Chapitre 14 : jamais deux sans trois.

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 Après la réunion stratégique, tout le monde passa à table. Les harpies présentaient de nombreux plats à leur impératrice qui, presque exaspérée, disait calmement qu'elle n'avait pas besoin d'un tel traitement de faveur et qu'elle pouvait aller se servir elle-même. Malgré tout, Sae prenait le temps de les remercier pour l'attention qu'elles lui portaient.

Être une impératrice harpie ne devait pas être de tout repos, pensa Syara. Surtout lorsque, comme Sae, on ne pensait pas être au-dessus des autres. Heureusement, une fois tout le monde servi, les choses semblaient se calmer. Elles ne cherchaient pas à se comporter autrement qu'elles l'auraient fait normalement et l'ambiance était plutôt chaleureuse. Une nouvelle fois, Syara s'émerveillait de voir la complicité que celles qu'elle considérait comme ses deux protégées avaient nouée.

La beast se surprit même à imaginer un monde où leur mission aurait rencontré un franc succès et où Sae aurait décidé de rejoindre leur groupe. Ils auraient trouvé un moyen d'atteindre le coffre de cristal qui aurait confié à la jeune harpie un instrument qu'elle pouvait manier avec ses serres et ils seraient partis en mission tous ensemble.

Ce rêve n'était cependant pas près de se réaliser. Intégrer les harpies aux autres peuples allait sans doute prendre des années. Sae ne pouvait se permettre, comme l'avait fait Phi, de laisser son peuple pour partir à l'aventure. La beast pensa même qu'elle devrait profiter de ces moments d'insouciance aux côtés de Phi, car ces moments se feraient de plus en plus rares par la suite.

Le repas terminé, tout le monde partit se coucher. Quelques harpies avaient rejoint l'entrée de la grotte pour monter la garde, mais le reste s'était directement rendu sur les paillasses étendues au sol. De leur côté, le groupe, éreinté par le voyage, en fit de même. Seule Syara s'éloigna de tout le monde pour s'enfoncer plus profondément dans la grotte.

Ce qu'avait dit Elyazra plus tôt lui avait donné envie d'essayer d'entrer de nouveau en contact avec Fos. Elle ne voulait pas être dérangée pendant ce processus et vue que le violon émettait de la lumière dans le noir, elle ne voulait pas non plus déranger ceux qui voulaient trouver le sommeil.

Une fois qu'elle eut trouvé un coin tranquille, la mage invoqua son instrument et s'assit, adossée à la paroi de la grotte. Comme d'habitude depuis le combat final contre les anges, l'instrument semblait être dans un état léthargique. Il n'avait plus le même éclat qu'autrefois et lui paraissait terne.

Comme elle l'avait fait plusieurs fois auparavant, la violoniste plongea son regard dans la lueur bleutée de son instrument et fit le vide dans son esprit. Après plusieurs minutes d'attente, rien ne semblait se passer.

— S'il te plaît Fos, j'ai besoin de toi, supplia-t-elle. Aide-moi à comprendre ce qui se passe avec mes pouvoirs. Mets-moi au moins sur la piste. J'ai besoin de comprendre ce qui m'arrive. Je ne veux pas faire défaut à Sae alors qu'elle place sa vie entre mes mains.

Comme pour accompagner cette requête et la transformer en prière, Syara ferma les yeux. Cette fois-ci, même si elle ne voyait plus le violon, la beast sentit que quelque chose changeait autour d'elle. C'était encore trop faible, comme si elle était bloquée dans un état où elle n'était pas éveillée, mais pas tout à fait endormie non plus, encore à moitié consciente de son corps physique alors que son esprit partait à la dérive dans le royaume des songes.

Pour contrer cela, la violoniste ramena son instrument contre elle et le serra comme elle serrerait quelqu'un dans ses bras. Ce geste, né d'une intuition, sembla accélérer le processus. En ce qui lui avait paru n'être que quelques secondes, Syara se sentit plonger plus profondément au point de ne plus sentir son corps. À la place, elle avait l'impression de se tenir parfaitement debout et sentait qu'elle avait enfin réussi là où elle n'avait fait qu'échouer ces derniers temps.

En effet, lorsqu'elle ouvrit les yeux, la grotte avait disparu et l'environnement qui l'entourait était à l'image de son violon. Tout comme depuis l'extérieur, le sol, le plafond et les runes étaient plus ternes.

— Fos ? Appela-t-elle.

Personne. Qu'importe l'endroit où elle regardait, le premier porteur ne se trouvait nulle part. Ça n'était pas la première fois qu'il lui faisait ce coup-là en apparaissant dans son dos alors que personne ne se trouvait là l'instant d'avant. Ça avait d'ailleurs le don de l'énerver !

— S'il te plaît, dis-moi que c'est bien toi qui m'as permis de venir et pas l'autre taré qui veut ma mort à chaque fois.

En faisant un nouveau tour sur elle-même, Syara tomba cette fois-ci sur Fos. L'homme se tenait à quelques mètres d'elle. Silencieux et les mains dans le dos, il arborait un visage fermé.

— Ah, te voilà. Il faut que tu m'aides à comprendre ce qui se passe ! S'il te plaît, c'est très important.

— Suis-moi, se contenta-t-il de répondre avant de tourner les talons.

Sans rien ajouter de plus, Fos commença à s'en aller d'un pas rapide. Tout en le suivant, la beast lui posait toutes les questions qui lui venaient en tête. Cependant, l'esprit restait désespérément silencieux.

S'en était plus qu'agaçant, surtout qu'il la faisait déjà marcher depuis plusieurs minutes dans un environnement ou absolument rien ne pointait à l'horizon. Plusieurs fois la violoniste s'arrêta et demanda où il l'emmenait. À cet instant, Fos s'arrêtait un instant, lui jetait un regard indifférent pendant quelques secondes, puis repartait comme si de rien était.

— Mais tu vas finir par me dire où on va ? Hurla-t-elle, à bout, après un quart d'heure de marche.

Pour toute réponse, Fos pointa son doigt droit devant lui. Syara y aperçut alors comme une porte de lumière à seulement une centaine de mètres. Comment avait-t-elle fait pour ne pas la voir avant ? Elle avait pourtant fait bien attention à tout ce qui l'entourait !

— Entre, dit-il une fois devant.

— C'est quoi ? Comme dans le coffre, je dois passer des épreuves ?

— Non. Derrière ce passage se trouvent les réponses à tes questions. Entre, je te suis.

Bien que peu rassurée, Syara s'engouffra dans la lumière en plissant les yeux. Une fois de l'autre côté, ça n'était cependant pas si aveuglant que ça. La luminosité y était plus forte que dans le monde extérieur, mais il n'y avait rien d'insupportable.

Tandis que Fos passait à son tour et se plaçait à côté d'elle, Syara observa ce nouvel endroit. Il n'avait rien à voir avec ce qu'elle connaissait du violon. Le ciel était bleu comme lors de la dernière épreuve du coffre qui avait montré comment était le monde avant qu'un passage ne s'ouvre entre les deux mondes. Le sol était plutôt moelleux avec son tapis d'herbe grasse.

Devant elle se trouvait un petit bois qui cachait une cabane familière à la beast. Elle connaissait cet endroit. Il s'agissait de la maison de Shay ! Non, il n'y avait pas que la maison, tous les alentours étaient semblables. Que faisait un tel endroit ici ?

Le seul bruit qu'elle pouvait entendre était le clapotement de la rivière qui passait non loin. Elle comprenait de moins en moins ce qui se passait. Cet endroit respirait la sérénité, l'avait-il emmenée ici pour qu'ils puissent parler tranquillement ? Était-ce là où il vivait vraiment?

Pendant qu'elle se posait ces questions, un mouvement près de la rivière attira son regard. Une balançoire, qui n'était certainement pas présente chez Shay, avait été accrochée à un arbre et, sur celle-ci se trouvait ce qui semblait être... une petite fille ?

— Mais vous êtes combien à la fin dans cet instrument ? Lâcha-t-elle.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant