Chapitre 56 : Attendre le grand jour

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 Après de longs jours à réfléchir au plan parfait, à prendre en compte toutes les éventualités possibles, à jauger tous les risques imaginables ainsi que, même, certains inimaginables, tous les points avaient été abordés, ils étaient prêts. Si tout se déroulait comme ils l'envisageaient, ça n'était pas uniquement le conseil de Léfarène qu'ils allaient pouvoir convaincre, mais tous les dirigeants du pays.

Ce plan demandait cependant d'attendre deux mois pour être exécuté. L'idée de ne pas se précipiter venant du maire, celui-ci avait naturellement proposé de continuer à les héberger jusqu'à ce que le moment soit venu.

Après avoir accepté, Rael avait été envoyé auprès des harpies pour leur remettre une lettre de leur impératrice. Celle-ci expliquait que son absence prolongée était tout à fait normale et qu'elles ne devaient pas s'inquiéter. Sae avait hésité à l'écrire, mais s'était dit que les harpies pouvaient très bien causer des problèmes en partant à sa recherche sans pour autant contrevenir aux ordres qu'elle avait donné.

Le mage de vent avait aussi été choisi pour en profiter et faire un détour par le hall des musiciens de Léfarène. Le groupe l'avait envoyé pour qu'il rende compte de la situation dans laquelle ils se trouvaient. Le but n'était en aucun cas de révéler la nature de la mission, mais de les prévenir qu'ils l'acceptaient et qu'ils allaient y consacrer plusieurs mois. En agissant ainsi, ils s'assuraient de ne pas se retrouver à la rue à leur retour en étant considéré comme disparus.

Tout en pensant à la protection de leurs clientes, le groupe s'autorisa à voir au maximum deux personnes s'éloigner d'elles. Ainsi, à tour de rôle, chacun pouvait aller prendre l'air comme le faisait Elyazra depuis qu'ils s'étaient installés chez le maire.

Le plus dur était sans aucun doute pour les harpies. Habituées à vivre à l'air libre, dans les grandes étendues d'herbes qu'offraient les plateaux de la chaîne d'Hara ou bien tout simplement dans les airs, elles vivaient très mal le fait de ne pas pouvoir sortir.

Le maire avait cependant été clair là-dessus. Chacune de leurs sorties, même cachées par leurs capes, était un risque énorme. Il ne pouvait pas non plus leur assurer sa protection si elles étaient découvertes en ville avant le grand jour. Sae et ses sœurs durent donc prendre leur mal en patience.

Pour Syara et Phi, leur bien être faisait tout autant partie de la mission que leur protection. Ainsi, elles mirent un point d'honneur à leur changer les idées pour qu'elles ne pensent pas à cet isolement. Elles étaient très assidues aux ateliers musicaux de la violoniste. La grande demeure du maire contenait de nombreux instruments dont certains pouvaient être joués malgré les serres de harpies. Ceux-ci plaisaient particulièrement aux deux sœurs. Pour Sae, il s'agissait plus souvent d'écrire de nouvelles chansons que la beast accompagnait au violon ou avec un autre instrument qu'elle maîtrisait.

Grâce à leurs efforts pour leur changer les idées, l'attente du grand jour fut moins insoutenable. Ceux qui sortaient pouvaient voir que la ville était en effervescence. Des banderoles étaient accrochées partout, les hôtels affichaient complet, les rues étaient encore plus noires de monde que d'habitude. Un camp provisoire fait de rangées de tentes avait même été construit aux pieds des remparts.

Les grands jeux de Sendra, un événement sportif qui réunissait les athlètes de tout le pays ainsi que leurs supporters avait été reporté à cause de la catastrophe de Sendra et de la reconstruction qui avait suivi. La ville ayant retrouvé une bonne santé, ceux-ci pouvaient à présent avoir lieu.

Il s'agissait d'une semaine entière de fêtes à ne surtout pas manquer. Beaucoup de personnes se fichaient des épreuves sportives, mais les concerts, les bals, les marchés encore plus fournis qu'à l'habitude ainsi que d'autres animations en tout genre les poussaient à venir tout de même.

Ce genre de célébration angoissait tout particulièrement Guard. Le satyre n'avait pas spécialement peur de la foule, mais craignait le comportement de deux sœurs particulièrement terribles lorsqu'elles étaient en présence d'alcool ou de nourriture à profusion. Ils avaient beau avoir mangé à l'œil pendant deux mois, leurs finances n'en restaient pas moins critiques vu qu'ils n'avaient toujours pas été payés pour la mission qu'ils accomplissaient.

Syara pouvait encore être raisonnée, surtout qu'avec la mission et le rôle qu'elle allait devoir y jouer, elle ne pensait pas vraiment à son estomac. Elyazra par contre ne dérogeait pas à ses habitudes et s'était éclipsée dès que les animations avaient commencé. La demie-dragonne avait prétexté partir à la recherche de son cousin qu'elle n'avait toujours pas retrouvé, affirmant que les grands jeux de Sendra l'avaient peut-être attiré.

Sachant qu'il n'avait pas le pouvoir de la retenir, Guard s'était contenté de lui faire promettre de ne pas attirer l'attention sur elle et d'être de retour en fin d'après-midi. Si tout se déroulait comme dans le meilleur des mondes, sa présence ne serait pas nécessaire, mais elle se révélerait utile pour protéger les harpies si cela dégénérait.

Tout allait se jouer pendant le dîner organisé par le maire de Sendra chez lui. Il s'agissait là aussi d'une tradition où ce dernier invitait chaque dirigeant des villes qui participaient aux jeux et c'était cet instant qu'ils avaient choisi pour leur présenter l'impératrice harpie ainsi que son idéal de paix.

En intervenant à ce moment-là, ils s'assuraient que leur discours allait être entendu par un grand nombre de personnes importantes. S'ils étaient aussi raisonnables que le maire de Sendra, tout se passerait bien. Cette occasion était aussi l'une des seules où ils pouvaient s'adresser au conseil de Léfarène sans avoir à passer par plusieurs contrôles qui auraient révélé la nature de Sae.

Depuis la bibliothèque à l'étage, Syara observait l'extérieur. Même cette partie de la ville pourtant calme était animée. Les allées et venues dans la rue étaient fréquentes et inégales selon le moment. Les personnes passaient sans doute par ici pour se rendre à une animation une fois celle où ils se trouvaient terminée.

Enfin, ce qu'elle attendait se produisit. Le maire, accompagné du cortège de dirigeants, passa le portail. Ceux-ci semblaient pour le moins détendus et de bonne humeur. Ils n'avaient même pas d'escorte, ce qui tranchait radicalement avec toutes les sécurités qu'il fallait normalement passer pour approcher le conseil de Léfarène. Ça n'était pas plus mal. Ne pas avoir de garde rapprochée dans les pattes allait rendre les choses plus simples.

— Ils sont là, annonça finalement la beast aux harpies et à son groupe qui s'étaient réunis dans la bibliothèque.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant