Chapitre 118 : L'interrogatoire du baron

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 Guidé par le baron et son fils, le groupe arpenta les couloirs du manoir et entra dans un grand bureau luxueux. Du marbre blanc, des tapis, des tapisseries et des tableaux somptueux, un miroir aux contours dorés faits sans doute de la main d'un orfèvre renommé, des babioles brillantes entreposées minutieusement qui devaient très certainement se transformer en véritable plaie quand venait l'heure de faire les poussières, un lourd bureau fait de bois blanc... Syara pensait que tout cet étalage de richesse était presque trop, mais se ravisa. Il s'agissait du presque qui était de trop dans cette réflexion qu'elle s'était faite.

Mise à part le siège qui se trouvait derrière le bureau, deux chaises étaient collées à un mur. Il n'y avait donc pas assez de place pour tout le monde. Le baron ne réagit pas à ce fait et, vu la place qu'il prit, non pas derrière le bureau, mais devant et appuyé contre celui-ci, il était clair que tout le monde allait rester debout jusqu'à ce qu'ils sortent d'ici.

Tout le monde ? Syara voyait déjà le coup venir et surveilla avec insistance sa sœur. Elle était parfaitement capable, sans demander quoi que ce soit, de se permettre d'aller prendre place sur une chaise ou, pire, sur le fauteuil. La demie-dragonne restait cependant immobile et finit par remarquer qu'elle était surveillée.

— Quoi ? Tu m'en veux encore pour ce que j'ai dit tout à l'heure ?

— Non, non. C'est juste que... Oublie ça, ça n'est rien.

Ça n'était certainement pas le moment de lui révéler qu'elle voulait l'avoir à l'œil pour éviter qu'elle ne fasse quoi que ce soit que le baron prendrait mal. Si elle lui avait révélé la pensée qu'elle avait eue, il était certain qu'un nouvel esclandre aurait éclaté.

— Avant tout, sachez que je vous suis profondément reconnaissant d'avoir sauvé mon fils. Le perdre si peu de temps après avoir perdu sa mère aurait été un coup terrible dont je ne me serai sans doute pas relevé. Cependant, malgré cet acte héroïque et, je n'en doute pas, désintéressé, comprenez qu'en tant que responsable de cette île céleste, mon devoir m'impose de vous poser certaines questions.

— Nous vous écoutons et répondrons à vos interrogations, affirma Elirielle avec assurance.

— Merci de votre compréhension. Tout d'abord, j'aimerais que vous me disiez d'où vous venez et quel est la raison de votre présence sur les terres célestes.

— Comme nous avons eu l'occasion de l'expliquer à votre fils, nous venons d'un lieu reculé qui n'est pas sous la juridiction des anges. Quant à la raison de notre présence ici, il s'agit d'une pure curiosité. Nous voulions voir ce qui se cachait sur ces morceaux de terre qui volaient dans le ciel.

Dommage, se dit la beast. Si elle trouvait qu'insinuer qu'ils venaient d'un village reculé était une très bonne idée, elle trouvait aussi que la simple curiosité comme raison de leur présence avait ses failles. Sans bonne raison de venir, rien ne les empêchait de les renvoyer de là où ils étaient censés venir. De plus, cette excuse n'était que peu crédible vu qu'ils avaient tenté de se faire passer pour des anges. Avec cette information, le baron pouvait très bien se rendre compte qu'ils savaient qui ils allaient croiser en venant ici.

— Je vois, réfléchit le baron. Ce mélange de mensonge et de demi-vérité est très habile.

— Des mensonges ? S'étonna Élane. Que voulez-vous dire, père ?

— J'avoue être toute aussi curieuse d'entendre la raison de ces insinuations, enchérit Elirielle d'un ton cassant, comme si elle n'acceptait pas que l'on remette avec autant d'assurance sa parole en doute.

— C'est vrai, je pense effectivement que vous venez d'un lieu qui pourrait être considéré comme reculé et, c'est vrai, ce lieu est hors de notre juridiction. Je ne pense cependant pas que vous soyez là pour satisfaire votre curiosité.

Si tout le monde cherchait à garder une posture neutre pour ne pas trahir leur couverture, les lèvres du baron s'élargirent en un large sourire lorsqu'il posa son regard sur Phi. La jeune fée n'avait pas réussi à garder un visage impassible ou, mieux, outré, mais montrait plutôt une réelle inquiétude. Même en restant silencieuse et la plus discrète possible, elle restait incapable de mentir.

Tout ceci ne sentait vraiment pas bon. Syara était prête à invoquer son instrument et, à côté d'elle, Elyazra avait approché, mine de rien, sa main près du pommeau de sa rapière. En lisant entre les lignes, il était évident que le baron savait d'où ils venaient vraiment. Il avait beau ne montrer aucune agressivité pour le moment, le chemin que prenait cette discussion ne plaisait vraiment pas à la violoniste.

— Arrêtez ! Père a demandé à ce que personne ne le dérange ! Entendirent-ils crier depuis l'extérieur du bureau.

La voix était celle d'un jeune garçon. Il s'agissait sans aucun doute de Firène, l'enfant qu'ils avaient sauvé. Ce qu'il venait de dire indiquait aussi que quelqu'un approchait et, en tendant l'oreille, la beast entendit effectivement des bruits de pas pressés qui se rapprochaient.

— Qu'importe avec qui il est, le baron me recevra ! Tonna une nouvelle voix grave au travers de la porte.

Reconnaissant sans doute la personne qui allait débarquer d'un instant à l'autre, le regard du baron s'assombrit. Malgré ce qu'il avait dit sur eux un instant avant, son animosité ne les visait clairement pas, mais ciblait bien la porte ou plutôt la personne qui allait la franchir.

Cette interruption était-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle ? D'un côté, cela allait mettre fin prématurément à leur interrogatoire, mais d'un autre, le simple fait d'entendre la voix de ce nouveau venu avait mis le baron de très mauvaise humeur. Ne pas savoir qu'elles étaient ses intentions depuis le début était extrêmement frustrant. Comptait-il s'en prendre à eux parce qu'ils venaient de l'autre monde ou bien le fait d'avoir sauvé son fils leur donnait une chance de s'en sortir sans violence ?

Dans le premier cas, les dés étaient de toute manière déjà jetés et, dans le second, l'arrivée de l'autre personne allait peut-être jouer en leur défaveur. Ce genre de pensées fusait dans la tête de Syara qui avait l'impression que le temps s'étirait et que l'homme mettait un temps fou à parcourir les quelques mètres qui le séparaient du bureau.

Cherchant quelqu'un à qui elle pourrait se raccrocher pour la rassurer, la beast fit, du regard, un rapide tour de ses compagnons. Phi était restée sur son expression qui les avait trahis et semblait désolée que tout se passe ainsi. Elyazra, en tant que véritable agente du chaos, s'amusait de cette situation et Elirielle et Orélius semblaient tout aussi anxieux qu'elle. S'en remettre à eux ne l'avança donc pas et seule l'ouverture de la porte du bureau allait pouvoir débloquer cette situation qu'elle vivait comme une torture.

Au final, toutes les pensées, toutes les idées, tous les scénarios qu'elle se faisait furent rapidement remplacés par une seule phrase qui tournait en boucle alors qu'elle avait l'impression que le temps continuait toujours de s'étirer. Magne-toi d'ouvrir cette putain de porte.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant