Le violon de cristal : l'autre monde

Prologue 2 : Le message

 Depuis son balcon, un homme avait les yeux rivés sur le lointain. Les mains jointes dans son dos et ses traits sévères donnaient l'impression qu'il ne fallait surtout pas le déranger pendant sa contemplation.

Peu de personnes pouvaient, de toute façon, arriver jusqu'à lui. Le château dans lequel il se trouvait avait été construit à flanc de montagne, au beau milieu d'innombrables autres monts. Aucune route ne permettait d'y accéder et c'était à se demander comment un tel édifice avait pu voir le jour dans un endroit pareil.

Le château en lui-même ne ressemblait en rien à ce qui pouvait s'apparenter à une demeure gigantesque de plaisance. L'architecture austère faisait bien plus penser à une place-forte construite bien avant le grand cataclysme, lorsque les humains étaient les seuls êtres intelligents de ce monde et qu'ils se battaient encore à l'épée, à l'arc et avec des engins de siège rudimentaires.

Sur ce point-là, ils avaient bien régressé. Heureusement que la magie était venue combler le vide créé par le manque de technologie. C'était un mal pour un bien après tout le mal qu'elle avait fait à la planète et à ses habitants pendant les deux grandes guerres qui avaient suivi l'ouverture du portail.

Il était cependant impossible qu'un tel château date de ces années-là. Aucune de ces structures n'avait survécu au passage du temps, elle ne devait qu'avoir été inspirée par cette époque. Après tout, une telle architecture dans un endroit pareil donnait l'impression qu'il s'agissait d'une place-forte absolument imprenable par quelque moyen que ce soit.

— Maître ? appela une personne derrière lui.

Agenouillée près de la porte, cette nouvelle personne fixait le sol. Dans la pénombre qui régnait dans cette salle que l'on devinait être un salon aussi austère que l'architecture de la bâtisse, il était difficile de le distinguer.

— Qui a-t-il ? Questionna l'homme sur le balcon.

— Un message vient d'arriver. De la part de... lui.

Sans montrer une quelconque expression qui pourrait trahir son étonnement, l'homme tendit une main au-dessus de son épaule. Son serviteur se releva alors et lui remis un petit bout de parchemin enroulé.

— Tu l'as lu ?

— Non. Je vous l'ai apporté dès que j'ai su sa provenance.

— Bien.

Sans en ajouter plus, l'homme déroula le parchemin et le lut avec attention. Cette fois-ci, ses sourcils se froncèrent légèrement avant de reprendre une expression impassible. Tenant la missive du bout de ses doigts, celle-ci s'enflamma instantanément, les vents forts de cette altitude dispersant la moindre cendre qui persistait.

— Quelque chose de grave ? s'inquiéta le serviteur.

— Plutôt, oui. Convoque le Kiel'Felas.

— Pardon ? C'est à ce point ? Ils n'ont pas été convoqués depuis...

— Et n'oublie personne, ajouta-t-il. Pas même Kiel'soma.

— Mais Kiel'soma est...

— Réapparu. Trouve-le et remets lui la convocation.

— Cela va prendre du temps.

— J'en suis conscient, mais fais au plus vite.

— Bien maître.

Après s'être incliné encore plus qu'il ne l'était déjà, le serviteur se releva et quitta la pièce. L'homme, lui, retourna à sa contemplation. Celle-ci était cependant perturbée par les nouvelles qu'il venait de recevoir. Il savait déjà que les anges avaient tenté d'ouvrir la faille entre les deux mondes, mais celles-ci étaient vraiment inquiétantes.

L'ouverture, bien que trop étroite pour faire passer qui que ce soit, avait été stabilisée et une immense armée se réunissait devant le passage. Le temps était compté et il ne pouvait rien faire seul. Le Kiel'Felas était la seule réponse plausible à ce genre de nouvelle.

Cependant, si son serviteur s'inquiétait de ne pas trouver Kiel'soma, il en était de même pour deux autres membres. De ce qu'il savait, Kiel'saris et Kiel'olos ne connaissaient pas non plus l'existence d'une telle réunion. Cela n'allait ni être simple de les retrouver, ni de les convaincre de venir.

— Un ennemi redoutable a été vaincu, mais j'ai bien peur que cela n'ait mené qu'à l'apparition d'un autre encore plus terrible, souffla-t-il.

Les anges ne pouvaient-ils pas lâcher l'affaire ? Ils avaient un monde prospère dont les ressources étaient plus que suffisantes pour leur population. Quel intérêt avaient-ils à envahir celui-ci alors que l'extrême majorité des personnes qui y habitaient ne connaissaient même pas leur existence ?

Cette envie belliqueuse de toujours vouloir alimenter cette guerre qu'un camp avait fini par oublier était tout aussi égoïste pour le leur. Si elle éclatait, combien de familles de leur côté perdrait un être cher alors qu'ils vivaient paisiblement jusque-là.

Et tout ça pour quoi ? Récupérer un monde à l'agonie qui commençait tout juste à se remettre de blessures causées il y a mille ans de cela ? Peut-être n'était-ce que par pur ego, pour prouver à tout le monde qu'ils étaient une race qui leur était supérieur ? Il avait jusqu'au Kiel'Felas pour y réfléchir.

Si seulement la communication ne se faisait pas que dans un sens entre l'autre monde et ici. Il recevait parfois des messages, soit sous forme de souvenirs lorsqu'il s'agissait uniquement de faits rapportés, soit sous forme de message écrit lorsqu'il y avait une analyse de la part de l'espion.

Il avait ici pris le soin d'écrire son message, ce qui voulait dire que ses commentaires étaient importants. Heureusement, une seule lecture lui avait permis de retenir l'intégralité de la missive avant qu'il ne la détruise.

Il aurait aussi préféré la conserver pour la montrer pendant la réunion qui allait s'organiser, mais l'espion avait été bien clair sur ce qui devait arriver aux messages une fois qu'ils lui avaient été remis. De toute façon, s'il ne l'avait pas brûlé, l'encre se serait effacée quelque temps plus tard. Conserver une missive vierge, sur laquelle une magie empêchait de réécrire dessus ne servait pas à grand-chose.

Dans tous les cas, les prochains mois allaient être animés. Il fallait à présent qu'il s'organise pour que tout soit en place au moment du Kiel'felas. A ce moment, ils pourraient trouver une solution ainsi que, peut-être, mettre la main sur ceux qui avaient contrecarré les plans des anges et voir s'ils étaient assez puissants pour éviter une guerre qui semblait inéluctable.