Chapitre 116 : Les deux faces du monde des anges

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 Pendant leur marche pour rejoindre la ville la plus proche, une discussion des plus intéressante pour les visiteurs avait été lancée. Les soldats, et leur chef encore plus, ne cessèrent au départ de demander à ce qu'il ne leur soit révélé aucune information, mais le fils du baron ne l'entendait pas de cette oreille. Voyant qu'il se fichait éperdument de leurs mises en garde, le contingent d'anges finit par s'avouer vaincu et les laissa discuter.

Si le groupe venu de l'autre monde restait tout de même méfiant sans pour autant le montrer ouvertement, le fils du baron, qui avait fini par se présenter comme étant Élane Volkan, semblait très ouvert et dépourvu de tout jugement à leur encontre.

Révéler leur origine aurait sans doute mis encore plus à mal leur couverture, mais leur sauveur n'avait pas posé la question telle qu'elle. Il s'était plutôt mis à donner des noms de lieux qui pouvaient lui être cohérents. Ils apprirent ainsi que le monde des anges était divisé en deux. Il y avait d'un côté les terres célestes, d'immenses régions qui flottaient dans le ciel et qui étaient les territoires exclusifs des anges et, en bas, les terres mortelles. Celui-ci était semblable à ce qu'était le monde des humains avant le grand cataclysme, à la seule exception près que d'immenses masses de roches passaient parfois dans le ciel et leur cachait le soleil.

Pour répondre à la question qui lui était posée, Elirielle annonça en toute décontraction qu'elle n'en avait aucune idée. Elle expliqua cela par le fait qu'ils vivaient dans un lieu plutôt reculé, sans aucun contact avec le reste du monde et qu'elle ne connaissait donc pas les noms qui avaient été donnés aux régions d'en bas.

Si cela surprit tous les anges, au moins, ils pouvaient maintenant justifier aisément leurs caractéristiques physiques étranges et le fait qu'ils ne connaissaient rien du monde d'en bas. La dragonne leur inventa donc une vie en communauté qui, tous le comprirent, ressemblait à ce qu'ils avaient vécus dans le château où ils avaient passé plusieurs semaines.

— C'est fascinant ! s'exclama le fils du duc. Je ne savais pas qu'il existait des territoires d'en bas totalement autonomes. Je suis curieux de savoir comment un tel peuple a pu évoluer sans la supervision des anges.

— Vous descendez souvent sur les terres mortelles ? Questionna Phi.

— Bien sûr ! Chaque île des terres célestes appartient à une grande famille et tourne au-dessus du territoire qu'elle administre.

— Vous avez donc asservi les personnes qui se trouvent en dessous de vous, souffla Elyazra en levant les yeux au ciel. Comme c'est étonnant.

— Comment oses-tu ?! Je vais t'apprendre à rester à ta place ! S'exclama le capitaine en invoquant son arme.

La main posée sur la cuirasse du soldat, le fils du baron le tint à distance et lui lança un regard noir. L'ange, bien qu'énervé, ne chercha même pas à lutter et rangea son arme avant de se retourner pour continuer la marche, grommelant dans sa barbe quelque chose d'inaudible, mais certainement pas des compliments à l'égard des visiteurs.

— Je vous prie d'excuser son comportement. Agir ainsi était déplacé envers des invités.

— Ne vous en faites pas, nous mettrons ça sur le compte de l'inquiétude provoquée par notre présence, lui assura Orélius pour désamorcer la situation.

— Pour répondre à votre question, je mentirai en disant que ça n'est pas le cas. Certaines familles considèrent les êtres d'en bas comme des inférieurs qui doivent les servir. Notre cher capitaine a d'ailleurs grandi sur l'une de ces terres avant de nous rejoindre ici. En ce qui nous concerne, nous préférons cultiver une relation plus saine. Ceux d'en bas ne sont pas asservis, mais sont nos sujets.

— Et quelle est la différence, à part le mot en lui-même ? Railla Elyazra.

Si Syara avait laissé passer son premier commentaire, elle lui donna tout de même un coup de coude dans le bras lorsqu'elle prononça celui-ci. Ils avaient trouvé un ange qui semblait pour le moment accueillant et qui leur livrait des charrettes d'informations sans s'en rendre compte. Ça n'était pas le moment de se fâcher avec lui !

— Ceux qui sont asservis vivent plutôt misérablement, se désola-t-il. Ils sont livrés à eux-mêmes et doivent travailler doublement pour se nourrir et nourrir ceux qui les exploitent. Ici, ils nous fournissent certes une partie de leur récolte, mais nous nous assurons de leur sécurité et de leur bien-être. C'est une relation complémentaire où tout le monde en ressort gagnant.

— Monsieur, intervint un soldat qui marchait à côté de Phi. Si je puis me permettre, je ne pense pas qu'il soit très avisé de critiquer aussi ouvertement les autres grandes familles et leur manière d'administrer leurs terres.

— De ce que je comprends, ils n'administrent pas, ils exploitent, commenta de nouveau la demie-dragonne.

— Notre invitée qui n'a pas sa langue dans sa poche n'a pas tort, admit Élane. Quant au fait de dire ce genre de chose sur les autres grandes familles, mon père a déjà dit bien pire et devant des personnes bien plus haut placé. De plus, eux ne se gênent pas de nous traiter ouvertement de faibles parce que nous avons choisi d'administrer nos terres ainsi.

Hochant la tête avec un air pensif, Elyazra finit par s'approcher de sa sœur et se pencher pour lui chuchoter à l'oreille. Cela faisait déjà un bon moment qu'elles se connaissaient et elle faisait toujours l'erreur de croire qu'elle avait les oreilles placées au même endroit qu'elle, s'amusa Syara qui, malgré tout, était toute ouïe.

— Bon, petite sœur, j'ai mûrement réfléchi, commença-t-elle.

— Ça promet ! Se moqua la violoniste.

— Arrête un peu, c'est très sérieux ! S'exclama-t-elle en lui tapant l'épaule, attirant ainsi l'attention de tous alors qu'elle voulait visiblement se montrer discrète et s'était d'ailleurs remise à chuchoter. Je disais donc. J'ai mûrement réfléchi et j'en suis venue à la conclusion que je l'aimais bien celui-là. Mais comme j'ai déjà Rael pour moi, je te le laisse. Je compte sur toi, d'accord ?

Comme il fallait s'y attendre avec son cri qui avait précédé cette chose si importante qu'elle avait à lui confier, tout le monde avait tendu l'oreille pour entendre ce qu'elle voulait lui dire. Une bonne moitié des anges était outrée, Orélius et Elirielle se retenaient de rire et il en était de même pour Élane qui avait l'air d'avoir le même état d'esprit qu'eux.

— Ely, ma chère grande sœur adorée, murmura Syara qui faisait tout de même exprès de parler assez fort pour que tout le monde l'entendre. Avec tout le respect que je te dois... Occupe-toi de tes affaires !

— Et voilà, je voulais être gentille avec toi et tu me cries encore dessus. Mais j'admets que tu as raison... Il doit très certainement mériter bien mieux que toi !

— Je vous préviens, si l'une renchérie, je la fais redescendre au village en l'enfonçant dans le sol jusqu'à ce qu'elle traverse de l'autre côté, menaça la dragonne avec un sourire aussi faux que terrifiant.

Cette fois-ci, les deux sœurs terreur se montrèrent raisonnables et n'ajoutèrent rien, se contentant de se séparer l'une de l'autre et de regarder dans des directions opposées. Si Elyazra n'avait aucun remord, Syara, elle, se disait qu'elle avait peut-être gâché cette rencontre avec un allié potentiel en réagissant au quart de tour.

— En tout cas, vous avez l'air de ne jamais vous ennuyer, rit Élane.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant