Juillet - 4

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Nous nous retrouvons donc à trois, puisque Valentin a rapidement fini son travail - et en effet, il est musclé, sous son t-shirt jaune fluo. Il s'étire comme un chat, les bras au-dessus de la tête et les mains liées. Ses os craquent, et je suis obligé de retenir mes yeux qui naviguent sur cette peau hâlée striée. Je ne veux pas être un voyeur, et je ne souhaite pas remuer le couteau dans la plaie.

- Ça surprend toujours la première fois qu'on les voie. Et ne t'inquiète pas. J'ai été pareil avant tout ça, je ne pouvais pas m'empêcher de les regarder quand je voyais quelqu'un qui en avait. Je ne sais pas pourquoi l'être humain a cette fascination morbide pour les cicatrices. Ce n'est que la version illustrée de l'action réparatrice de la peau quand elle est attaquée. Rien de plus.

Il me sourit, et se remet dans une position plus agréable. Je suis entièrement silencieux, parce que je ne m'attendais pas à ce qu'il me devance.

- J'ai le droit à la même chose, déclare soudainement Miho. Certes, la mienne est plus cachée, mais les gens sont fascinés, et ils ont envie de la voir, même si ça veut dire que je vais devoir me déshabiller pour leur montrer. Elle n'est pas belle du tout, et elle me rappelle d'horribles souvenirs, donc la plupart du temps, je refuse. Et je ne sais pas si un jour, je vais pouvoir me remettre en maillot de bain, en dehors de mon cercle familial. Parce que dès qu'on remarque mon fauteuil, ou le fait que mes jambes ne bougent plus, on veut voir ma cicatrice, et on me demande ce qui s'est passé.

- Pour moi, reprend Valentin, les gens n'osent pas. Parce qu'ils savent que c'est moi qui me suis infligé tout ça, donc ils ont peur de s'inquiéter de mon état, ou que je leur dise que je ne vais pas bien, que je suis en dépression, que je me mette à leur raconter ma triste vie et qu'ils soient obligés de m'écouter. Par contre, ils me fixent, comme si la totalité de ma personne s'arrêtait à mes cicatrices. Il y a même certaines personnes que ça dérange, et on m'a déjà demandé, à l'école, de ne pas mettre ma chemise d'été afin que ça ne se voie pas, ou même d'enfiler à nouveau mes bracelets éponges.

- Quoi ? m'étonné-je, franchement abasourdi.

- Ces personnes sont des autruches, reprend Valentin. Elles ne veulent pas savoir que leur environnement va mal. La dépression, les maladies mentales, même les maladies physiques graves, ça n'existe pas. Parce que ça ferait exploser leur bulle, et ça leur ferait se rendre compte que oui, ton oncle est complètement accro à l'alcool, et que non, ta mère ne va pas bien. La culpabilisation serait trop forte, alors ils préfèrent se cacher la tête dans le sable. Voir des gens comme moi, qui sortent leurs cicatrices, ça les dérange. Parce que je montre aux yeux de tous que j'ai survécu à mon traumatisme. Que j'ai survécu à ma tentative de suicide. Et au lieu de se réjouir du fait que je suis en vie, que je ne suis pas un nième jeune qui a mis fin à ses jours, ils râlent, parce que je viens déranger leur monde bien rose et mignon.

Je cligne des yeux, sur les fesses. Je le savais déjà pour Miho. Il n'y a qu'à voir la toute première fois qu'on a pris le bus ensemble, juste après son accident. Le conducteur ne l'a pas laissé monter, sous prétexte de l'heure de pointe. Il n'avait surtout pas envie de sortir la rampe, et de demander à ses chers passagers de se déplacer de l'espace réservé aux personnes à mobilité réduite. Forcément, certains allaient râler. Alors, à choisir entre plusieurs passagers de mauvaise humeur, et un pauvre garçon dans son fauteuil qui n'avait pas qu'à faire l'imbécile sur son scooter, il a vite pris son parti.

- Je suis vraiment désolé, Valentin. Je... je n'aurais pas dû te fixer comme ça. C'était malpoli.

- Ça ne fait rien. Je sais que tu es quelqu'un de décent et que tu ne vas pas me demander si ça me faisait mal de me couper tous les jours, ou si j'ai ramené mes lames à l'école. Je te l'ai dit. Ça surprend au début. Même Eliot l'a été, la première fois que je suis sorti sans mes bracelets éponges.

Ciel d'automne [BxB]Where stories live. Discover now