Chapitre 97 : La version de l'autre

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 Abasourdie par ce qu'elle venait d'entendre, Syara n'arrivait pas à prononcer le moindre mot. Cet enfant insinuait-il que, comme le violon corrompu torturait Cristal, sa version pure faisait subir le même sort à ce garçon ? Fos était-il au courant ? Et Cristal ? Il devait bien y avoir un moyen qu'elle utilise le violon sans faire de mal à qui que ce soit !

— Alors ? Le petit Oscar te plaît ? Questionna une voix familière, presque la sienne, derrière elle.

Gardant toujours l'enfant dans ses bras, Syara se retourna et vit l'esprit corrompu, les bras croisés, l'épaule appuyée contre l'encadrure de la porte et arborant un large sourire. Comment pouvait-il avoir une telle expression alors qu'il était en présence d'une personne qui souffrait tant ?

— Ne me regarde pas comme ça. Je suis désolé qu'il ne soit pas aussi plaisant à regarder que la si mignonne et si innocente Cristal, mais il faut lui pardonner. Car, après tout, c'est toi qui l'as mis dans cet état.

— Je... Je ne savais pas... Je suis désolée ! S'empressa-t-elle de s'excuser en le serrant contre elle.

Aux antipodes de la réaction de Syara, l'ombre riait. Pas le rire dément qu'elle avait l'habitude d'entendre de sa part, mais un rire moqueur, comme s'il savait quelque chose qu'elle non et qu'il s'en amusait.

— Arrête ça tout de suite ! Explosa-t-elle.

— D'accord, d'accord, céda l'esprit corrompu.

D'un claquement de doigts, son double maléfique transforma le garçon qu'elle tenait dans ses bras en une poupée de poussière qui se désagrégea dans ses mains. Il ne restait de lui qu'un tas gris à ses pieds.

— Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu as fait ? Hoqueta la beast, horrifiée et les yeux rivés sur la poussière qu'elle tenait encore dans ses mains.

— Tu voulais que j'arrête, non ? C'est ce que j'ai fait. Cet Oscar n'était qu'une... Simple marionnette, une illusion un peu élaborée.

— Et ça t'amuse ?!

De rage, Syara se retourna et donna le plus violent coup de poing qu'elle pouvait donner, droit sur la mâchoire de l'esprit corrompu. Sa main traversa cependant son corps et vint se fracasser contre l'une des planches de bois qui constituaient le mur.

Une vive douleur, aussi intense que si elle se trouvait dans le monde réel, lui fit étouffer un cri et serrer les dents tandis qu'elle massait ses phalanges endolories. Sa cible, elle, s'était matérialisée en sécurité de l'autre côté du lit.

— Allons, du calme ! Fos ne t'a-t-il pas dit que tu ne devais pas t'emporter au risque de perdre le contrôle ?

— La ferme !

— Que tu me crois ou non, je ne t'ai pas fait passer ce petit test pour te traumatiser, mais pour te faire prendre conscience de quelque chose. Quelle est cette chose à ton avis ?

— J'en ai assez de tes jeux sadiques et de tes devinettes. Tu vas me dire que Cristal n'est pas réelle elle aussi ? C'est ça ?!

— Oh si, cette garce est malheureusement bien réelle. Cependant, c'est leur discours qui ne l'est pas. Tu as un point faible et ils savent l'exploiter. Dès qu'un enfant est en jeu, tu perds toute capacité de réflexion pour te ranger de son côté. Un syndrome lié à ta propre enfance sans doute ? Tu ne veux pas que eux subissent ce que tu as dû endurer.

— Tu disais vouloir discuter, mais chaque phrase qui sort de ta bouche, chaque geste que tu fais me fait te détester encore plus, cracha-t-elle en lui lançant un regard noir.

— Je cherche à te faire réfléchir, même si ça n'est pas ton fort. Voici encore un peu d'aide. Si j'ai réussi à te faire croire en l'existence de ce Oscar avec une simple marionnette qui prononce deux phrases et se jette dans tes bras à la première occasion, quels mensonges les deux autres ont-ils bien pu te faire gober ? Ô, bien sûr, en son temps, Cristal a tué son père, mais elle n'était aucunement de la résistance. Elle ne l'a fait que pour prendre sa place et régner en tyran. La seule différence entre les deux était qu'elle n'accordait aucune importance à la vie des siens non plus. Ça n'est pas son père qui a initié le sort pour tuer tous les non-elfes. C'est elle qui l'a fait, sur son propre peuple, pour assimiler la puissance de tous ceux morts de cette manière. Elle n'était pas la plus puissante de base, mais elle l'est devenue. Assez puissante même pour vaincre la mort, si bien que la résistance n'a trouvé comme moyen de la mettre hors d'état de nuire qu'en l'enfermant dans son instrument. La gamine que tu as rencontrée n'est pas la partie d'âme dont elle s'est séparée pour créer le violon, elle est cristal ! Elle est le tyran sanguinaire.

Les ficelles étaient bien trop grosses. Elle ne pouvait croire à cette histoire déformée sortie de la bouche d'un être qu'elle considérait comme son ennemi. Cristal n'était qu'une... Enfant ? Un être capable de faire vibrer sa corde sensible et... Non, elle se faisait manipuler, il ne fallait pas qu'elle entre dans son jeu !

— Tu sembles bien au courant de ce que Fos m'a raconté alors que tu n'étais pas là.

— Parce que tu crois être la seule ? Tu crois être privilégiée ? Tous les porteurs du violon qui t'ont précédée l'ont rencontrée ! Tous ont gobé cette histoire si bien racontée par Fos et tous n'ont servi que de pantin à ces deux-là ! Sans mes interventions, ils seraient déjà de retour et régneraient sur le monde à l'heure qu'il est !

— Toi ? La partie mauvaise de Fos, tu serais en réalité le grand sauveur du monde ? S'esclaffa la beast.

— Contrairement à Fos, je ne te demande pas de me croire sur parole et j'apporterai les preuves de ce que j'avance. Sache cependant que ça n'est pas de sa partie maléfique dont il a voulu se débarrasser et qui a donné naissance à l'être que je suis. Ce qu'il a voulu jeter, c'est son humanité. Tout chez moi ensuite n'est qu'une malédiction qu'il m'a lancé. Mon apparence repoussante, mon réveil lent qui me fait passer pour une bête sauvage, tout ça est de sa faute à lui ! Tu ne me crois pas, cela se voit. Tu te dis qu'il y a bien trop d'incohérence dans mes propos. Par exemple, pourquoi les dragons suivraient-ils Fos s'il était réellement aussi maléfique ?

— Tien, c'est une bonne question ça. Alors, pourquoi ? Questionna-t-elle en croisant les bras et avec un sourire en coin en attendant sa justification.

— Il y a un endroit ici qui regroupe tous les souvenirs de ceux qui ont un jour tenu le violon. Lorsque je l'aurai trouvé, je te ferai venir à moi et tu pourras voir de tes propres yeux la vérité. En attendant, continue à jouer le jeu et à t'entraîner sans t'en faire pour ce pauvre tas de poussière qu'est Oscar. Ne laisse rien paraître de nos échanges. Si tu en parles, je saurai que contrairement à ce que je pensais, tu n'avais rien de plus que les précédents et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher le retour de ces deux tyrans. Mais si tu tiens ta langue, j'aurai au moins l'occasion de te montrer ma version de l'histoire et ce sera à toi de choisir le chemin que tu voudras suivre. Celui de l'héroïne, ou bien celui du pion.

À ces mots, l'ombre claqua de nouveau des doigts. Le plancher céda d'un coup sous les pieds de la beast qui poussa un cri de surprise en le traversant. En dessous ne se trouvaient que les ténèbres, glaciales et inhospitalières. Après une dizaine de secondes de chutes libres, Syara réintégra son corps et sursauta dans son lit. Haletante, la beast était en nage et n'arrivait pas à calmer son cœur qui battait à tout rompre dans sa poitrine. Dehors, le jour ne s'était pas encore levé, mais elle savait qu'elle n'arriverait jamais à se rendormir après ce qu'elle avait vécu.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant