Chapitre 107 : Revenir à l'essentiel

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 Debout au centre de la cour, Syara caressait les cordes de son violon avec son archet. Les yeux fermés, faisant abstraction de tout ce qu'il y avait autour d'elle, elle laissait ses oreilles, plutôt que sa tête, choisir la note suivante.

Son entraînement n'avait pas tardé à attirer toutes les personnes encore présentes dans la forteresse. Cela n'était jamais arrivé jusque-là, preuve qu'elle tenait effectivement quelque chose, du moins, musicalement.

Et il s'agissait d'ailleurs de ce point précis qu'elle voulait explorer pour réussir son sort de traduction. Car après tout, quel autre langage que la musique pouvait être plus universel ? Elle-même était une véritable prodige pour y transmettre des émotions ! Elle voulait faire pleurer quelqu'un ? Le faire sourire ? Lui donner du courage ? Le faire rêver ? Le faire voyager ? Elle n'avait qu'à se saisir d'un violon, jouer quelques notes et le tour était joué !

Elle considérait la magie dans ce sort comme secondaire et la laissait traverser librement son corps et son instrument sans y prêter la moindre attention. Ce qu'elle proposait aux spectateurs ici était un véritable récital où elle ne cessait de changer de rythme, de clé, de puissance sans pour autant que les changements paraissent brusques.

Tout semblait parfaitement naturel et, pour les plus réceptifs de ceux qui assistaient à son entraînement, un large sourire illuminait leur visage où des larmes avaient tracés de fins sillons peu de temps avant. Vu que son objectif était de balayer tout le spectre des émotions, qu'elles soient minimes ou puissantes, ils devaient être totalement perdus et ne savaient même plus ce qu'ils ressentaient mise à part ce que la musique leur dictait d'éprouver.

Finalement, au bout d'une bonne trentaine de minutes à jouer sans interruption, Syara fit durer une dernière note qu'elle étouffa peu à peu jusqu'à ce qu'elle disparaisse totalement et éloigna l'archet du violon. Au moment où elle rouvrit les yeux et sortit de sa transe, un tonnerre d'applaudissement l'accueillit. Des personnes aux fenêtres, amassées dans les coursives, dans la cour ou même, pour certains, assis sur les toits, les acclamassions venaient d'absolument partout !

Cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'était pas abandonnée ainsi à la musique. En jouer pour le plaisir d'en jouer et non pour lancer un sort. Certes, c'est ce qu'elle cherchait à faire à la base, mais elle s'était bien vite abandonnée pour juste jouer sans se soucier d'autre chose. Si cette tentative était un échec, tant pis, au moins, elle se serait fait plaisir et aurait renoué avec la musique.

En plus de cet état de béatitude qu'elle ressentait, il lui semblait percevoir quelque chose provenant du violon de Cristal. Comme s'il était lui-même pourvu d'émotions qui entraient en parfaite résonance avec ce qu'elle-même ressentait. Ce devait être Cristal, se dit-elle. Elle aussi devait être heureuse d'avoir partagé ce moment.

— Alors ? Questionna-t-elle.

— C'était absolument magnifique ! s'exclama Elirielle. Toutes mes félicitations. Fos était doué avec le violon de Cristal, mais il n'avait pas ton niveau pour transmettre des émotions comme tu l'as fait. Je pense que tout le monde ici s'accordera à dire que tu es une très grande violoniste.

— Merci, c'est très gentil. Et merci à vous tous pour ces applaudissements qui me vont droit au cœur, sourit la violoniste tout en saluant son public, une main justement posée sur son cœur. Je n'ai peut-être pas réussi le sort, mais j'avais grandement besoin de ça.

— Et qu'est-ce qui te fait dire que cette tentative est un échec ? Ne me comprends-tu pas à cet instant ?

Quelque peu surprise, Syara jeta un regard interrogateur à la dragonne qui ne put que rire face à cette expression. Elle avait réussi ? En lâchant prise et sans se soucier de toute la partie magie ? C'était impossible !

— Lis sur mes lèvres, lui demanda Elirielle. Ne trouves-tu pas qu'il y a quelque chose d'étrange quand je parle ?

Effectivement ! Si elle l'entendait bel et bien dans la langue universelle, la forme que prenaient ses lèvres ne collait pas avec les sons qui en sortaient. Il s'agissait de quelque chose d'à peine perceptible. Elle ne l'avait d'ailleurs pas remarqué avant qu'elle n'insiste sur ça.

— Vous parlez en draconnique ?

D'un simple hochement de tête, la dragonne signifia que oui.

— Vous parlez en draconnique ! S'exclama la beast en explosant de joie. Vous parlez en draconnique et je vous comprends ! J'ai réussi, je l'ai fait !

Ne pouvant contenir à elle seule toute cette euphorie, Syara se jeta dans les bras de la première personne qu'elle connaissait. Elyazra, ravie pour elle, l'accueillit à bras ouverts et se laissa contaminer par ce moment d'allégresse.

Enfin les choses allaient pouvoir avancer. Enfin, avec ce sort ils allaient pouvoir se rendre dans le monde des anges et peut-être empêcher la guerre qui menaçait d'exploser entre les deux mondes. Certes, il lui restait encore à trouver un moyen de le lancer sous forme d'un enchantement pour qu'il perdure et les suive partout, mais il s'agissait là d'un détail.

Elle était certaine que ça n'était ni le fruit du hasard, ni celui de la chance si elle avait réussi. Sa compréhension de la magie du violon s'était grandement améliorée avec ce récital et elle était presque certaine de pouvoir recommencer quand elle le souhaitait.

Un nouveau pas avait été franchi et elle ne serait peut-être pas, comme elle l'avait affirmé à Phi, à la traîne par rapport aux autres.

— Je te préfère mille fois comme ça que comme tu étais la semaine dernière, s'exclama Elyazra. Voilà ce que je veux voir chez ma petite sœur. Un large sourire et une puissance à déplacer des montagnes !

— Compte sur moi pour surveiller tes arrières quand tu fonceras dans le tas.

— J'ai plus le pressentiment que tous nos adversaires seront par terre le temps que j'arrive sur eux. Tu m'en laisseras quand même un ou deux, hein ?

— Si tu veux. Je te garderai celui qui me paraît être le plus robuste pour que tu t'amuses.

— C'est tout ce que je demande. En attendant, il faut fêter cette réussite ! Et ça tombe bien, j'ai trouvé de superbes bouteilles dans un des appartements inoccupés !

— Tu as encore pillé la cave d'un Kiel ?! S'exclama Elirielle.

— Rho, ça va ! De toute façon vous ne vous réunissez que tous les trois-cents ans, donc si on ne les bois pas elles seront perdues !

Sur ces mots, Elyazra fendit la foule et s'engouffra dans l'escalier le plus proche, la dragonne d'argent sur ses talons et essayant de la rattraper pour l'empêcher de voler quoi que ce soit aux autres dragons. Tous les autres, qu'ils soient invités, serviteurs ou même maître des lieux les regardèrent se courser ainsi, riant de bon cœur de cette scène devenue étrangement familière ces derniers temps.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant