Chapitre 99 : la salle des archives du violon

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 De retour dans le monde du violon après une semaine d'attente, Syara fit comme à son habitude un tour sur elle-même pour trouver la personne qui l'avait convoquée. Il s'agissait bien de l'esprit corrompu, mais il n'avait pas fait en sorte de lui faire peur cette fois-ci. Dans une posture neutre, il inclina légèrement la tête en signe de salutation.

— Prête à découvrir la vérité ? Questionna-t-il avec un large sourire.

— Prête à voir tes fameuses preuves, rectifia-t-elle. J'aviserai une fois que je les aurai vues, mais saches que tu es encore très loin de m'avoir convaincue et que, si je n'ai rien dit pour le moment, c'est bien plus par curiosité pour ce que tu peux me montrer que parce qu'il y a une chance que je te crois.

— Parfait ! Doutes, réfléchis, penses par toi-même ! Ne laisse aucun de nous te dire quoi faire, surtout en restant vague. J'ai bon espoir que tu sois la bonne. Celle qui, contrairement aux autres, s'affranchira de sa condition de simple pion pour en finir avec la pire menace que ce monde ait portée.

Dans une révérence exagérée, l'ombre du violon invita Syara à avancer. Ce genre de manière ainsi que ses intonations suaves avaient le don de la mettre sur la défensive et de le considérer comme le manipulateur, mais d'un autre côté tout le monde penserait ça en voyant une autre personne agir ainsi. Peut-être était-ce juste sa manière de s'exprimer et de bouger qui était ainsi et qu'il n'y pouvait rien.

Elle n'était de toute façon pas là pour décider de la personne à qui elle ferait confiance en observant leur gestuelle et avança donc pour passer à côté de sa version altérée. À peine l'avait-elle dépassé que les alentours se mirent à changer.

Le mur derrière elle et le plafond lui indiquaient qu'elle se trouvait en intérieur, mais la salle était tellement étendue qu'elle ne voyait même pas les murs latéraux, donnant à cet endroit l'impression qu'il était infini. En face, la beast ne voyait là non plus pas le fond. Sur les rangées d'étagères translucides qui s'étendaient à perte de vue étaient posées des plaques en verre d'un bleu cristallin semblable à celui du violon.

Enfin, à seulement quelques mètres d'elle était dressé une stèle de pierre de sa taille et parfaitement lisse. Il s'agissait donc des archives du violon, pensa-t-elle. Et l'esprit corrompu pensait qu'elle avait réellement le temps de lire toutes les tablettes de verre qui y étaient entreposées ? Il avait intérêt à avoir usé de cette semaine pour faire une pré-sélection !

— Alors je fais quoi ? Je me balade entre les rayons et je prends les tablettes au hasard pour les lire ? Ça n'est pas que je suis épuisée en ce moment, mais j'aimerais bien ne pas y passer la nuit. Surtout que le temps passé ici équivaut pour moi à du temps éveillée.

— Pas de panique, tu n'auras pas à te donner cette peine. Place-toi devant la stèle et laisse la faire le reste. Sur ce, je te souhaite de très bonnes révélations.

S'inclinant de nouveau dans une parodie de révérence, l'ombre se redressa ensuite et fit un pas en arrière. Ce simple geste la fit traverser le mur derrière elle, comme s'il n'était qu'une illusion. Syara était à présent seule dans les archives.

Sur ses gardes, la beast s'approcha de la stèle et focalisa son attention dessus. D'accord, elle devait l'utiliser, mais comment ? Et comment ça elle allait faire le reste ?

Tandis qu'elle se demandait cela, des lettres commencèrent à y apparaître, comme si elles se gravaient en direct sous ses yeux. La forme était celle d'un journal de bord qui racontait les derniers instants du porteur précédent. Petit à petit, des images se superposèrent au texte pour former la scène qui était décrite jusqu'à ce que les gravures disparaissent totalement.

En plus des images, la violoniste avait l'impression que quelque chose s'insinuait dans son esprit, comme si les souvenirs rattachés aux événements qu'elle visualisait s'encraient en elle et qu'ils devenaient siens.

Ceux associés à cette image étaient une ville en proie aux flammes que le violoniste regardait depuis une colline à l'extérieur. Syara avait l'impression d'entendre les cris de terreurs de ceux qui ne pouvaient s'échapper de cette fournaise mortelle, d'avoir les yeux qui lui piquaient à cause de la fumée.

Cette vision était horrible, mais le sentiment qui l'accompagnait ne collait en rien au drame qui se jouait. De l'exaltation. L'ancien porteur du violon exultait face à ce crime abject. Submergé par cette folie, l'ombre du violon réussit à prendre le contrôle du porteur assez longtemps pour jouer quelques notes qui le transformèrent en statue de pierre.

L'image changea de nouveau et montra un nouveau porteur. Cette humaine, les larmes au bord des yeux et les mains tremblantes, tenait une dague pointée vers sa gorge. Elle se sentait autant trahie que souillée. Ces sentiments étaient adressés à Fos. Elle lui avait fait confiance, était même tombée amoureuse de lui, mais avait fini par apprendre la vérité, s'était rendue compte qu'elle avait été manipulée et que tout ce qu'elle avait fait dans sa vie, croyant agir pour le bien, n'avait que causé mort et souffrance.

D'un geste sec, la lame se planta dans sa gorge. Instinctivement, Syara porta sa propre main à la sienne et recula d'un pas. Elle n'avait rien ressenti, la stèle ayant coupé ce souvenir au bon moment pour montrer le suivant.

Celui-ci était toujours sur la même porteuse. Là encore, ça n'était pas la joie qui caractérisait cette vision, mais plutôt une profonde tristesse. Accroupie par terre, dévastée, des larmes s'écrasaient sur une lettre et faisaient baver l'encre d'une missive qui annonçait la mort de tous ses amis.

L'image changea de nouveau et Syara put voir cette même femme qui convainquait ses amis d'accomplir une mission périlleuse donnée par Fos pour sauver le monde. La beast voyait qu'ils avaient tous un profond respect pour elle et une confiance aveugle envers les consignes de Fos. Même à cette époque, il ne révélait absolument rien de pourquoi ils devaient accomplir de telles tâches, mais savait se montrer assez persuasif pour qu'ils ne posent pas de question.

Syara comprit, en remettant les événements dans le bon ordre, que la stèle allait à rebours dans le temps. Cela n'allait pas lui faciliter la compréhension, mais pour le moment, le message était clair. Ceux qui avaient succombé à la corruption de Fos avaient été arrêtés par celui qu'elle pensait jusque-là être l'esprit corrompu et ceux qui s'étaient fait berner et avaient un bon fond avaient tout perdu à cause de lui.

Syara continua à observer la vie de cette ancienne violoniste, se retrouvant en elle dans beaucoup de ses souvenirs. Elle n'avait cependant qu'une hâte. Arriver à ceux qui concernaient Fos et Cristal directement.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant