Chapitre 24 : Fin de séance

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 — Et si l'instrument n'est pas celui que l'on souhaitait ? Questionna le nain qui avait raconté le massacre de son village. Si cette partie d'âme se transforme en un instrument que nous ne connaissons pas ?

— On peut plus ou moins forcer la forme qu'elle prendra, répondit Cristal. J'étais certaine d'avoir un violon parce qu'il s'agit du seul instrument que j'ai joué de toute ma vie. Après, je ne sais pas ce que cela donnera pour une personne qui n'en joue pas vu que c'est une tradition chez les elfes de faire apprendre aux enfants au moins un instrument. Vous aurez sans doute en main un instrument dont vous avez connaissance et qu'il faudra apprendre à utiliser autant sur le plan magique que musical. Ce dont je suis certaine, c'est que cette partie d'âme ne peut pas se transformer en autre chose qu'un instrument. Du moins, ça n'est jamais arrivé. De toute façon, comme je l'ai dit, nous ne contrôlons pas le processus pendant la cérémonie.

— En tout cas, ça explique pourquoi les elfes ont interdit aux autres races de faire de la musique ou de simplement posséder un instrument.

— Ça non plus je ne le savais pas, souffla la jeune elfe en découvrant une nouvelle règle stupide de son peuple pour asseoir sa domination sur les autres.

— Eh oui, si tu n'es pas un elfe et qu'on te surprend avec un instrument, tu peux dire adieu à tes mains, répondit un elfe noir en montrant ses bras qui se terminaient par des moignons bandés.

La cruauté de son peuple avait-il seulement une limite ? Petit à petit, Cristal commençait à comprendre pourquoi certaines personnes pensaient qu'il serait plus simple de tous les exterminer. Elle n'était toujours pas d'accord avec ça, mais se disait qu'elle aurait pu avoir les mêmes pensées si elle avait été à leur place.

— Bien. Je vais coucher le déroulé de la cérémonie sur papier et j'attendrais que tu relises le tout et que tu y apportes tes schémas explicatifs et tes précisions avant de tenter quoi que ce soit. Nous en avons terminé pour aujourd'hui, la séance est levée.

Ces mots prononcés, tous ceux qui étaient assis en retrait se levèrent et se dirigèrent vers la sortie. Cette fois-ci, Cristal n'eut pas à subir de regard assassin ou de crachats à ses pieds. Au contraire, certains, comme le nain qui lui avait proposé de se ravitailler chez lui, lui sourirent même avant de s'en aller.

— Dois-je retourner dans la chambre où j'avais été installée ?

— Non. Pendant que tu expliquais le déroulé de la cérémonie, j'ai réfléchi à un endroit où vous pourriez habiter avec Mélyne. À l'écart de la ville, avec un grand espace pour que tu puisses t'exercer à la magie et développer tes pouvoirs. Il se trouve que nous avons un site qui correspond parfaitement à ça. Au sud-ouest de la ville, nous avions commencé à creuser dans la roche pour un projet qui a finalement été abandonné. Cette carrière te fera un très bon terrain d'entraînement, il y a une cabane qui servait au maître d'œuvre à la fois comme bureau et comme couchette que vous pourrez occuper en tant que logement et une source coule à proximité pour vous fournir en eau potable.

— Merci.

— Et une dernière chose. Prends ça.

De derrière lui, le chef du conseil prit une grande cape qu'il lança à Cristal. La jeune elfe rattrapa le vêtement, le mit sur ses épaules et rabattit la capuche sur sa tête de sorte à ce qu'elle cache au mieux ses origines.

— Tu as compris où je voulais en venir. Ça n'est pas parfait, mais garde la tête baissée et la plupart des habitants ne se rendront pas compte de ce que tu es. Ça t'évitera de finir... Dans l'état où tu es arrivée, voir pire.

— Merci. Je vais de ce pas rejoindre cette carrière pour m'entraîner.

Machinalement, comme un automatisme à force d'avoir répété ce geste, Cristal salua ce qui restait du conseil avec une révérence parfaite, digne d'un membre de la famille royale, puis quitta la grande salle. Juste derrière la porte, adossée à un mur, la jeune elfe croisa le regard d'Isphiale, la femme démone aux idées extrêmes. Celle-ci ne manqua pas d'ailleurs de faire comme ses comparses et de cracher à ses pieds.

— Ce bout de tissu ne sera jamais suffisant pour cacher ta laideur.

— J'espère sincèrement que vous comprendrez un jour que nous sommes du même côté.

— Nous serons du même côté quand tu iras volontairement te balancer au bout d'une corde, avec tous tes semblables.

Sachant pertinemment que ce genre de personne ne pouvait pas être convaincue par la parole, mais uniquement par les actes, Cristal n'insista pas et la dépassa pour sortir du bâtiment. Une fois dehors, elle sentit une main se poser sur son épaule. Au moins, Mélyne était auprès d'elle et ne l'avait pas abandonnée.

— Merci pour tout ce que tu as fait et pour tout ce que tu continues de faire pour moi. Sans toi, je serai morte... Et désolée d'avoir été une enfant capricieuse et pourrie gâtée.

— Ne t'en fais pas, tu n'as jamais été difficile à vivre, sourit son ancienne servante. Et même lorsque tu faisais un caprice, j'étais heureuse de me dire que ça n'était qu'un caprice d'enfant et non un caprice malsain comme tes frères et sœurs étaient coutumiers.

— Si je n'avais pas été une menace pour mon père et qu'il n'avait pas décidé de me tuer, serais-tu restée à mes côtés ?

— Je pense que oui. Rien que pour m'assurer que tu ne tournes pas mal. Pour que, dans la famille royale, il y ait au moins une chance que ce soit une bonne personne qui hérite du trône.

Ce qui, à moins d'un assassinat, ne serait pas arrivé avant longtemps. Si les elfes se sentaient supérieurs aux autres espèces, même aux dragons, c'était à la fois grâce à leur magie surpuissante, mais aussi leur longévité presque infinie. Les seuls qui pouvaient rivaliser avec eux sur cet aspect étaient ces êtres semblables à eux, exception faite de leurs oreilles arrondies plutôt que pointues et des ailes qui leur permettaient de voler.

Les anges visitaient régulièrement ce monde, bien que ce ne soit pas le leur. Ils étaient aussi évolués et, outre l'aspect physique différent, ne se différenciaient des elfes avec qui ils avaient de très bonnes relations que par la forme de leur objet d'âme.

C'est vrai, elle s'en rappelait à présent. Il y avait effectivement des exceptions là où elle avait dit que c'étaient uniquement des instruments qui se matérialisaient. Ce peuple ailé avait des armes à la place. Si cela dépendait de la race, quels allaient être les objets de tous ceux rassemblés ici et qui allaient bientôt tenter la cérémonie ?

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant