Chapitre 81 : capacité de nuisance innée

132 34 14
                                    

 Arrivant sur une large corniche qui pouvait aisément supporter un dragon sous sa forme reptilienne, Syara et Phi confirmèrent immédiatement leurs suppositions. La lumière teintée de rouge provenait d'un lac de lave qui bouillait à une trentaine de mètres sous leur corniche. La chaleur était étouffante, mais respirer s'avérait bien plus facile que ce qu'elles auraient pu imaginer. Un sort était sans doute à l'œuvre pour éviter d'être asphyxié.

La grotte en elle-même était absolument gigantesque, comme si la montagne sur laquelle la forteresse avait été bâtie était en réalité totalement creuse. Au même niveau que leur perchoir se trouvaient onze autres saillies.

Neuf d'entre elles étaient occupées par des dragons dont la couleur de leurs écailles différait entre chaque et permettait de les différencier. Ceux-ci étaient tous assis dans une même position et parlaient à tour de rôle d'une voix rauque pour certains, caverneuse pour d'autres et même parfois gutturale dans une langue qui était totalement inconnue à Syara. Ceux-ci n'avaient même pas accordé un regard aux nouvelles arrivantes et continuaient leur discussion comme si de rien était.

La dixième corniche était, elle, occupée par un homme à l'apparence humaine. Ses cheveux blonds, ses yeux bleus dont la pupille était fendue et sa musculature marquée lui donnaient un charme incontestable. Il était d'ailleurs le seul à avoir remarqué leur arrivée et s'était levé en voyant les nouvelles venues.

— Orélius, je suppose ? Questionna Syara.

— Oui, on se connaît ?

— Non, mais Ely m'a beaucoup parlé de toi.

— Elle est là ?

— Elle ne devrait pas tarder à arriver, répondit la beast.

— Enfin ! On y voit comme à travers une pelle dans ce couloir ! Pesta une voix familière depuis le passage de la dernière corniche qui était vide jusque-là.

C'est vrai, pensa Syara. Elyazra avait beau avoir une bonne capacité à voir dans la nuit, elle était aussi aveugle que tout le monde dans le noir complet. Son feu noir ne produisant aucune lumière, elle avait dû y aller à tâtons. Il était donc étonnant qu'elle arrive aussi rapidement par rapport à Syara et Phi qui, elles, avaient pu s'éclairer.

— Ouah, mais c'est gigantesque ! S'exclama la demie-dragonne. Bon, ils auraient quand même pu faire leur réunion dans la forteresse, ça aurait été plus pratique. Et puis on ne crèverait pas de chaud au moins !

— Tu n'as pas changé du tout, s'en amusa son cousin en la voyant arriver.

— Orélius ! Je t'ai cherché à Sendra pendant des mois ! Lui reprocha-t-elle immédiatement.

— J'y étais jusqu'à ce qu'un messager me transmette l'invitation au Kiel'Felas et qu'il me guide jusqu'ici.

— La chance ! Nous, on a juste eu l'invitation et c'était démerde-toi pour venir ici. Alors, pourquoi on est là ?

— à vrai dire, je n'en sais rien... Ils parlent depuis des heures en draconique, langue que je ne connais pas, et m'ignorent quand j'essaie d'interagir avec eux.

— Ne t'en fais pas, ta grande sœur va arranger les choses, sourit Elyazra avant d'inspirer longuement et faire craindre le pire à Syara. Dites les gros lézards, on comprend rien à ce que vous racontez ! Vous ne pourriez pas parler dans une langue que tout le monde comprend ?

Rien, les dragons l'ignoraient totalement et continuaient à discuter entre eux malgré ses cris et ses grands gestes. Le fils de Shay, la voyant agir ainsi, se cacha le visage dans ses mains, geste que Syara comprit et qui la fit compatir. Grandir avec elle n'avait vraiment pas dû être simple.

— Bon, s'ils ne veulent rien entendre, je ne vais pas insister. En plus j'ai faim. Syara, tu peux m'envoyer un saucisson ?

Avait-elle réellement une idée derrière la tête en demandant ça ou voulait-elle juste se remplir la panse ? Il était compliqué de le savoir avec une personnalité aussi chaotique que la sienne. Si la beast était d'abord hésitante, un léger rire dans sa tête lui apprit que la situation amusait un certain esprit. Elle sortit donc un saucisson de sa sacoche et le lança assez fort et en cloche pour qu'il atteigne la corniche de sa sœur.

Pendant le vol du saucisson, quelques dragons suivirent sa trajectoire du regard tandis qu'il passait à leur niveau. La demie-dragonne le réceptionna et la félicita pour ce magnifique lancé, puis se coupa un morceau avant de froncer les sourcils.

— T'as pas plutôt celui avec les noisettes dedans ?

— On n'en a plus de celui-là. Tu as fini le dernier hier.

— Quoi ?! Tu aurais pu me prévenir que c'était le dernier ! Bon, tant pis.

S'asseyant en tailleur, Elyazra sortit une outre de son sac et commença à boire et à manger sans prêter attention à ce qui se trouvait autour d'eux. Si Syara n'avait pas spécialement faim, elle n'était pas contre se rafraîchir un peu non plus. Elle n'avait cependant rien sur elle pour cela.

— Ely, tu peux m'envoyer une gourde ?

— Bien chûr, attend deux checondes !

Son morceau avalé, la demie-dragonne sortit de son paquetage une gourde qu'elle lança de manière à ce qu'elle fasse le chemin inverse du saucisson. Là encore, les dragons regardèrent l'objet passer devant leurs yeux et interrompirent même leur conversation.

La boisson réceptionnée, Syara l'ouvrit et en but une gorgée. De la bière, évidemment... Il était étonnant qu'il lui en reste après leurs deux semaines de voyage.

— Tu n'as pas de l'eau pour Phi ?

— Attends, je cherche ça...

Après avoir farfouillé dans les tréfonds de son paquetage, la demie-dragonne y extirpa une autre gourde qu'elle lança. Cette fois-ci, elle avait réussi à exaspérer les dragons qui se tournèrent tous vers elle en même temps.

— Vanir zul saranos !

— Si vous en voulez, il va falloir demander poliment ! S'exclama-t-elle, nullement impressionnée.

— Katir sur !

— Non, non, non. Ça se dit s'il vous plaît. S'il... vous... plaît.

— Omak kelasir emitia Kiel'Olos.

— Et si vous nous parliez dans une langue qu'on peut comprendre ? Proposa Syara. Vous aurez beau crier en draconique, ça ne changera rien. Et je connais ma sœur, elle est capable de mal interpréter tout ce que vous pourriez dire rien que pour vous emmerder... D'ailleurs Ely, c'est encore une gourde de bière !

— Ah mince ! Bah désolée, j'ai plus d'eau.

— Tenez, prenez la mienne, proposa Orélius en lançant une outre encore à moitié pleine.

Prenant forme humaine, l'un des dragons s'avéra être une dragonne qui souffla longuement en regardant tour à tour les invités qui n'étaient pas de sang pur.

— Elles ont beau avoir réussi l'exploit de me taper sur les nerfs en un temps record, elles n'ont pas tort. Cela ne sert à rien de les inviter si elles ne peuvent ni comprendre ni intervenir. Chers représentants, continuons cette réunion dans une langue que tout le monde comprend.

— Ah bah enfin ! S'exclama Elyazra avant de mastiquer un nouveau bout de saucisson. Alors, ça cause de quoi ici ?

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant