qui fonctionne de travers. C'est un peu ça pour moi. Tout ce que je suis capable de percevoir, ce sont les battements de mon cœur, et ma respiration qui s'accélère. J'ai besoin d'air, et tout de suite.

Je me dirige à toutes jambes vers la fenêtre, et je l'ouvre en grand. Le temps aussi fait des siennes ; il pleut et vente, comme une vraie soirée d'hiver, alors que nous sommes toujours en automne. Je perçois quelques bribes de paroles, qui concernent surtout mon action d'ouverture. Il fait froid, et la pluie tombe dans une telle diagonale qu'elle entre dans la pièce. Mais je m'en moque complètement. Je sens l'air contre moi, et ça me fait du bien. Mes sens sont en train de revenir, mon rythme cardiaque se calme et ma respiration aussi. Peut-être que ce n'était pas une crise de panique, simplement une bouffée de chaleur. La chaudière des Andrews a ce problème depuis plusieurs années : soit elle fonctionne à plein régime et la maison est un four, soit elle se bloque et elle transforme les pièces en véritable frigo. De plus, nous avons lancé la friteuse, puisque les frites sont déjà découpées et prêtes à être trempées. Toute cette chaleur a eu raison de moi. Ce n'est que ça. Pas mes pensées.

Ciel d'automne [BxB]Where stories live. Discover now