Chapitre 16 : Réveil douloureux

162 50 3
                                    

 Revenant à elle comme après avoir manqué de se noyer, Cristal prit une grande inspiration et fut prise d'une quinte de toux douloureuse. Un mal indescriptible la tiraillait au niveau de la poitrine, l'empêchait de respirer convenablement et lui donnait l'impression d'être entravée.

En baissant les yeux pour inspecter son corps, la jeune elfe se rendit compte qu'un bandage la serrait, mais il n'était en rien la cause de ce mal qu'elle ressentait. Tout ce qui l'entourait lui était inconnu. On l'avait installée dans un lit pour le moins miteux, au milieu d'une pièce sombre dont les murs ne semblaient pas avoir été construits, mais étaient plutôt naturels, comme une grotte.

Au niveau de l'ameublement, outre le lit, Cristal remarqua une vieille commode, une table de nuit sur laquelle brûlait une bougie et une chaise. Cette dernière était d'ailleurs occupée par un homme qui la regardait. Un elfe ? Non, il en avait l'apparence, mais quelque chose d'autre se dégageait de lui. Un dragon.

— Qu'est-ce que...

— Ne bougez pas, vous êtes passée à deux doigts de la mort et vous n'êtes pas encore sortie d'affaire.

— Que m'est-il arrivé ?

— Vous ne vous souvenez de rien ?

— J'accomplissais le rituel pour obtenir mon instrument, je le tenais en main et après plus rien.

— Ce que je vais vous dire va sans doute vous choquer, mais ne faites surtout pas de geste brusque si vous voulez rester en vie. Votre état est tel que le moindre faux mouvement rouvrirait votre blessure et vous tuerai.

Comprenant qu'elle devait se tenir tranquille, Cristal hocha la tête et attendit d'avoir de plus amples explications. Pourquoi se retrouvait-elle dans cet état ? Échouer à invoquer son instrument était quelque chose de rarissime et elle était certaine d'avoir réussi.

— Votre père a voulu vous tuer.

— Quoi ? Mais... Pourquoi ?

— Parce que vos pouvoirs dépassent de loin les siens et qu'il a eu peur de ne pas pouvoir vous contrôler.

— C'est... C'est impossible. Il en ferait jamais ça !

— Du calme. N'oubliez pas ce que j'ai dit. Ne vous agitez pas si vous voulez rester en vie. Si vous ne le faites pas pour vous, faites-le au moins pour nous qui avons eu un mal fou à vous maintenir en vie, à vous transporter jusqu'ici et à vous soigner alors que vous aviez le cœur transpercé.

En entendant la raison de son mal, des flashes lui revinrent en mémoire. Elle se vit tenir son violon entre les mains, un large sourire aux lèvres d'avoir réussi. Puis l'instant d'après, avoir le visage de son père à quelques centimètres du sien. Une douleur aiguë l'avait alors saisie et, en baissant les yeux, elle avait tout juste eu le temps d'apercevoir un poignard planté dans son cœur avant de s'évanouir.

— Pourquoi a-t-il fait ça ? Pleura-t-elle.

— Croyez-moi, vous n'êtes pas la première de ses enfants à avoir subi une telle chose. Vous avez plus de frères et de sœurs morts de cette manière que vivants. Comme je l'ai dit, votre père tue systématiquement ses enfants s'il a la moindre crainte de ne pas pouvoir en faire ses pantins. Il en est de même pour ceux qui n'invoquent pas d'instrument de cristal.

— Ma... Ma mère l'a laissé faire ? Demanda-t-elle en se rappelant qu'elle était aussi présente.

— Les concubines de votre père dont les enfants sont ainsi tués subissent le même sort. Il ne veut pas risquer que l'une d'elles cherche à se venger à un moment où il n'est pas sur ses gardes.

— Ma mère est morte ? s'étrangla Cristal.

C'était un cauchemar. Elle allait se réveiller dans son lit d'un instant à l'autre et faire en sorte d'oublier cette conversation aussi irréelle que sordide. Mais depuis quand la douleur ressentie dans un cauchemar était si... Réelle ?

— Vous l'avez sauvé aussi ? Demanda-t-elle pleine d'espoir.

— Nous avons intercepté les golems qui devaient se débarrasser des corps. Il n'était pas trop tard pour vous, mais elle avait déjà rendu son dernier souffle. Et pour être honnête, même si ça n'avait pas été le cas, nous n'aurions rien fait pour elle.

— Pourquoi ? Pourquoi chercher à me sauver moi ?

— Tu peux entrer !

Derrière le dragon, Cristal vit une porte s'ouvrir, puis se refermer. À cause de la luminosité, la jeune elfe ne reconnut sa silhouette que lorsqu'elle fut arrivée à son chevet. Elle connaissait très bien cette démone. Il s'agissait de la servante qui était sous ses ordres depuis des années.

— Mélyne, se réjouit-elle en voyant ce visage familier.

— Bonjour petite maîtresse. Je suis heureuse de vous voir en vie.

— Qu'a-t-elle à voir dans toute cette histoire ?

— Mélyne fait partie de notre groupe depuis des années. C'est nous qui l'avons envoyée pour qu'elle soit votre servante. C'est l'un des sacrifices ultimes pour l'un de nos membres.

— Je... Je ne comprends pas.

— Depuis quand suis-je à votre service ? Questionna la démone.

— Je devais avoir trois ans, donc sept ans ?

— En effet. Pendant sept ans, j'ai veillé sur vous et vous m'avez très bien traitée.

— Bien sûr ! Tu es mon amie ! Je te considère même comme un membre de ma famille.

— Et c'est ce qui vous différencie de vos frères et sœurs, commenta le dragon. À partir du moment où un serviteur est désigné pour être aux ordres de l'un d'eux, il lui reste en moyenne deux mois à vivre.

— Quoi ?

— Certains s'en lassent et se contentent de les tuer proprement et rapidement. D'autres s'amusent à les torturer à mort. L'une de vos sœurs a même ritualisé cette pratique. Elle torture jusqu'à la mort son serviteur après une semaine.

— E...Erindel ?

— Sinélia, répondit la démone en baissant les yeux.

Non, c'était impossible ! Sinélia était sa grande sœur préférée. Elle était la douceur incarnée et était incapable de faire du mal à qui que ce soit. Tout ce qu'ils racontaient n'étaient que des mensonges, ça ne pouvait pas être vrai !

— Je comprends l'incompréhension qui se lit sur votre visage, mais croyez-moi. J'ai passé sept ans à vivre dans l'aile des serviteurs quand je n'étais pas auprès de vous. J'ai vu le désarroi, la panique, la peur, la résignation des personnes qui devaient servir vos frères et sœurs. J'ai entendu et vu de mes propres yeux les sévices qu'ils leur faisaient subir. Une moitié finissait par être tuée par eux, l'autre se suicidait pour ne pas avoir à en subir davantage. Vous êtes la seule, de l'histoire de votre famille, à avoir gardé la même servante toute votre vie. Vous êtes la seule à considérer les autres races comme des personnes et non comme des objets sans âme. Vous êtes la seule de cette famille qui mérite d'être sauvée et vous êtes la seule capable de mettre fin à la tyrannie de la famille royale et de tous les elfes en général.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant