Chapitre 39 : la détestable sœur aimante

144 44 2
                                    

 — Ma pauvre petite sœur adorée, qu'es-tu devenue au contact de ces bêtes ? Se désola Sinélia.

— Tu n'as qu'à demander à père, c'est par lui que tout a commencé.

— C'est vrai. Il a commis l'irréparable en s'en prenant à toi. Voilà ce qu'on va faire. Nous allons nous débarrasser ces déchets qui t'accompagnent, puis nous montrons le voir pour en finir avec lui. Ainsi, je prendrais sa place et je pourrais prendre soin de toi comme je le faisais quand tu étais petite. Qu'en dis-tu ?

Si ce genre de proposition pouvait s'apparenter à de la provocation de la part de ses autres frères et sœurs, ici Cristal avait l'impression qu'elle était parfaitement sérieuse. Elle était prête à se retourner contre leur père pour elle, mais tout ce qu'elle disait à côté était à vomir.

En la regardant droit dans les yeux, l'elfe rebelle ne pouvait s'empêcher de discerner deux visages aux antipodes l'un de l'autre. D'un côté se trouvait celui de ses souvenirs, le visage d'une sœur aimante, attentionnée et souriante, un véritable rayon de soleil qu'elle admirait. De l'autre, c'était le visage d'un monstre dénué d'émotions qui prenait plaisir à tuer ses serviteurs au point d'en avoir fait un rituel.

Le satyre à côté d'elle tremblait de tous ses membres. Ça n'était pas la peur qui provoquait cette réaction, mais une haine viscérale contre Sinélia. Oui, elle s'en rappelait. Ce satyre était celui qui s'était occupé d'elle à son arrivée dans la cité souterraine. Son histoire racontée par Acolar avait profondément choqué Cristal. Il avait trois sœurs, toutes les trois avaient été envoyées au palais pour y servir et toutes les trois s'étaient retrouvées, les unes à la suite des autres, à la servir. Cet homme bouillait de l'intérieur de se retrouver face à la meurtrière de sa famille.

— Je ne suis plus la petite fille bien sage que tu pouvais prendre pour ta poupée, prévint Cristal.

— Oh, mais tu apprendras à le redevenir, répondit sa sœur avec certitude. En attendant, te voir entourée d'immondices me répugne. Même si ça n'est pas digne de mon rang, je vais tout de même m'abaisser à faire un peu de ménage.

Mettant fin à la discussion par ces mots, Sinélia fit apparaître son instrument de cristal dans ses mains. Les Sinbels étaient à la fois un instrument rare et compliqué à jouer. Il se composait d'anneaux qui se plaçaient sur la première phalange de chaque doigt. Chaque anneau était relié à celui du pouce par une corde aux propriétés élastiques. En écartant un doigt de la position de repos, la corde se tendait et émettait une note cristalline différente selon la tension exercée dessus.

Les premières notes sonnèrent le début du combat. Cristal invoqua immédiatement son violon et s'engagea dans le combat acharné pour prendre possession du sort déterminant. À ce jeu-là, ses frères et sœurs qu'elle avait affrontés sur le champ de bataille ne faisaient plus le poids depuis longtemps. Les dix derniers qui s'y étaient essayés n'avaient même pas réussi à reprendre le contrôle, ce qui avait mené à une victoire éclair du camp des rebelles.

Sinélia semblait cependant plus à l'aise que ses adversaires précédents et lui offrit une résistance qui les menèrent à la deuxième partie du combat, la déstabilisation par les sorts secondaires. Cristal fut la première à frapper. En ajoutant des variantes à sa mélodie, elle fit s'écrouler le balcon sur lequel sa sœur se trouvait. Celle-ci resta cependant en place, comme si la gravité n'avait aucun effet sur elle.

Si, lors de son premier combat contre l'un de ses frères, la jeune elfe avait aimé jouer contre lui, ici ça n'était certainement pas le cas. Sinélia avait une posture dominatrice. Elle imposait tout, que ce soit la mélodie ou le rythme. Elle n'hésitait d'ailleurs pas à changer l'un des deux sans vraiment chercher de transition correcte. Si cela fragilisait normalement son emprise sur le sort déterminant, elle tournait la situation à son avantage en déstabilisant Cristal qui, elle, cherchait à gagner dans les règles de l'art avec une mélodie harmonieuse.

Elle n'était malgré tout pas seule dans ce combat et les autres rebelles qui l'accompagnaient ne comptaient pas rester spectateurs. Tous finirent par sortir leurs instruments à l'exception d'Acolar qui lança d'emblée des sorts avec ses mains.

— Un orchestre de rebut, commenta leur adversaire en feignant de tirer au cœur.

À cet instant, Sinélia put montrer en quoi elle était l'une des plus puissantes musiciennes de la famille royale. Le soutien de ses alliés ne pesait absolument rien dans la balance. Elle arrivait à contrer chacun de leurs sorts, quel que soit leur type de magie, avec une aisance telle qu'elle donnait l'impression qu'elle ne s'en souciait même pas.

— Je suis déçue petite sœur. Moi qui te pensais puissante après que tu aies décimé presque toute la famille... C'est tout ce dont tu es capable ?

En un sens, elle disait la vérité. Cristal ne faisait pas appel à l'intégralité de ses pouvoirs à cause d'une chose. Elle avait toujours combattu à l'air libre, là où elle pouvait exprimer sa magie sans vraiment réfléchir à ce qui l'entourait. Cependant, si elle jouait de la même manière dans un lieu clos, elle risquait juste d'ensevelir tout le monde sous les gravas du palais. Il lui manquait indubitablement de l'expérience en combat en intérieur.

Si le combat en lui-même stagnait, son avancement pouvait être mesuré grâce à l'état de délabrement de la pièce. Cette grande salle de réception au départ somptueuse tombait peu à peu en ruines. Les fenêtres avaient volé en éclats, deux des trois lustres gigantesques s'étaient déjà écrasés au sol, blessant dans leur chute plusieurs rebelles qui se trouvaient en dessous. Les tapisseries étaient déchirées, l'une d'elles était même en train de brûler. Enfin, les quelques meubles avaient servi de projectile dès le début des hostilités.

Tandis que Cristal cherchait un moyen de contrer sa sœur sans risquer de faire écrouler toute cette partie du palais sur eux, elle sentit sa jambe être prise par une intense douleur. En baissant les yeux, la jeune elfe vit de petits éclairs se dissiper. Elle venait de se prendre un sort de foudre. Sinélia avait réussi à percer sa défense ? Non, ça n'était pas ça. L'un des rebelles qui se trouvait auprès d'elle avait les yeux exorbités, horrifié par ce qu'il venait de faire. C'était lui qui venait de l'attaquer.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant