Ciel d'automne [BxB]

Février - 2

(évocation d'une agression lesbophobes, de propos sexistes/lesbophobes, évocation de mutilation et de mort)

En septembre, ça me faisait déjà frémir de peur. Mais celle-ci était facilement explicable ; je ne voulais pas être séparé de Miho. Je ne pouvais pas imaginer qu'il soit repéré par une équipe, et moi par une autre, et que nous soyons obligés de faire notre scolarité éloignés par des centaines de kilomètres. Pire, qu'on soit contraints de nous affronter. Lorsque je regarde ce moi, j'ai envie de rire jaune. Parce que tout cela, maintenant, me paraît ridicule.

Une part de ma personne rêve toujours de partir loin, dans une université réputée pour son programme sportif - celle de Durham est la première de ma liste. Me faire repérer par un centre de formation, jouer dans un petit club au début, puis un grand. Et le Graal ultime, être sélectionné pour l'équipe nationale. L'autre a les pieds bien ancrés sur terre. Parce qu'il y a ma mère, qui est peut-être partie pour un traitement extrêmement long. Parce que je ne me vois pas quitter Belfast en la laissant toute seule. Papa travaille pour ramener un peu de sous à la maison, et je n'ai pas confiance en Paxton. Et puis, il y a Miho. Ses perspectives de carrière similaire à la mienne sont réduites à néant. Alors, lui aussi, il risque de rester à Belfast. Faire une université communale. Se trouver un travail sous-payé, tout comme nos parents. Et je n'arrive pas à m'imaginer partir sur l'île principale sans lui. Je ne peux pas lui demander de me suivre, parce que ça serait incroyablement égoïste, et surtout, je suis presque certain qu'il ne pourrait pas. Alors oui, l'avenir me fait flipper.

Du coup, je joue à l'autruche. Miho déteste particulièrement cette appellation, parce qu'il n'apprécie pas du tout l'animal et le trouve idiot. Sauf que c'est ce que je fais. Au lieu de m'inquiéter de mon avenir, de bosser ma technique en foot, je sèche les entraînements et je fais comme si je ne voyais pas mes petits coéquipiers lorsque je les croise dans les couloirs. Dans un sens, c'est une vengeance pour ce qu'ils font subir à Miho. Mais dans l'autre, c'est moi qui m'affirme enfin. Je n'ai jamais aimé les personnes avec qui je joue, hormis mon meilleur ami et ce défenseur que je croyais être sympa. Il s'avère qu'il a des problèmes à régler avec lui-même et que pour l'instant, je ne peux pas l'approcher en dehors d'un terrain sans menacer de faire une crise d'angoisse. J'ai toujours peur que des réminiscences de la nuit du bal me reviennent en mémoire lorsque j'embrasse Miho. Je serais parfaitement incapable de l'expliquer.

La sonnerie me libère de mes pensées qui deviennent de plus en plus sombres. Dire qu'à la base, je partais du cœur orange de Miho. La tête est tout de même une belle sadique, qui adore nous faire tourner en bourrique. Si je ne la surveille pas un minimum, je risque de plonger dans une spirale infernale. Et je le sais pertinemment bien, parce que j'en ai discuté avec Valentin.

Le week-end juste avant qu'il décolle pour la France, Daisy a organisé une sortie pour nous. J'ai pris le soin de demander l'autorisation à Eliot avant d'inviter son copain à partager un café avec moi, et Miho m'a encouragé à faire cette démarche, pour parler de mon orientation sexuelle. Sauf qu'en fait, on l'a à peine évoquée. Moi, je venais juste d'apprendre pour ma mère, alors j'ai tout balancé. Un peu comme lorsque j'ai rencontré la footballeuse, en year 12. Avec un inconnu, c'est plus facile. Bien sûr, je ne savais pas pour le décès de ses parents, et je me suis senti incroyablement con et mortifié de me plaindre ainsi.

- Mais je te comprends, avait-il rétorqué. Je te comprends totalement, parce que j'aurais été dans le même état que toi si ça m'était arrivé. Ma mère était tout pour moi. C'est elle qui m'a amené à la littérature, et c'est la première personne à qui j'ai parlé de mon attirance pour les garçons. Donc je comprends. La mort des proches ça fait toujours peur. Mais dans un sens, et suivant mon expérience personnelle, je crois que si je l'avais vue dépérir, ma réaction aurait été bien pire que celle qu'a produite leur décès rapide et surprenant. Et maintenant, je me rends compte que ce que je viens de te sortir est vraiment horrible, et que j'ai dû te flinguer le moral.