Chapitre 128 : Courte nuit et départ du manoir

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 Après le moment passé avec Elirielle sur le balcon, Syara était retournée dans sa chambre et s'était mise à écrire toutes les mélodies qu'elle avait en tête sur le cahier de partitions vierges qu'elle avait emmené avec elle. Pendant qu'elle retranscrivait ce que son esprit avait produit, les mélodies continuaient encore de se développer, si bien qu'elle y passa une bonne partie de la nuit.

À chaque page remplie, la violoniste se disait que ça n'était pas raisonnable, qu'elle devait se lever tôt pour une journée difficile de marche et que ça n'était pas le moment de faire ça. Cependant, elle savait aussi qu'elle n'arriverait pas à trouver le sommeil tant que tout ne serait pas couché sur papier.

Tous ceux qui connaissaient le syndrome de la page blanche l'enviaient, mais ils ne se rendaient pas compte que cela pouvait aussi être vécu comme une malédiction pour la personne à l'esprit trop fertile. Elle fut finalement libérée de cette contrainte après plusieurs heures et se glissa immédiatement dans son lit pour une nuit qu'elle savait déjà bien trop courte.

Au matin, ce fut donc avec des grognements plaintifs qu'elle répondit à Elirielle qui était venue la réveiller. La dragonne, après avoir légèrement haussé la voix pour être certaine qu'elle se lève, grommela que les deux sœurs se ressemblaient bien sur ce point-là et claqua la porte pour faire du bruit et finir de la réveiller.

Après s'être habillée, Syara tituba à moitié, les yeux mi-clos, jusqu'à la porte qu'elle ouvrit. Dans le couloir, elle vit que sa sœur était tout aussi endormie qu'elle. Les cheveux en bataille, un œil fermé tandis que l'autre peinait à s'ouvrir, la mâchoire décrochée dans un bâillement qu'elle ne chercha pas à cacher et une main lui servant à se gratter les fesses, Elyazra était, à cet instant, la grâce incarnée.

Mieux valait ne rien lui faire remarquer, se dit la beast. Premièrement parce que sa sœur était encore plus susceptible le matin et, deuxièmement, parce qu'elle ne devait pas être dans un meilleur état qu'elle, même si elle avait tout de même plus de manières.

— Tien, j'en connais une qui n'est toujours pas du matin même après tout ce temps ! Sourit Orélius avec un air radieux et enjoué.

— Ta gueule, rétorqua sa cousine avec une voix matinale bien plus grave que celle qu'elle avait normalement.

— Moi aussi ça me fait plaisir de te voir, sourit le demi-dragon. Et si nous allions prendre des forces avant la grande marche qui nous attend ? Proposa-t-il.

Trop souriant, trop heureux, trop niai, résuma Syara. Il faisait exprès d'agir ainsi pour taquiner Elyazra. Il ne lui laissa d'ailleurs pas le choix et la prit par le poignet pour l'emmener avec lui vers la salle à manger. Sa démarche titubante, sa posture avec les épaules basses et ses grognements donnaient l'impression à Syara que sa sœur s'était transformée en l'une de ces créatures qui peuplaient les histoires faites pour faire peur. Un zombi.

De son côté, la beast était tout de même assez réveillée pour se dire qu'il n'était pas convenable de se présenter devant le baron ainsi. Elle passa donc par la salle de bain pour se passer un coup sur le visage et se peigner un minimum avant de descendre rejoindre les autres.

Tout le monde se trouvait à table pour le petit-déjeuner, même le baron et ses deux fils. Elle avait bien fait de passer par la salle de bain avant de se présenter à eux, se dit la beast en s'asseyant à côté de sa sœur qui, elle, menaçait de se rendormir dans son assiette.

— Auriez-vous mal dormi ? S'inquiéta Élane en la voyant piquer du nez. Nos chambres des invités n'étaient peut-être pas aussi confortable que ce que vous avez connu chez vous.

— Vos chambres n'ont rien à voir avec ça, le rassura Syara. Ma nuit a été courte, mais le confort n'est en rien fautif. Quant à ma sœur, disons qu'elle a toujours cette tête lorsqu'elle n'a pas ses quatorze heures de sommeil. Laissez-lui encore un peu de temps et elle retrouvera la forme.

— Seulement quatorze ? S'étonna Orélius. Elle progresse !

Tous les deux savaient que ce trait était exagéré. L'une vivait avec elle au quotidien et l'autre avait pu assister à ce genre de réveil les semaines qui avaient précédé leur entrée dans le monde des anges. Bien que teinté d'un certain sadisme, ils ne pouvaient s'empêcher de profiter de ce moment pour se moquer gentiment d'elle sans qu'elle n'ait l'esprit assez clair pour riposter convenablement.

— Les chambres étaient très bien, ajouta Phi. D'ailleurs, je suis étonnée de retrouver autant de similitudes entre votre monde et le nôtre pour ce genre de chose. Si l'apparence extérieure est différente, l'intérieur des bâtiments ressemble beaucoup à ce que nous pouvons trouver chez nous. Vous ne trouvez pas ça étrange vu que nos mondes n'ont pas été liés depuis très longtemps ?

Maintenant qu'elle le disait, Syara ne se trouvait effectivement pas aussi dépaysée que ce qu'elle pensait. Personne malheureusement, ni le baron, ni Elirielle n'eurent de réponse à lui apporter, mais ce sujet de discussion eut au moins le mérite de les occuper pendant ce premier repas de la journée ou chacun y alla de sa petite hypothèse.

Après le petit-déjeuner, chacun passa ou repassa par la salle de bain pour une toilette plus convenable, puis rassembla ses affaires. Entre temps, Elyazra avait fini d'émerger et faisait payer à son cousin de l'avoir amenée devant le baron dans cet état.

Les trois anges les attendaient dans l'entrée, leur guide affublé d'un sac étroit mais bien plus profond que Syara trouva d'abord étrange avant de se rendre compte qu'il avait été créé spécialement pour les personnes ailées. À bien y réfléchir, les démons de son monde en avaient aussi des similaires qui ne se mettaient pas sur les épaules, mais s'accrochaient aux ailes. Le sien paraissait cependant bien imposant et lourd à porter.

— Ça va aller ? Lui demanda-t-elle.

— Il va bien falloir. Ne vous en faites pas, je compte bien vous guider sans vous ralentir, répondit-il.

— Enlevez votre sac, je vais le porter, lui proposa la beast.

— Ce... Ce serait inconvenant de demander une telle chose à une dame, bafouilla le fils du baron.

Bien qu'amusée par cette réponse, Syara ne dit rien et détacha de sa ceinture la bourse qui y était accrochée. En tirant sur le cordon, celle-ci se mit à grossir. La violoniste l'ouvrit alors et montra tout ce qu'elle transportait déjà devant les yeux stupéfaits des anges qui ne devaient jamais avoir vu une telle chose pourtant courante, bien qu'onéreuse, dans l'autre monde.

— Mettez-le là-dedans, une fois refermé ça ne pèsera pas plus lourd pour moi.

— C'est... Prodigieux ! Est-ce la magie de votre monde qui vous permet de faire ça ?

— On peut dire ça. Je ne connais pas celle du vôtre, mais si elle est aussi diversifiée que la nôtre, alors ce genre de chose devrait être possible, il suffit juste d'y penser.

Intrigué par la sacoche magique, Élane y plaça son paquetage et observa Syara refermer le cordon et la faire rétrécir. Elle lui tendit ensuite pour qu'il puisse sous-peser le tout et constater que le tout ne pesait presque rien, même avec ce qu'il avait rajouté à l'intérieur.

— Cher baron, merci infiniment pour votre accueil et tout ce que vous avez fait pour nous, s'avança la dragonne. Il est à présent temps pour nous de reprendre la route.

— Faites bien attention et bon courage pour la suite, souhaita-t-il en retour. L'avenir de deux mondes dépend de vous.

Après des au-revoir chaleureux, mais aussi compliqué pour Firène qui voyait son frère partir, le groupe accompagné de leur nouveau guide quitta le manoir et se dirigea vers les portes de la ville, leur prochain objectif en tête. Rencontrer le déchu.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant