Chapitre 102 : Le désespoir de Rolane

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 — Prends ton temps, conseilla Cristal en voyant que Syara semblait toujours déboussolée par ce qu'elle venait de voir. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, dis-le-moi.

Une nouvelle fois, la beast était perdue. Même si elle ne l'avait vu qu'à deux reprises et côtoyée qu'une seule fois, elle savait que ce côté attentionné était naturel chez elle. Et pourtant, Syara ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle agissait ainsi pour la manipuler et la gagner à sa cause. Que faire ? Si elle n'avait pas d'arrière-pensées, la repousser lui ferait de la peine et, sachant qu'elle était celle par qui passait le pouvoir du violon, ça n'était pas la bonne chose à faire. Cependant, se laisser entraîner dans ce jeu pouvait s'avérer dangereux si elle était effectivement ce que l'ombre prétendait.

Avait-elle lu dans ses pensées ou bien son expression la trahissait-elle ? Dans tous les cas, Cristal finit par lâcher sa main et prendre ses distances pour lui laisser un peu d'espace. Si ça n'était qu'un détail, Syara voulait absolument savoir comment elle avait deviné avant de parler de ce qu'elle avait vu dans les archives.

— Pourquoi t'éloignes-tu comme ça ?

— J'ai perçu que tu étais mal à l'aise et j'ai fini par comprendre que j'en étais là cause. Je me suis rapprochée de toi pour te soutenir, mais vu que tu doutes de moi, cela n'a pas eu l'effet escompté. Je suis désolée, j'aurai dû y penser avant.

— Et comment as-tu vu que j'étais mal à l'aise ?

— Tu es crispée. Même si tu as appris mon existence depuis peu, moi je suis à tes côtés depuis que tu as récupéré le violon, donc je te connais bien, mais un parfait inconnu aurait très bien pu le remarquer aussi. C'est... Flagrant.

Si elle n'appréciait pas être trahie par ses expressions et avoir l'impression que l'on lisait en elle comme dans un livre ouvert, Syara était tout de même rassurée par cette explication. Elle avait effectivement senti qu'elle était crispée lorsque Cristal lui avait fait remarquer et les chances qu'elle ait lu dans ses pensées plutôt que dans sa posture étaient finalement minces.

— Dans ces archives, il y avait une stèle en pierre, commença-t-elle enfin à raconter. Des mots se gravaient dessus, comme pour narrer les événements passés. La forme et les tournures donnaient presque l'impression qu'il s'agissait d'un livre, d'un conte. Après quelques phrases, j'ai assisté aux scènes qui étaient décrites, comme si la stèle était une fenêtre sur ces événements. Et plus encore, j'étais liée au porteur du violon. Je ressentait ce qu'il ressentais et j'avais l'impression de tout savoir de la situation que je voyais pourtant pour la première fois.

— Tu as donc vu Fos avec cette stèle ?

— Pas tout de suite. J'ai d'abord vu ceux qui ont utilisé le violon avant moi. D'abord un satyre. Il se trouvait devant une ville en flammes et riait. D'après cette vision, l'ombre a profité de cette euphorie pour prendre le contrôle et se pétrifier pour arrêter tout ça.

— Il base donc ses histoires sur des faits qui sont réellement arrivés, mais les altère pour jouer le beau rôle, réfléchit Cristal. Ce qui me peine le plus dans ce que tu viens de dire, c'est qu'il salit la mémoire de Rolane. C'était un gentil garçon, le genre à donner ses primes aux plus démunis comme tu as pu le faire avec les orphelins.

— Il semblait pourtant plus qu'heureux de voir cette ville brûler avec ses habitants encore à l'intérieur...

— Son époque n'était pas aussi stable que la tienne. Il y avait des tensions entre les pays là où, aujourd'hui, effacer les frontières ne ferait pas grand-chose. Il a découvert qu'une invasion de son pays natal était imminente et a voulu éviter ce qui allait être un massacre. Il est arrivé trop tard... Maintenant que tu le dis, c'est vrai, il riait, mais ça n'était certainement pas des rires de joie. La vision de sa ville natale en flamme lui a fait perdre à la fois la raison et l'espoir. C'était un rire de démence adressé à sa propre impuissance. Une vulnérabilité que l'ombre n'a pas hésité à exploiter pour prendre le contrôle.

— Et comment cela s'est terminé ?

— Là encore, il a puisé dans le vrai pour construire son histoire. Rolane a bien fini pétrifié, mais c'est Shay, présent à ses côtés et ayant lui aussi tout fait pour qu'ils arrivent à temps, qui lui a lancé ce sort alors qu'il était possédé par l'esprit corrompu. Il s'agissait de sa deuxième possession et elle lui a été fatale. D'ailleurs, si l'ombre a relâché son emprise sur toi chez les harpies lorsque Shay lui a ordonné, c'est parce qu'il savait qu'il n'avait aucune chance contre lui à ce moment-là. Parce qu'il s'agissait pour toi aussi de ta deuxième possession. Il a donc attendu la troisième pour se confronter à des dragons.

— Ça n'est donc pas lui, sous les ordres de Fos et de toi, qui a mis le feu à cette ville ? Pourtant tout portait à croire que c'était le cas.

— Tu es persuadée que c'était réel parce qu'il t'a insufflé des émotions pendant que tu voyais cette scène. Comme je te l'ai dit, pour ma part, je n'ai pas de quoi te faire revivre ce passage de l'histoire. Enfin, je pourrais avec un peu de préparation, mais l'ombre en profiterait pour prendre possession de toi comme il l'a fait lorsque Shavi a partagé ses souvenirs. Par contre, si cela peut servir de preuve, il s'agissait d'une ville mise à sac par un pays déclarant la guerre à un autre. Je pense que cet événement se trouve dans les livres d'histoire. La ville s'appelait Soralis. Si tu fais des recherches, tu verras que c'est une armée qui y a mis le feu et non le porteur du violon.

Le sac de Soralis. Ce terme lui était effectivement familier vu qu'elle l'avait vu en cours d'histoire. La paix durable avait commencé après cette guerre atroce dont pillage et la destruction entière de cette ville avait été l'élément déclencheur. À moins que tout un pays ne soit manipulé par Fos, il y avait peu de chance que le porteur soit à l'origine de cet événement.

— Cela reste sa parole contre la nôtre et tu es libre d'en tirer les conclusions que tu veux, mais pour ma part, ce premier événement qu'il t'a montré me rassure autant qu'il me désole.

— Pourquoi ça ?

— Il me désole parce qu'il salit la mémoire de Rolane et il me rassure parce qu'il y a déjà quelques failles dans son récit. L'ombre est incapable de prendre possession de quelqu'un s'il n'est pas assailli d'émotions négatives. Tu as dit que le Rolane que tu as vu était euphorique. Il n'aurait donc pas pu le contrôler pour le pétrifier.

C'est vrai. Lorsqu'elle avait rencontré Fos pour la première fois, il lui avait parlé des conditions qui pouvaient mener à la possession. Si l'euphorie avait été ce qui avait perdu le dernier porteur, il n'aurait sans doute pas omis de le préciser. Qu'il soit un allié ou un manipulateur, cacher cette information n'était pas dans son intérêt.

Plus à l'aise et quelque peu rassurée, Syara sourit à Cristal et se rapprocha un peu d'elle pour lui montrer qu'elle avait réussi à la convaincre que cette première histoire était bancale. Restait à voir si elle arrivait à trouver une justification aux suivantes.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant