Chapitre 70 : L'eau de la discorde

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 Sur la place des portails, Syara et Elyazra s'appétaient à dire au revoir à leurs amis. À cause de la demie-dragonne pour qui le mot modération ne faisait pas partie de son vocabulaire, elles avaient pris du retard et n'étaient toujours pas parties alors qu'il était presque midi. Le voyage commençait d'autant plus mal que les deux sœurs étaient encore fâchées l'une contre l'autre.

L'une reprochait à la seconde d'avoir abusé sur l'alcool malgré leur départ prévenu le lendemain matin tandis que l'autre était furieuse d'avoir été réveillée à grand renfort de seau d'eau glacé. Les autres membres de la collocation avaient bien essayé de dissuader Syara d'utiliser une telle méthode, mais sa patience était à bout et elle avait réussi, avec une certaine agilité, à les dépasser pour jeter le contenu de son seau au visage d'Elyazra.

S'en était suivi une dispute explosive qui avait, comme d'habitude, failli déborder, mais qui avait été calmée par Rael et Guard avant qu'un drame n'arrive. Sur le point de partir, la hache de guerre n'était toujours pas enterrée et chacune s'adressait à leurs amis pour faire passer un message à l'autre, comme si elles ne se trouvaient pas au même endroit.

En plus de leur retard, l'absence de Phi pour leur dire au revoir peinait Syara. La jeune fée avait usé de tous les arguments possibles et imaginables pour les accompagner, mais avait essuyé un refus catégorique. Sans doute fâchée, elle s'était enfermée dans sa chambre et n'en était pas sortie depuis, ne répondant même pas lorsque la beast avait frappé à la porte.

— Faites attention à vous et bon courage, souhaita Guard. Et faites en sorte de vous rabibocher.

— Et vous, restez bien à l'affût si Sae prend contact avec vous.

— Si elle a besoin de nous, on sera auprès d'elle avant même que ses agresseurs n'aient le temps de grimper sur le plateau, promit l'elfe Cyber.

— Avec Rael, nous allons nous entraîner au vol par lévitation. Ainsi, nous pourrons la rejoindre bien plus vite qu'à pied, expliqua Guard.

— Bon courage. Pour avoir subi cet entraînement, ça n'est vraiment pas facile.

— Dites aussi à Phi qu'on est désolée. Quand on sera de retour, on fera la mission qu'elle voudra, ajouta Elyazra.

— Elle s'en remettra et elle finira par comprendre. Et si elle n'arrive vraiment pas à passer à autre chose, nous retournerons voir Sae sans qu'elle ne nous ait appelés. Vu qu'elles sont devenues de très bonnes amies, cela lui changera les idées.

Après les aux revoir qui s'avéraient bien plus compliqués que prévu pour Elyazra et Rael, les deux sœurs prirent un collier pour la ville la plus proche des pics infranchissables et s'engouffrèrent dans un portail. Arrivées de l'autre côté, elles découvrirent une petite ville sans prétention, bien loin de Léfarène ou Sendra. Il était même étonnant qu'un portail direct qu'elles venaient d'emprunter existe et que ce voyage ne se soit pas fait en deux temps.

Toujours sans se parler, Elyazra et Syara se rendirent d'abord au marché pour y prendre des vivres pour la route. Vu qu'elles avaient reçu cette mission au moment même où elles avaient posé leurs affaires de la précédente, cette partie préparation et achat des consommables de voyage n'avait put être fait avant.

Elles auraient certes pu le faire à Léfarène, mais la beast avait consciemment oublié ce point pour être libre de ses achats et ne pas avoir un certain satyre à la corne coupée derrière elle pour lui dire qu'elle prenait bien trop de viandes et pas assez de verdure. Ainsi, même si la demie-dragonne et la beast restaient en froid et ne se parlaient toujours pas, elles se mirent tout de même d'accord pour faire le bonheur du boucher et être des clientes normales pour le maraîcher.

Le nécessaire acheté, le deux sœurs se mirent en route pour les pics infranchissables. S'orienter n'était pas bien compliqué vu que les montagnes pointaient déjà à l'horizon et occupaient toute la partie nord du paysage. Elles sortirent donc par la porte de la ville de cette direction et arrivèrent rapidement à un pont en pierre qui enjambait une rivière.

Bien qu'assez grand pour que deux chariots se croisent, Elyazra longeait le petit muret qui servait de garde-corps et s'arrêta en plein milieu, fixant l'eau qui se trouvait en dessous.

— Dis Syara...

— Tiens donc, tu me reparles maintenant ? S'étonna la beast.

— J'aurai pu te faire la tête encore longtemps, mais ça, ça me pousse à te parler. Ça ne serait pas un corps dans l'eau ?

Intriguée par ce que la demie-dragonne venait de dire, la violoniste s'approcha à son tour et se mit à fixer l'endroit qu'elle pointait de doigt. Un corps, ça ? Ça n'était rien d'autre qu'un amas d'algues ! Il était tellement difforme qu'il ne pouvait même pas s'agir d'un élémental. Comment une personne avec une vision aussi bonne pouvait confondre cet amas de plantes avec un corps ?

Alors qu'elle allait se tourner vers Elyazra pour lui poser la question, Syara se sentit être violemment poussée dans le dos. Le choc la fit passer le muret et, avant qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit, la beast se retrouva dans la rivière.

La chute de quelques mètres et le fait qu'il y ait de la profondeur à l'endroit où elle était tombée ne la blessèrent pas, mais la surprise lui avait fait boire et aspirer par le nez une bonne quantité d'eau.

En remontant à la surface, une quinte de toux incontrôlable la prit pour expulser ce qu'elle avait dans les poumons. Elle regarda ensuite le pont au-dessus d'elle et comprit ce qui s'était passé. Sa sœur était debout sur le muret, hilare.

— Salope ! Hurla-t-elle.

— Ça c'est pour m'avoir réveillée avec un seau d'eau glacé ! S'esclaffa la demie-dragonne.

L'idée d'utiliser son violon sous l'eau pour qu'elle ne se doute de rien et ainsi la faire tomber passa un instant dans son esprit. Elle se retint cependant à cause d'une théorie qu'elle allait bientôt mettre en pratique et qui l'empêchait totalement d'avoir recours à cette solution pour sa vengeance. Qu'importe ! Elle lui rendrait la monnaie de sa pièce le moment venu, lorsqu'elle aurait baissé sa garde, pensa-t-elle en regagnant la rive à la nage. Pour le moment, mieux valait faire comme si elles étaient quittes. Sa vengeance n'en serait que plus délicieuse, surtout sans Guard dans les parages pour la retenir, se dit-elle avec un large sourire.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant