Chapitre 42 : Tyran contre libératrice

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 — Voici donc le visage, la personnification de ma propre négligence, annonça le tyran en se retournant. Tu as bien changé, Cristal.

— Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureuse de représenter ta plus grande peur.

— Peur ? Je n'irai pas jusque-là. Une gène tout au plus.

— Une gène qui s'est emparée de toutes tes terres. Il ne te reste plus que cette terrasse.

— Et c'est depuis cette terrasse que je l'emporterai sur l'insurrection que tu mènes avec ces animaux. Le sort qui me permettra d'accomplir une telle chose est déjà terminé, ça n'est plus qu'une question de temps avant que la victoire finale de me revienne.

— Même si tu dis vrai et que ce sort est puissant, il ne reste presque plus personne de la famille royale.

— Oui, j'ai cru comprendre que tu avais fait le ménage dans mes progénitures. Je dois bien avouer qu'ils m'ont tous beaucoup déçu. Je serai plus strict avec les prochains.

Les prochains ? Il avait l'air d'être aussi affecté par la mort de ses enfants que si on lui apprenait qu'on avait cassé de la vaisselle ! Au moins, ce manque de compassion servait Cristal qui avait de plus en plus envie d'en finir avec lui.

— Il n'y aura pas de prochain. La famille royale s'éteindra avec toi !

— Et toi alors ? Tu comptes mourir en même temps que moi ? M'emporter dans ta chute, c'est ça ton plan ?

— La Cristal qui était ton enfant est morte de tes mains le jour où tu l'as poignardée en plein cœur.

— Et elle a été remplacée par une autre qui s'est alliée à ces barbares pour se venger, continua-t-il.

— Barbares, animaux, vous n'arrêtez pas de les dénigrer alors qu'ils ont agi de manière bien plus civilisée que vous.

— Ça, c'est parce que tu ne les as pas connus avant que je ne prenne les choses en main. Ces races inférieures persécutaient les elfes, tout n'était que guerre de territoire, il n'y avait rien de civilisé chez eux ! J'ai fait le nécessaire pour protéger notre peuple, c'est ça que tu veux me reprocher ?

— tes intentions étaient peut-être louables à cette époque, mais tu as bien trop changé. Le toi d'autrefois ne se reconnaîtrait sans doute pas en te voyant. Tu n'es plus qu'un tyran sans une once d'émotion bonne à garder, le dernier obstacle pour que tout le monde puisse enfin vivre en paix.

— Assez parlé, comme je l'ai dit, j'ai déjà gagné et tu commences à véritablement m'insupporter. Je vais en finir avec toi et annihiler ta stupide rébellion une bonne fois pour toute !

Portant sa flûte à sa bouche, le tyran commença à jouer quelques notes que Cristal suivit immédiatement avec son violon. Dès les premières notes, la jeune elfe écarquilla les yeux de surprise. Ce combat allait à la fois être le plus expéditif et le plus éprouvant qu'elle n'avait jamais fait.

Quelques secondes avaient suffi pour que le sort déterminant change une bonne centaine de fois de nature. Ils avaient dépassé de loin le point de rupture, chose qui ne lui était arrivée que très rarement. Elle ne devait plus y insuffler de la puissance pour l'emporter, mais au contraire la réguler et la contrôler pour éviter que le sort de se retourne contre elle alors qu'il était en sa possession.

Cristal peinait à suivre et se sentait être vidée de son énergie tandis que son père restait totalement stoïque et continuait à jouer comme si tout ceci ne l'affectait pas. Chaque moment où il reprenait le sort était une véritable délivrance, mais elle ne pouvait se permettre de lui laisser trop longtemps sous peine qu'il ne l'achève et le lance sur elle.

Ce combat était une véritable épreuve de détermination et de résilience dont la mélodie jouée collait parfaitement à la situation. Elle était rapide, épique, pourvue d'envolées qui cristallisaient le combat invisible qui se jouait.

Cet affrontement était la représentation la plus pure d'un combat entre deux musiciens. Aucun des deux n'essayait de se gêner à l'aide de sorts secondaires, tout se jouait sur le déterminant qui continuait à devenir de plus en plus instable. À chaque fois qu'elle reprenait le contrôle, elle avait l'impression de devoir porter à bout de bras une montagne entière !

La seule chose qui la faisait tenir était ses amis derrière la porte. Ils l'observaient, impuissants, se battre autant pour elle que pour eux. Si elle abandonnait, s'en était assurément fini d'elle, mais aussi d'eux qui allaient être pris dans l'attaque ainsi que de toute la ville qui se trouvait derrière.

Cristal était dans une impasse. Elle ne pouvait pas se permettre de le laisser terminer le sort, mais était incapable elle-même de le faire. Si son père s'en rendait compte, il n'avait qu'à lui laisser pour qu'il s'emballe et qu'elle soit vaincue. Elle devait trouver une solution, et vite !

Tandis qu'elle se disait ça, une idée germa dans sa tête, comme une révélation. À Chaque changement d'élément, celui qui le remplaçait était unique et pur. Et si, plutôt que de chercher à compléter le sort, elle profitait d'en avoir le contrôle pour y insuffler une seconde nature ? Le procédé était complexe, elle ne savait même pas s'il était faisable, cependant, elle n'avait plus rien à perdre.

Lorsqu'elle reprit le contrôle du sort déterminant et qu'il passa de l'élément feu à celui de l'eau, Cristal s'empressa d'imaginer en son centre une bulle d'air comprimée. Comme elle le prévoyait, le tyran reprit le sort en passant par un élément de terre. À cet instant, Cristal arrêta de jouer et sourit. Elle savait qu'elle avait gagné.

L'air comprimé par sa magie n'était plus retenue et la terre, qui n'était pas assez résistante pour contenir autant de pression, vola en éclats. De l'extérieur, tout ceci était parfaitement invisible, mais cette représentation était limpide dans l'esprit des deux musiciens.

Les yeux écarquillés, le tyran ne put rien faire face à ce piège. Un grondement assourdissant fit trembler tout le palais et, bien que rien de visible n'apparaisse, le roi fut projeté contre le mur opposé de la terrasse.

Son père tomba lourdement à terre et ne bougea plus. Sa flûte roula jusqu'aux pieds de cristal et commença à disparaître, signe que son propriétaire n'en avait plus pour très longtemps.

— Tu as gagné ce combat, mais la victoire finale m'appartient, annonça-t-il avant de rendre son dernier souffle.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant