Chapitre 17 : Convalescence et réflexion

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 Après les révélations choquantes sur la face cachée de la famille royale, le dragon et la démone avaient laissé Cristal seule pour qu'elle se repose. Mais comment voulaient-ils qu'elle trouve le sommeil après toutes les horreurs qu'ils avaient racontées ? Son père avait voulu la tuer, sa mère ne s'en était pas sortie, ses frères et sœurs étaient en réalité des monstres sanguinaires et celle qu'elle appréciait le plus était la pire.

Il était cependant vrai qu'elle n'avait jamais compris pourquoi les elfes exerçaient une telle emprise sur les autres races. À chaque fois qu'elle avait essayé d'en parler, on s'était moqué d'elle et, au mieux, affirmé qu'elle était trop jeune pour comprendre.

Elle qui avait toujours mis sa famille sur un piédestal, pensant qu'ils dirigeaient le monde parce qu'ils étaient un symbole de justesse et de droiture tombait de haut. En y réfléchissant bien, il avait été aisé pour son père de lui cacher la vérité. Elle avait passé toute sa vie dans le palais ou ses immenses jardins et n'était sortie que pour rendre visite à d'autres familles aristocrates.

Jamais la jeune elfe ne s'était rendue dans les endroits où habitaient les autres races. Elle n'était même pas allée jusqu'à se rendre aux mêmes endroits que le bas-peuple elfe. Les murs du monde illusoire qu'on lui avait construit s'effondraient et lui révélaient l'atroce réalité de celui bien réel.

Comment avait-elle pu être aussi naïve ? Aussi aveugle ? Pourquoi n'avait-elle jamais remarqué que les serviteurs autour de ses frères et sœurs changeaient constamment ? Elle ne pouvait cependant nier cet état de fait. À présent qu'on lui avait fait remarquer, elle se souvenait très bien qu'ils n'étaient jamais les mêmes.

Combien de personnes étaient mortes à cause de leur simple lassitude ? Comment pouvaient-ils être aussi cruels ? Le temps passé seule dans la chambre à ne pas pouvoir bouger lui apporta la réponse. Elle-même pouvait être capricieuse. Il arrivait souvent qu'une robe lui plaise, qu'elle la mette une fois et qu'elle la jette ensuite. Si sa famille n'accordait pas plus de valeur à la vie des autres races que elle à des vêtements pourtant somptueux, savoir qu'ils agissaient ainsi n'était plus vraiment étonnant.

Pendant plusieurs jours, Cristal ne vit presque personne. Ses seules visites étaient celles d'un satyre qui lui apportait un plateau repas et s'en allait sans dire un mot. Elle aurait préféré que ce soit Mélyne qui lui apporte, qu'elle puisse voir un visage familier, amical et qu'elle puisse se confier à elle. L'elfe comprenait cependant le message qu'ils voulaient faire passer en remplaçant Mélyne par une autre personne. La démone n'était plus sa servante. Elle n'était plus en position de donner le moindre ordre à qui que ce soit.

Après une semaine passée dans son lit, Cristal se sentait mieux. Ses bandages n'avaient jamais été changés mais le baume dont ils étaient enduits avait visiblement fait des miracles. À présent, tout ce qu'elle souhaitait était de sortir de cet endroit. Entre elle qui était restée presque tout le temps alitée sans se changer ni prendre de bain et le sceau qui lui servait de pot de chambre à côté de son lit, elle commençait sérieusement à ne plus supporter l'odeur qui régnait dans la pièce.

— Excusez-moi, dit-elle lorsque le satyre entra dans la chambre. Pourriez-vous demander au dragon qui était là à mon réveil de venir ? J'aimerais lui parler.

— Vous n'avez pas d'ordre à me donner, grogna-t-il en jetant presque le plateau sur le lit.

— Je le sais bien. Ça n'est en rien un ordre, juste une demande. Je suppose qu'il m'est interdit de sortir d'ici, donc vous êtes le seul contact que j'ai avec l'extérieur.

— Et alors ? Vous n'êtes pas satisfaite de vos conditions ? Sachez que vous êtes mieux lotie qu'une grande majorité des nôtres.

— Je ne veux pas le voir pour me plaindre de quoi que ce soit, mais pour continuer la discussion que nous avons eu. Je comprends l'aversion que vous ressentez pour mon peuple, mais...

— Non vous ne comprenez pas ! Vous ne comprendrez jamais ! s'emporta-t-il.

De rage, le satyre balaya d'un revers de la main le plateau qui se trouvait sur le lit et l'envoya, lui et toute la nourriture qui se trouvait dessus, s'écraser contre le mur d'en face. Ce soudain accès de rage avait fait sursauter la jeune fille, mais au moins il s'en était pris aux plateaux plutôt qu'à elle directement.

— Je... Je m'excuse. C'est vrai, je ne pourrai sans doute jamais comprendre le mal qui vous a été fait. Mais si vous m'avez sauvé la vie, c'est parce que je dois avoir un rôle à jouer, quel qu'il soit. C'est de ça dont j'aimerais parler avec lui. Pas me plaindre, juste comprendre ce qu'on attend de moi.

Avec un grognement pour toute réponse, le satyre se détourna d'elle et partit en claquant la porte derrière lui. Même si elle n'en connaissait pas la raison, son énervement devait être parfaitement justifié. Bien que ça ne soit aucunement le cas, rien que le fait de lui apporter à manger devait lui donner l'impression qu'il se comportait comme un serviteur le ferait avec son maître. Il avait eu beau lui hurler dessus, elle ne pouvait qu'être reconnaissante à son égard. Après tout, s'il n'avait pas fait ce travail qui le répugnait, elle serait morte de faim ou de soif et n'aurait pas pu récupérer de sa blessure.

Il ne lui restait plus qu'à attendre et espérer que le message soit transmis. Elle ne perdait pas espoir de ce côté là, mais il n'allait certainement pas se précipiter vers le dragon pour lui dire qu'elle l'attendait.

Après plusieurs heures d'attente, la porte s'ouvrit de nouveau et le dragon entra dans la chambre. Soit il était occupé soit le satyre avait fait un long détour pour se calmer avant de remettre le message. Dans les deux cas, elle ne comptait pas leur en tenir rigueur.

— Mon père va vous tuer, dit-elle d'emblée.

— Je m'attendais à beaucoup de choses en venant, mais pas à des menaces.

— Ça n'est pas une menace. Ça n'est pas non plus ce que je souhaite. Mais il découvrira bientôt que je ne suis pas morte, il trouvera cet endroit et il tuera tout le monde sans hésitation. J'ai beau être enfermée ici, j'entends bien qu'il y a beaucoup de monde à l'extérieur. Je ne veux pas qu'il leur arrive quoi que ce soit alors...

— Malgré ce que ton père aimerait faire croire, il n'est pas omniscient, la coupa le dragon. Il ne trouvera jamais cet endroit.

— Je l'espère. Autre question. Qu'est-ce que je suis pour vous ?

— Une morte en sursis, une prisonnière, une arme dénuée de volonté, un compagnon dans cette révolte, notre plus grand espoir. Tout dépendra des choix que tu feras.

— J'aimerais éviter d'avoir à mourir une seconde fois, être prisonnière ou me retrouver être privée de ma volonté ne m'enchante pas vraiment non plus. Que voulez-vous que je fasse ?

— Suis-moi, annonça le dragon en ouvrant la porte.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant