Chapitre 88 : Un bain à la juste température

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 Après avoir rattrapé le temps perdu et s'être raconté ce qu'ils avaient faits chacun de leur côté depuis leur séparation, Elyazra avait décidé de partir à la recherche d'une salle de bain. Elle ne l'avait que peu remarqué pendant leur voyage vu qu'elles étaient à l'air libre, mais à présent qu'elle se retrouvait entre quatre murs, sa propre odeur corporelle l'insupportait.

Elle croisa dans un couloir l'un des serviteurs de la forteresse qui lui apprit que chaque Kiel avait ses propres appartements à l'intérieur. L'homme lui donna ainsi les indications pour se rendre dans les siens, puis repartit à ses propres tâches.

La demie-dragonne suivit ainsi chaque direction qui lui avait été donnée et finit effectivement par tomber dans ce qui ressemblait à un appartement. Celui-ci comportait un salon, une chambre et une salle de bain avec tout le confort nécessaire. À l'intérieur, elle n'avait plus du tout l'impression de se trouver dans une forteresse perchée sur une montagne, mais plutôt dans un immeuble comme celui qu'elle avait habité avec Syara, Guard et Phi avant qu'ils n'emménagent dans leur nouvelle maison. La seule différence ici était la vue depuis la fenêtre qui offrait un véritable panorama sur les pics infranchissables plutôt que sur une simple rue d'un quartier d'habitation.

Dans la salle de bain, Elyazra tapissa le fond de la baignoire de flammèches noires, puis y fit couler l'eau. Elle allait enfin pouvoir prendre un bain à la température qu'elle voulait, se dit-elle. Que ce soit dans leur ancien appartement ou dans leur nouvelle maison, ils s'étaient tous ligués contre elle lorsqu'elle avait fait ça en lui hurlant dessus qu'elle allait détruire la baignoire avec ses bêtises. Là au moins, il n'y avait aucun risque que ça arrive vu que le bac était en pierre.

En attendant qu'elle se remplisse, la demie-dragonne alla inspecter le reste de l'appartement. Elle trouva dans le salon un casier rempli de bouteilles de vin. S'il se trouvait là, dans ses appartements, elle devait sans aucun doute avoir le droit de se servir, se dit-elle. Elle resta malgré tout prudente. S'il s'agissait de bouteilles qui dataient de la dernière venue de son père en ces lieux, il était tout à fait possible qu'elles aient plusieurs siècles et que le précieux liquide qu'elles renfermaient ne soient plus que du vinaigre impropre à la consommation.

Les étiquettes parlaient d'un grand cru, mais il n'y avait étonnamment aucune indication quant à la date de mise en bouteille. Il ne restait donc qu'un seul moyen de s'assurer qu'il était encore bon. Ne trouvant pas de tire-bouchon, la demie-dragonne se servit de son auriculaire pour faire pression sur le cylindre de liège et le fit tomber dans la bouteille.

Le breuvage libéré, elle en prit une gorgée directement au goulot et, satisfaite du goût, emporta la bouteille avec elle. Dans son inspection de la chambre, Elyazra remarqua que la penderie était remplie de vêtements à sa taille et plutôt taillés pour une femme. En dépliant une robe argentée, elle ne put s'empêcher de sourire en pensant à son père dans un tel accoutrement.

La raison de la présence de tels vêtements devait être tout autre, finit-elle par déduire. Ils savaient que Shavi était mort et que la personne qui le remplaçait au conseil était une femme. Ce devait être pour ça qu'ils avaient mis de telles tenues dans l'armoire.

Ils n'avaient cependant pas vraiment investigué sur ses goûts vestimentaires, grimaça-t-elle en vidant la penderie sur le lit. L'extrême majorité de cette garde-robe était constituée de robes qui pouvaient très bien faire l'affaire lors de soirées organisées par la haute société. Ce n'est qu'au fond qu'elle finit par trouver un pantalon et une chemise à peu près normale qu'elle embarqua avec elle dans la salle de bain.

La baignoire était bien remplie et le tapis de flammèches avait été plus qu'efficace. La pièce entière était noyée dans un épais brouillard et l'agitation de l'eau à cause des multitudes de bulles qui ne cessaient de remonter à la surface présageaient de la température bien trop élevée pour un humain normal.

— Parfait ! S'exclama cependant la demie-dragonne après y avoir plongé sa main.

Après avoir déposé vêtements et serviettes sur une chaise à l'extérieur pour éviter qu'ils ne prennent l'humidité, Elyazra ferma la porte, se déshabilla et plongea dans le bassin normalement mortel.

— Rien ne vaut une eau tout juste portée à ébullition pour se détendre, dit-elle pour elle-même tout en s'étirant.

Tandis qu'elle se prélassait dans ce qui était, à ses yeux, son meilleur bain depuis bien longtemps, en plus accompagné d'un vin qui était loin d'être mauvais, la porte de la salle de bain s'ouvrit et laissa s'échapper une bonne partie de la vapeur.

— Mais qu'est-ce que vous faites là vous ?! S'exclama une voix féminine au travers de la brume encore trop dense pour qu'elle voie quoi que ce soit.

— Moi ? Ça ne se voit pas ? Je prends un bain. Mais je vous retourne la question, qu'est-ce que vous faites dans mes appartements ?

— Ce sont mes appartements ! Les vôtres sont en face !

— Ah ! Ça explique la penderie remplie de robes. Je voyais mal mon père porter ça.

— Mais... Vous avez débouché l'une de mes bouteilles en plus ?!

— C'est à dire que... comme je croyais qu'il s'agissait de mes appartements, je me suis dit que ça avait été mis là pour moi. Il est pas dégueu. Vous en voulez un verre ?

— Pas dégueu ? Vous vous rendez compte que vous êtes en train de vous enfiler une bouteille absolument hors de prix comme s'il s'agissait d'une vulgaire piquette ?! Et en plus vous l'avez débouchée comme une barbare ! S'emporta la dragonne en prenant la bouteille des mains d'Elyazra et en remarquant le bouchon qui flottait à l'intérieur.

— Il n'y avait rien pour la déboucher proprement, se défendit-elle. Du coup, mieux vaut la finir avant qu'elle ne s'évente, non ?

Visiblement furieuse, la dragonne repartit en claquant la porte de la salle de bain. La demie-dragonne avait peut-être perdu sa bouteille, mais vu qu'elle ne lui avait pas ordonné de sortir et qu'elle avait eu la gentillesse de refermer la porte, cela voulait sans doute dire qu'elle voulait bien la laisser terminer son bain, se dit-elle en fermant les yeux et en relâchant ses muscles dans l'eau bouillante.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant