Chapitre 4: Mauvaise formulation

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 Mais quelle truie ! Elyazra n'en revenait toujours pas de la dispute qu'elle avait eue avec sa sœur. Selon elle, c'était entièrement de sa faute s'ils avaient échoué la mission ? C'est sûr qu'en restant bien à l'abri dans son coin à frotter les cordes de son violon pour rien, elle ne prenait aucun risque d'abîmer une salade.

Et elle croyait qu'elle avait ravagé le champ par pur plaisir ? Que c'était intentionnel ? Pourtant, il fallait bien que quelqu'un se charge d'attirer l'attention de la bête pour que justement les lanceurs de sorts puissent agir sereinement. Et un sanglier géant, ça ne s'immobilisait pas comme ça. Si Guard avait réussi, c'était uniquement parce qu'elle avait passé tout ce temps à l'épuiser.

Madame parfaite méritait amplement tout ce qu'elle avait dit sur elle. Et si elle n'était pas contente, ils n'avaient qu'à échanger leur rôle lors de la prochaine mission. Après tout, elle commençait à en avoir marre d'avoir toujours le rôle ingrat ! Elle se démenait pour le groupe, les autres récoltaient les lauriers et elle les reproches...

Enfin, pour cette fois-ci, elle ne pouvait pas enlever à Phi qu'utiliser un bouclier comme prison sur la bête avait été une très bonne idée et qu'elle méritait des félicitations. Rael l'avait empêchée d'en finir plus tôt, mais le mal était déjà fait et Guard avait bien pris le relais quand elle n'avait plus été capable d'attirer l'attention de la bête. Il ne restait donc qu'une personne. Une qui n'avait rien fait, aussi utile qu'une spectatrice et qui en plus se permettait d'être la plus critique !

— Je ne sais même pas pourquoi je reste avec cette garce, grinça-t-elle entre ses dents.

— Parce qu'elle est ta sœur ? Se hasarda une voix familière derrière elle.

Rael l'avait suivie, comme c'était étonnant, souffla-t-elle intérieurement. Elle l'aimait toujours autant, mais qu'est-ce qu'il pouvait être pot de colle ! Si elle était partie, c'était pour prendre l'air et être un peu seule, il devait pourtant le savoir ! À moins que...

— Laisse-moi deviner. Tu es là pour t'assurer que je ne rejoigne pas le bar le plus proche ?

— A vrai dire, je me dis plutôt qu'une bonne bière bien fraîche te fera le plus grand bien et te permettra de te détendre. On est un peu à court d'argent dans le pot commun, mais moi il me reste quelques fonds. Je t'invite ?

— Pourquoi pas. Et pour répondre à ta supposition, non, je ne reste pas parce qu'elle est ma sœur. Je ne la considère pas comme faisant partie de ma famille. D'elle, il ne me reste qu'un cousin qui est comme un frère pour moi et qui est je ne sais où. Pour le reste, cette violoniste de pacotille s'est chargée de tuer mes deux figures paternelles.

— tu dis ça sous le coup de la colère. Tu sais très bien qu'elle n'est en rien fautive dans leur disparition.

C'est vrai. Elle savait parfaitement que l'ombre qui se cachait dans le violon faisait tout pour sortir. Vu qu'il exacerbait les sentiments négatifs et que Shavi avait partagé son souvenir le plus triste et traumatisant en donnant l'impression qu'ils étaient lui, Syara n'aurait rien pu faire pour contenir cette chose.

— Tu penses qu'elle a raison ? Que c'est entièrement de ma faute si on a échoué les dernières missions ?

— Je pense que chacun est un peu fautif. Pour celle-ci, je ne dirai pas que c'est toi, mais plutôt notre stratégie qui était mauvaise. Nous n'aurions pas dû combattre dans les champs. Ici, c'est toi qui as fait le plus de dégât indirectement, mais tu étais aussi la plus impliquée. Après, chacun a fait des erreurs individuelles.

— Fais attention à ce que tu dis, il y en a une parmi nous qui est intouchable, rit Elyazra.

— Tu parles de Phi ? Elle a brillé pendant cette mission, mais je te rappelle qu'il y a deux semaines on avait fait cinq jours de voyage pour apporter un vase dans un coin perdu sans téléporteur et que le vase lui a échappé des mains lorsqu'on était arrivé.

— C'était à mourir de rire, s'esclaffa la demi-dragonne.

— En attendant, nous n'avons pas été payés et le client était furieux. Tu vois, Phi n'est pas intouchable, mais elle sait reconnaître ses propres fautes. D'ailleurs je suis certain que toi aussi tu aurais reconnu ta part de responsabilité, mais Guard a mal formulé sa question.

— Comment ça ?

— Toi et Syara avez un fort caractère, tu ne peux pas le nier, n'est-ce pas ?

— Moui, si tu le dis.

— En demandant ce qui était allé de travers, il a laissé les deux personnes avec un fort franc parler s'exprimer et dire ce qui n'allait pas chez l'autre. Pour qu'une telle discussion soit constructive, il aurait dû demander à ce que chaque personne liste ce qu'il avait fait de mal personnellement ou ce que tout le groupe aurait dû faire. Ainsi, tu serais venue à la même conclusion que moi que combattre dans les champs n'était pas la chose à faire et Syara aurait dit d'elle-même que ses pouvoirs lui avaient encore fait défaut.

— Tu penses que cette simple différence aurait donné lieu à un aussi gros changement ?

— J'en suis certain. Cela fait maintenant plusieurs années que je suis mage et j'ai fait partie de plusieurs groupes. Les esprits qui s'échauffent et le groupe qui éclate à cause d'une phrase mal formulée, j'y ai assisté plusieurs fois.

— Et tu crois que c'est ce qui va nous arriver ? s'horrifia Elyazra.

— Non, je ne pense pas que ça ira jusque-là. Je nous vois plus comme une famille que comme de simples compagnons de travail. Et c'est d'ailleurs en cela que je pense que tu as tort. Il ne te reste pas qu'un cousin pour seule famille. Tu en as une ici, même si une seule personne parmi elle partage un lien de sang avec toi.

— Si c'est le cas, dis-moi qui est quoi par rapport à moi.

— Syara est ta petite sœur avec qui tu te chamailles tout le temps, au contraire Phi est celle encore plus jeune que tu chercheras à protéger et à préserver. Guard est l'oncle, la figure adulte et mature qui tente de maintenir les murs en place quand ça explose entre toi et Syara et qui essaie de faire respecter certaines limites à celles qui se comportent encore comme des adolescentes rebelles.

— Crois-moi, tu n'as pas envie de voir comment j'étais lorsque j'étais adolescente, rit la demi-dragonne. Et toi dans tout ça ?

— Moi ? Une simple pièce rapportée qui cherche tant bien que mal à s'intégrer, sourit l'elfe cyber.

— N'importe quoi, rit Elyazra. Tu n'es pas qu'une pièce rapportée. Tu as bien plus d'importance que tu ne le crois dans cette famille. Tu es le seul à pouvoir faire entendre raison à la plus caractérielle des trois sœurs. Tu sais, celle qui n'arrête pas de changer d'avis.

— Ah bon ? Moi je pensais qu'elle était plutôt de genre à camper sur ses positions.

— C'est faux. Là par exemple, elle n'a plus tellement envie d'une bière, mais de tout autre chose, argumenta-t-elle avant de l'embrasser.

— Quoi... heu... maintenant ?

— Trouvons un coin tranquille, sourit la demie-dragonne.

Tirant son compagnon par la main, Elyazra se mit à chercher le fameux coin tranquille. La discussion qu'elle avait eue avec Rael lui avait permis de remettre un peu les choses à plat. Elle devrait s'excuser auprès de sa sœur pour ce qu'elle lui avait dit, mais ça, elle y penserait sur le chemin du retour. À cet instant, un tout autre sujet que la dispute occupait son esprit.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant