Chapitre 18 : Sous terre

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 D'un pas hésitant, Cristal sortit du lit et rejoignit le dragon à l'entrée. Depuis qu'elle s'était réveillée ici, les seules fois où elle s'était levée avaient été pour se rendre au pot de chambre qui se trouvait juste à côté. C'était donc la première fois qu'elle allait véritablement marcher depuis que son père l'avait poignardée.

Une fois sortie, la jeune elfe n'en crut pas ses yeux. Elle se trouvait sur une corniche et, en contrebas, s'étendait une ville entière ! Celle-ci était loin des standards de son peuple et semblait avoir été construite dans des matériaux de récupération, mais le plus impressionnant était que cette ville se trouvait sous terre !

La grotte géante était éclairée par de gigantesques cristaux luminescents qui faisaient que l'on y voyait comme en plein jour. Au loin, Cristal semblait même apercevoir des champs. Les autres races avaient donc construit une ville autonome sous terre ?

— Ton père a la main-mise sur la surface, mais les sous-sols nous appartiennent, commenta le dragon.

Ce spectacle était à la fois merveilleux et désolant. D'un côté ils avaient réussi à bâtir une telle chose malgré toutes les contraintes que cela impliquait, mais de l'autre, ils étaient obligés de se terrer pour pouvoir être libre.

Le dragon la laissa un instant contempler leur œuvre, puis se mit à descendre vers la ville par le chemin qui avait été creusé dans la roche. Ne voulant pas être abandonnée, Cristal tenta de le suivre, mais ressentit une certaine douleur à chacun de ses pas. Elle était pieds nus et on ne pouvait pas dire que le sol avait été pensé pour marcher ainsi.

— Dites... Vous n'auriez pas des chaussures par hasard ?

— J'ai les miennes.

— Non, je veux dire...

— Je sais parfaitement ce que tu veux dire, mais non. Si tu veux des chaussures, il va falloir que tu te débrouilles pour en trouver. Tu es loin d'être la seule ici à ne pas profiter de ce type de confort. La seule différence, c'est que les autres ne s'en plaignent pas.

Pas besoin d'être aussi agressif, se dit-elle en baissant les yeux. Elle n'avait fait que demander sans savoir que c'était un luxe ici alors qu'il s'agissait d'un bien commun à la surface. Comment pouvait-elle le savoir ?

— Le satyre, demanda-t-elle plutôt, à la fois pour changer de sujet et oublier la douleur que lui provoquait chacun de ses pas. Celui qui m'apportait à manger et à boire. Il déteste les elfes, c'est évident et ça se comprend, mais j'ai l'impression qu'il y a plus que ça. Comme s'il m'en voulait personnellement.

— C'est le cas.

— Mais je ne lui ai rien fait.

— Toi non, mais pour lui, tu es un membre de la famille royale. Tu pourras remercier ta sœur Sinélia pour cette rancœur qu'il a.

— Elle s'en est prise à lui ?

— À ses sœurs. Trois sœurs, trois semaines. À

Immédiatement, Cristal rapprocha cette information avec ce qu'elle avait appris des pratiques de celle qu'elle considérait comme la plus douce et la plus attentionnée de ses sœurs. En moins d'un mois, elle avait donc décimé la famille de ce pauvre homme. Pas étonnant qu'il lui en veuille, même si elle n'avait rien à voir avec cette histoire.

Arrivée en bas, dans la ville, elle remarqua immédiatement qu'elle ne passait pas inaperçue. Tout le monde la dévisageait. Certains d'un air craintif, d'autres colérique. Les crachats se multipliaient devant elle, si bien qu'elle ne pouvait pas vraiment faire autrement que de marcher dedans.

Ce pouvait être pire, relativisa-t-elle. Sans la présence du dragon, ils ne se seraient pas gênés pour lui cracher directement dessus ou même lui jeter des pierres au visage. Au moins, une chose était claire. Le fait de la sauver des griffes de la mort ne faisait clairement pas l'unanimité parmi les habitants de la ville souterraine.

— Tu ne dis rien ?

— Qu'importe ce que je répondrais ou si j'essaie de me justifier, cela ne fera qu'empirer les choses. À leurs yeux je suis déjà coupable alors la moindre chose qui sortira de ma bouche ne sera qu'un prétexte et une invitation à me faire balancer au bout d'une corde.

— Tu penses qu'ils iraient jusque-là ? Nous prendrais-tu finalement pour des sauvages ?

— Qu'importe la race, la colère et la haine mène toujours à ce genre d'extrémité. Répondre ne ferait qu'augmenter leur ressentiment et les pousser à ça.

— Tu es bien lucide pour une enfant de dix ans. Mais et si je te disais que ton comportement donnait l'impression que tu étais finalement hautaine et dédaigneuse. Que tu ne les trouvais même pas assez digne pour que ton regard se pose sur eux ?

— J'ai vraiment l'air de dégager cette impression ?

Cela aurait été le cas si elle avait continué à marcher en les ignorant totalement et en avançant le menton levé, la tête haute. Ici, elle gardait la tête baissée et les épaules basses, loin de la posture qu'on avait exigée qu'elle adopte depuis qu'elle avait appris à marcher.

— Pourrais-je voir Mélyne ?

— Si elle le veut. Mais il faut que tu comprennes qu'elle n'est plus sous tes ordres. Elle t'a appelée petite maîtresse à ton réveil, mais c'était la dernière fois.

— Ça, je l'avais parfaitement compris. Mais pour moi, elle est un peu comme une deuxième mère. Je ne suis pas comme mes frères et sœurs, mais plus j'y réfléchis, plus je me dis que j'ai beaucoup de choses à me faire pardonner. J'ai vécu dans une toute autre réalité que la vôtre et je pense qu'elle pourrait m'aider à faire les bons choix.

— Encore à quémander quelque chose ? Des chaussures, de l'aide sans rien en retour.

— Vous voulez mes pouvoirs, oui ou non ?

— Tu veux rester en vie, oui ou non ?

— Je dis juste qu'elle est la mieux placée parce qu'elle me connaît. Qu'elle saura me dire ce que je fais de mal plutôt que de me cracher dessus et que je ne soit pas plus avancée que ça pour corriger ce qui ne va pas !

Si elle pensait que hausser le ton ainsi pour se justifier était une bonne idée, ce qu'elle avait dit précédemment était en train de se réaliser. Les habitants la fusillaient du regard avec des mâchoires aussi serrées que leurs poings. Si elle voulait vivre une journée de plus, il valait mieux qu'elle se taise.

— Je lui ferai part de ta requête, conclut finalement le dragon. Maintenant pressons le pas si tu ne veux pas qu'ils finissent ce que ton père avait commencé.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant