Chapitre 127 : Sous un ciel étoilé

129 30 3
                                    

 Pour une première nuit à passer sur le monde des anges, Syara n'aurait pas pu rêver mieux. Le baron les avait accueillis en tant qu'invités et, à ce titre, chacun avait une grande chambre luxueuse. Ils étaient encore mieux lotis que lorsqu'ils logeaient chez le maire de Sendra, se dit la beast.

Sa journée avait beau avoir été bien remplie, il était encore un peu tôt aux yeux de la violoniste pour aller se coucher. Peut-être pouvait-elle rejoindre quelqu'un pour parler encore un peu, mais qui ? Certainement pas Phi. Déjà au dîner, la jeune fée piquait du nez et était exténuée d'avoir volé tout l'après-midi. Elle devait déjà s'être endormie.

Elyazra alors ? Non. Avec sa sœur, il y avait une chance sur deux pour que leur discussion se transforme en dispute et elle n'avait pas vraiment la tête à ça. Elle avait beau trouver ça défoulant et, après coup, amusant, c'était une barrière qui s'était peu à peu installée entre elles et qui compliquait les discussions sérieuses et posées. Les seules qu'elles pouvaient avoir étaient à l'initiative de la demie-dragonne.

Elle pensa un instant à aller voir Orélius, mais se ravisa encore une fois à cause de sa sœur. Même si ça n'était que pour discuter, elle l'interpréterait sans doute autrement et n'arrêterait pas de faire des allusions comme elle le faisait déjà avec Élane. Ainsi, vu qu'elle ne voulait pas déranger leur futur guide non plus pour les mêmes raisons, il ne restait plus qu'Elirielle.

Sortie de sa chambre, la beast se rendit à celle juste à côté et frappa doucement à la porte. Il était peu probable que la dragonne dorme déjà, mais au cas où, mieux valait s'annoncer assez fort pour qu'elle entende, mais tout de même assez faiblement pour ne pas la réveiller si elle était déjà couchée.

Après quelques instants sans réponse et avoir réitéré l'opération, Syara se dit qu'il était tout de même étonnant qu'elle dorme. Plutôt que d'insister ou de renoncer, elle se permit donc d'ouvrir avec le plus de discrétion possible pour jeter un œil à l'intérieur. Elirielle n'était effectivement pas dans son lit, mais elle ne semblait pas non plus être présente dans la chambre.

Elles étaient pourtant entrées en même temps dans celles qui leur avait été attribuées. Elle était ressortie ensuite ? Peut-être avait-elle de nouveau besoin de s'entretenir avec le baron ou que, comme elle, une envie de discuter l'avait poussée à se rendre dans une autre chambre.

— Je suis là, entre, entendit-elle, réduisant ainsi toutes ses suppositions à néant.

En pénétrant plus en avant dans la chambre, la violoniste finit effectivement par trouver la dragonne. Si elle ne l'avait pas vu en premier lieu, c'était parce qu'elle se trouvait sur le balcon, à une place qui n'était pas visible depuis l'entrée. Accoudée au garde-corps, Elirielle avait les yeux rivés sur le ciel et contemplait cette voûte céleste qui était cachée dans leur monde.

— Il me semblait bien avoir entendu frapper, mais je n'en étais pas sûre, annonça-t-elle alors que Syara la rejoignait.

— Si vous ne m'avez pas entendue avec une ouïe aussi fine que la vôtre, c'est que vous deviez être perdue dans vos pensées. Je vous dérange ?

— Non, tu ne me déranges pas. Et oui, j'étais effectivement perdue dans mes pensées. J'étais plongée dans mes souvenirs, loin dans le passé alors que le grand cataclysme n'avait pas encore eu lieu et que personne n'imaginait encore qu'un monde entier allait devoir être évacué. C'est ce ciel qui me fait cet effet-là, je ne peux en détourner les yeux.

— Je ne l'ai, pour ma part, vu qu'au travers des livres d'histoire ou bien copiées par les fées ou dans mon violon donc il m'est difficile d'imaginer la nostalgie que cela peut vous procurer.

— C'est en perdant des choses que nous pensons insignifiantes que nous nous rendons compte d'à quel point elles sont importantes pour nous. Dans notre monde, plus personne ne regarde le ciel pour le contempler. Nous ne le faisons que pour savoir si la pluie tombera bientôt. Mais même avant ça, même avant que les nuages ne recouvrent le monde, presque personne n'y prêtait attention, moi la première.

— Pensez-vous que nous retrouverons un ciel pareil un jour chez nous ?

— Ça m'étonnerait. Lorsque la guerre cyber s'est terminée, le ciel nuageux était devenu l'une des principales préoccupations de tous. Sans la lumière du jour, les personnes n'étaient plus vraiment les mêmes, plus en proie aux émotions négatives. De même, beaucoup craignaient que les plantations ne finissent par mourir vu que le soleil était essentiel à leur croissance. Tous les musiciens et les dragons également se sont attelés à cette tâche et personne n'a réussi à les chasser. Finalement, nous avons découvert que toute l'énergie insufflée dans les terres remplaçait le soleil pour les plantes et, avec les nouvelles générations qui elles, n'avaient pas connu de ciel bleu ou de nuit étoilée, chasser les nuages est devenu quelque chose de secondaire, voir d'anecdotique.

— Les musiciens de cette époque avaient aussi des instruments de l'âme plutôt que des instruments liés, réfléchit Syara. Ils avaient beau être moins nombreux, ils étaient aussi plus puissants. Si eux et vous n'avez pas réussi, alors je ne vois pas comment nous pourrions y parvenir.

— Une personne a réussi à percer une brèche dans les nuages un jour, nuança la dragonne. Ça n'a pas duré bien longtemps. En à peine cinq minutes, elle était refermée. C'est à cet instant que tous les dragons ont abandonné.

— J'imagine que cette personne devait être Fos. Il n'y a que lui pour réussir là où des dragons ont échoué. Mais pourquoi abandonner alors qu'il a montré que c'était possible ?

— C'est bien Fos, confirma Elirielle. Et si nous avons abandonné, c'est parce que ce trou nous a permis d'entrevoir l'ampleur de la tâche. Ce qui se trouve au-dessus de nos têtes lorsque nous sommes dans notre monde, ça n'est pas une petite couche de nuage, mais une véritable chape de plusieurs kilomètres. C'est un véritable miracle que la lumière parvienne encore à percer et que nous ne soyons pas plongés dans le noir complet. Ils ne sont d'ailleurs pas naturels vu que nous avons l'impression de nous heurter à un mur lorsque nous tentons de les traverser. Lorsque Fos a percé cette couche, toute la région a connu de violents orages pendant un mois entier. Nous en avons conclu que réitérer ces tentatives pourrait mener à un véritable cataclysme à cause d'une possible réaction en chaîne.

— C'est une crainte légitime, acquiesça Syara.

Pendant toute leur discussion, Elirielle n'avait pas dévié son regard du ciel. Si Syara était venue pour parler, à présent, elle ne voulait plus la déranger et se contenta de garder le silence et de l'imiter. La reproduction de ce ciel dans le violon était assez fidèle, mais il y avait d'autres éléments qui donnaient à ce moment une atmosphère bien particulière.

La fraîcheur de la nuit, les bruits de la nature exacerbés par l'obscurité, une légère odeur d'humidité dans l'air. Contempler le ciel nocturne n'était pas qu'une question de vue, mais en appelait à tous les sens.

Surprise par un point lumineux qui traversa une partie de la voûte céleste avant de disparaître, la violoniste ne dit rien, mais pensa qu'elle avait bien fait de venir voir Elirielle. Avec ce qu'elle avait la chance de contempler à cet instant, son imagination était déjà en train de créer une musique qui y rendrait hommage. Une fois de retour dans sa chambre, il faudrait absolument qu'elle en écrive les partitions avant d'en oublier la mélodie. Elle ne pourrait de toute façon pas dormir sans l'avoir fait. La nuit risquait donc d'être très courte.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant