Chapitre 53 : Convaincre le maire

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 — Alors ? Pressa le maire.

— Je... Je ne sais pas vraiment par quoi commencer, avoua Sae.

— La petite harpie hésitante, ça marche peut-être pour attendrir un groupe d'aventurier, mais les dirigeants cherchent bien plus de l'assurance, de la conviction. Si vous continuez ainsi, vous pouvez être certaine que votre rêve en restera un et que votre règne d'impératrice ne fera pas long feu.

Le maire était dur avec elle, mais avait néanmoins raison. Syara commençait d'ailleurs à se demander s'il n'était pas déjà acquis à leur cause, mais jouait le réfractaire pour préparer Sae à ce qui l'attendait par la suite. Tout ceci n'était qu'une supposition, mais la beast espérait que ce soit vrai.

— Bon... souffla-t-il. Commençons par vos revendications. Vous voulez la paix entre l'union des races et les harpies. Qu'avez-vous à y gagner et comment voyez-vous le déroulé des choses ?

— Pour les harpies, une telle paix arrêterait le massacre des nôtres considérés comme des nuisibles. C'est à cause de cette peur de nous faire tuer que nous restons sur nos territoires et que nous attaquons quiconque entre dessus. Si nous arrivons à faire la paix, nous pourrions quitter nos terres sans aucune crainte. Bien sûr, je sais que cela ne se fera pas en un jour et que si j'ai un certain contrôle sur mes semblables, ça n'est pas le cas pour vous. Les autres races pourraient se sentir agressées en voyant arriver dans leurs villes des harpies. Dans un premier temps, les terres harpies seraient accessibles à tout le monde. Voyant que nous ne sommes pas une menace et, dans l'idéal, après avoir fait des échanges qui pourraient profiter à tout le monde, à ce moment là nous commencerons à sortir pour à terme intégrer l'union des races et être considérées d'égal à égal avec vous.

Si Sae avait d'abord été hésitante, la violoniste ne pouvait qu'être impressionnée par ce qu'elle venait de dire. Son rêve était celui d'une adolescente remplie d'idéaux, mais son plan avait été bien plus réfléchi que ce qu'elle pensait. Le maire avait écouté avec attention et n'avait rien laissé paraître. Avec l'hypothèse qu'avait faite Syara, c'était une bonne chose. Des propos incohérents auraient donné lieu à une interruption de sa part pour appuyer sur un tel point.

— J'aurai plusieurs questions. Tout d'abord, qu'est-ce que nous aurions à gagner dans cette paix ? Vous avez parlé d'échange, mais avez-vous au moins quelque chose de valeur pour que ce plan fonctionne ?

— Comme je l'ai dit, le premier intérêt est que vous ne seriez plus attaqués dès que vous posez le pied sur un territoire harpie. La sécurité serait donc un argument pour un camp autant que pour l'autre. Avant que je ne devienne impératrice, l'attaque d'intrus était systématique et je suis certaine que, parmi les victimes, il n'y avait pas que des personnes qui nous voulaient du mal. Elles devaient passer dans nos montagnes ou nos forêts pour y récolter des ressources ou étaient juste de passage.

— Et pour cette histoire d'échange ?

— étant coupées des autres races, nous ne savons pas vraiment ce qui a de la valeur pour vous, mais Syara et ses amis ont tout de suite accepté les récompenses que nous leur proposions, disant même que c'était trop.

— Les montagnes habitées par les harpies regorgent de pierres précieuses et sans doute de minerais, expliqua Rael. Il est aussi connu que certaines de leurs forêts contiennent des plantes rares utilisables en alchimie. Dans les halls des musiciens, il n'est pas rare de voir une mission de protection d'une expédition qui part en territoire harpie pour en récupérer.

— Vous avez donc de quoi commercer, déduisit-il. Un conseil cependant, n'évoquez plus cette histoire de récompense trop grande ou le fait que vous ne savez pas ce qui a de la valeur pour nous. Nous sommes loin d'être tous bien intentionnés et une telle méconnaissance serait un aveu de faiblesse dont certains pourraient tirer parti pour vous voler vos ressources ou même vous exploiter.

— Un conseil précieux ? Ne seriez-vous pas en train de vous laisser convaincre ? Sourit Elyazra.

— Je suis dans la politique depuis un long moment et je suis assez doué pour détecter les mensonges ou les promesses en l'air. Tout ceci me semble sincère. Aussi, je dois bien avouer que cela semble pour le moment bien construit. Si votre plan était de faire la paix et qu'une fois actée tout se serait bien passé comme dans le meilleur des mondes, je vous aurais demandé de remettre vos capes et vos capuches et de quitter mon bureau sur le champ. D'ailleurs, en parlant de politique, voici une nouvelle question. Admettons que nous soyons arrivés à terme et que les harpies vivent au beau milieu des autres races. Dans beaucoup de villes, comme à Sendra, le peuple élit son dirigeant. Or, si les harpies peuvent voter et que vous avez un contrôle sur elles, cela donnera un avantage considérable à celui que vous voulez soutenir.

— Je ne veux pas que mes semblables soient des esclaves sous mes ordres. Je n'en ai donné que deux pour le moment. Que les clans arrêtent de se faire la guerre et qu'elles arrêtent de s'en prendre aux autres races à moins qu'elles ne soient en danger. Par la suite, à part pour demander à ce qu'elles collaborent pour instaurer la paix, je compte leur laisser leur libre arbitre. En aucun cas je ne veux les influencer sur ce genre de chose.

— Même si vous semblez sincère encore une fois, il faudra faire mieux pour convaincre qui que ce soit qu'il s'agit de la vérité, grimaça-t-il. Passons à la question suivante pour le moment. Avec votre emprise sur les harpies, vous pouvez les faire adhérer à votre cause, mais la menace que représente votre peuple ne date pas d'hier. Même dans l'autre monde, les harpies étaient à part et personne ne traitait avec eux. Admettons que le traité de paix soit signé. Il reste tout de même un risque que personne ne veuille commercer avec vous à cause de cette peur et cette méfiance plus que millénaire. Sans la collaboration des autres races, pas d'ouverture possible. Personne ne se rendra compte de votre bonne volonté. Vous l'avez d'ailleurs dit vous-même, si vous pouvez donner un ordre absolu à vos semblables, nous, nous en sommes incapables.

— La peur ferait échouer le traité de paix, résuma Guard.

— Il suffit de peu de choses. Un musicien qui attaque des harpies en dépit des lois, les harpies se défendent et le tuent, des témoins affirment que vous n'avez pas changé et nous repartons comme avant. Cette étape d'établir des relations commerciales est pour le moment le point faible de votre plan. Comment comptez-vous y remédier et éviter le scénario plus que probable que j'ai énoncé ?

Cette fois-ci, Sae semblait totalement perdue. Elle avait réussi à répondre avec assez de justesse pour les questions précédentes, mais la problématique qu'il soulevait était d'un tout autre niveau. Ça n'était pas quelque chose qu'une adolescente avait pu envisager.

— Puis-je exposer une idée ? Proposa Syara qui avait bien une solution.

— J'aurais préféré qu'elle vienne de l'impératrice, mais dites toujours.

— Elle a fait appel à nous parce qu'elle nous fait confiance. Ce problème ne peut-il pas être justement réglé par la confiance ?

— Ça n'est... pas très clair... avoua le maire

— Plutôt que de laisser les choses se faire naturellement, les villes et états pourraient missionner des personnes de confiance pour commercer avec les harpies. Ainsi il n'y aurait pas la crainte de ne pas aboutir à des liens commerciaux. Limiter les échanges avec les partenaires officiels dans un premier temps permettrait aussi de leur apprendre le commerce et elles éviteraient ainsi de se faire voler leurs ressources par des personnes mal intentionnées.

— C'est placer en haute estime beaucoup de villes et d'états. Croyez-moi, s'ils ont l'occasion de dépouiller les harpies, ils le feront sans aucun état d'âme. Cette idée de restreindre le commerce dans un premier temps est cependant un plan que l'on peut affiner pour qu'il soit viable.

— Si vous dites ça, cela veut dire que...

— Que Sendra va vous aider, confirma le maire.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant