Chapitre 15 : Cristal

169 53 5
                                    

 Ayant sans doute entendu leur arrivée, la jeune fille qui devait sans doute avoir dans les dix ans sauta de la balançoire et se mit à courir dans leur direction.

— Fos, tu es reven...

Apercevant Syara, ses yeux verts s'écarquillèrent d'effroi et elle se stoppa net comme si un précipice se trouvait devant elle. Elle tourna alors immédiatement les talons et s'enfuit dans la direction opposée.

— Ne la laisse pas m'approcher, hurla-t-elle en pleurs. Ne la laisse pas me faire du mal !

— Elle croit que je suis l'autre ? Se demanda Syara en se disant que l'esprit maléfique lui ressemblait fortement.

— C'est... Plus compliqué que ça, souffla Fos. Va m'attendre à l'intérieur, il faut que j'aille la chercher et la calmer. Je te rejoindrais ensuite.

Voyant qu'il partait à la poursuite de l'enfant, la beast jugea plus sage de l'écouter et d'aller dans la maison. Après tout, si l'enfant s'enfuyait à sa vue, l'accompagner ne ferait que lui compliquer la tâche.

L'intérieur de la cabane était aussi similaire à celle où Shay vivait avec son fils et sa nièce. C'était exactement comme dans ses souvenirs, à tel point qu'elle était certaine que les nœuds dans les planches de bois devaient se trouver exactement au même endroit dans la réalité.

Ce devait être la même chose pour les arbres à l'extérieur, le lit qu'empruntait la rivière et la moindre pierre au sol. Seule la balançoire différait de la réalité. Depuis la fenêtre, Syara pouvait d'ailleurs voir que la fillette inconnue avait retrouvé sa place. Fos était agenouillé à côté d'elle et lui parlait, mais elle ne semblait pas avoir retrouvé la joie qu'elle avait avant de changer du tout au tout en apercevant la beast.

Après quelques minutes, Fos se releva et se rendit jusqu'à la maison. Là, il y entra et ferma la porte, puis jeta un regard qui parut presque assassin à Syara avant qu'il ne s'adoucisse un instant après.

— Tu vas finir par me dire ce qui se passe ? Qui est-ce ? Tu m'en caches beaucoup des surprises comme ça ? Quand je vais revenir la prochaine fois tu vas m'annoncer qu'il y a une porte quelque part qui mène à une ville aussi peuplée que Léfarène ?

— Je ne pourrais pas répondre avec certitude vu que le plan du violon semble infini, mais à ma connaissance, nous ne sommes que trois. Moi, l'esprit maléfique, et elle.

— Et je peux savoir qui est cette fille ? Une de tes créations ? Comme lorsque la partie de ton âme contenue dans le coffre avait recréé une ville de son époque avec ses habitants ? Tu l'as faite parce que tu te sentais seul ?

— Pas du tout. Elle était là avant moi.

— Avant t... Quoi ? Comment ça avant toi ? Ça n'est pas possible, tu es le premier por...

— Le premier porteur, finit Fos. Oui et non. Je suis en effet le premier porteur contemporain du violon, mais cet instrument n'est pas né de mon âme. Il est né de la sienne.

— C'est elle la première détentrice du violon de cristal ? Mais elle est humaine ! Les humains n'avaient pas accès à la magie avant toi !

— Tu te trompes. Ça ne se voit pas à cause de ses cheveux, mais ses oreilles sont pointues.

— Une elfe ?

— Oui.

— à la peau blanche ?

— C'est ça.

— Tu te fou de moi ? Même les demi-elfes n'ont pas cette teinte de peau.

— Son espèce a disparu en des temps immémoriaux. Même Shay et Shavi n'en connaissaient pas l'existence. À vrai dire, tu vas être la seule personne à part moi à connaître cette histoire.

— Arrête de tourner autour du pot, je t'écoute.

— En des temps reculés, sur l'autre monde, une race était au-dessus des autres. Les elfes. Ils étaient les seuls à connaître le rituel pour faire apparaître un instrument lié et gardaient jalousement ce secret. Leurs pouvoirs étaient si puissants que même les dragons étaient à leur service. Les autres races étaient au mieux considérées comme des esclaves.

— C'est... horrible. Je déteste déjà ce peuple.

— Et tu n'es pas la seule. Tout le monde les haïssait, mais leurs pouvoirs étaient tels qu'ils étaient capables de tuer tous les membres d'une rébellion avant même qu'ils n'aient l'idée d'en fomenter une. Une seule race trouvait grâce à leurs yeux. Les anges, venus d'un autre monde, étaient traités comme leur égal.

— Ceux-là aussi je les déteste, commenta-t-elle en se dégoûtant d'avoir elle-même du sang de ce peuple dans les veines.

— Parmi le peuple souverain des elfes, continua Fos. Une famille en particulier surclassait toutes les autres. Elle avait fini par asseoir sa domination sur le monde entier et régnait sans partage. Chacun de ses membres avait pour lui un instrument lié qui semblait avoir été taillé dans du cristal. Le plus faible d'entre eux pouvait aisément rivaliser avec cent mages.

— Cette gamine est donc un membre de cette famille ?

— Elle en est la cadette, confirma-t-il. En l'honneur de ce trait particulier de leurs instruments, ses parents avaient choisi de lui donner un nom qui, une fois traduit, veut dire cristal dans ta langue.

— Donc...

— Quand on dit qu'il s'agit du violon de cristal, on fait à la fois référence à son apparence et à sa toute première détentrice. En somme, dans sa version longue, le violon de cristal peut être le violon fait de cristal ou le violon qui appartient à Cristal.

— D'accord, admettons. Les elfes avaient donc des violons ? Il me semblait pourtant que c'était un instrument humain.

— Ils avaient toute sorte d'instruments. Plus ou moins tous ceux des humains avant même que ceux-ci les inventent dans leur monde, tous les instruments qui étaient utilisés par les autres races et bien d'autres encore qui ont aujourd'hui disparus et dont personne ne saurait ne serait-ce qu'en sortir une note. Quoi qu'il en soit, Cristal était la dernière enfant de la famille royale, mais était aussi, et de très loin, celle avec le plus grand potentiel.

— J'imagine que ça n'était pas le genre de famille où chaque membre s'encourage et se tire vers le haut ?

— Non... Plutôt le genre à évincer de manière violente et définitive ceux qu'ils craignaient ne pas pouvoir contrôler à leur plein potentiel.

— Que s'est-t-il passé ?

— Lors de la cérémonie d'apparition de l'instrument qui n'était qu'une formalité pour eux là où, à mon époque, neuf personnes sur dix en mourraient, Cristal avait à peine matérialisé son violon que son propre père lui avait transpercé le cœur avec une dague.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant