Chapitre 113 : La colère d'un dragonne

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 Comment en était-elle arrivée là ? Se demanda Syara. Que s'était-il passé pour que la situation ait autant dérapé ? Ses pieds cherchaient désespérément un endroit où se poser, mais tout ceci était vain. Il n'y avait sous elle que le vide. La seule chose à laquelle elle pouvait s'accrocher était ce qui l'empêchait de tomber. Un bras, la tenant fermement par le col. Pouvait-elle réellement dire que ce membre lui était salutaire alors que la personne à qui il appartenait la maintenait ainsi volontairement dans le vide ?

Sa sœur était exactement dans la même situation, mais ne semblait pas plus paniquée que ça. Et pourtant, si les doigts de leur agresseur s'ouvraient, le plongeon vers l'étendue de nuages était assuré. La technique de la demie-dragonne pour essayer de trouver appui était aussi différente de la sienne. Elle s'était mise à faire un mouvement de balancier latéral qui l'approchait d'elle, mais pas du rebord et de la terre ferme. Lorsqu'elle fut assez proche, un coup partit et Syara sentit une vive douleur dans son mollet.

— Tout ça c'est de ta faute ! S'exclama Elyazra.

— Ma faute ?! Et puis quoi encore ! Explosa la violoniste en commençant elle aussi à se balancer pour répliquer.

— Ça suffit ! Tonna Elirielle.

La dragonne était furieuse, totalement hors d'elle. Elle était d'ailleurs celle qui était allée les prendre par le col pour les suspendre à bout de bras dans le vide. Leurs vies ne tenaient qu'à son bon vouloir.

— Vous êtes sûr que... tenta Phi avant de se raviser en voyant le regard noir qu'elle lui lança.

— Vous êtes, l'une comme l'autre, absolument irrécupérable !

— Merci, on me le dit souvent, sourit Elyazra.

— Ely, vu notre position, je ne pense pas que ce soit le moment de faire la maline. Je n'ai pas encore pu tester ma magie sur ce monde et je ne suis pas certaine de pouvoir nous faire voler toutes les deux en urgence si elle nous lâche.

— Mais il n'y a pas à s'inquiéter, répondit la demie-dragonne comme si la situation n'était pas dangereuse. Shay me faisait la même chose avant quand il n'en pouvait plus de moi. La technique, c'est de bien saisir le poignet. Tant que tu ne le lâches pas, tu ne risques rien !

— Ah oui ? Mettons donc cette théorie à l'épreuve, grinça la dragonne.

Mettant sa menace à exécution, Elirielle desserra son emprise sur sa prisonnière de gauche. Sous les yeux horrifiés de Syara, sa sœur plongea d'un coup, mais comme elle l'avait annoncé, sa chute s'arrêta presque aussitôt. Elle était à présent suspendue au bras de la dragonne comme elle le serait avec une branche d'arbre.

Sans lui laisser le temps de baisser le bras, Elyazra poussa vers le haut et se propulsa au-dessus de la dragonne. Dans un saut périlleux gracieux, elle la survola et se réceptionna sur la terre ferme. Fière de cette manœuvre, elle s'apprêtait à saluer un public imaginaire lorsqu'un imposant projectile la heurta et l'envoya à terre.

Le projectile en question, Syara, était rassurée d'être de retour sur la terre-ferme, mais accusait le coup d'avoir été ainsi projetée sur sa sœur. À quelques mètres, Phi voulait intervenir, mais était empêchée par Orélius. Tout le monde s'accordait sur ce point. Elle ne devait pas être impliquée dans cette violente dispute.

— Je ne sais pas ce qui me retient de vous renvoyer de l'autre côté à grand coup de pied dans le cul ! Fulmina la dragonne.

— Mais qu'est-ce qu'elle a à brailler comme ça à la fin ?

— Il y a, espèce de sale gamine, grogna-t-elle en la reprenant par le col, des deux mains cette fois-ci, pour la soulever de terre. Il y a que l'avenir de notre monde repose sur nous. Il y a que si nous échouons notre mission, une guerre dont un seul camp est préparé va éclater. Il y a que je veux éviter un carnage et que j'ai amené avec moi deux gamines totalement inaptes à accomplir cette mission !

Ne se laissant pas démonter, Elyazra usa de ses pouvoirs et disparut dans un nuage de fumée pour réapparaître quelques mètres en arrière. Elle aurait très bien pu s'en sortir de la même manière la fois d'avant, alors pourquoi s'était-elle contentée d'un saut acrobatique ?

— Et en quoi nous sommes inaptes ?

— Premièrement, il ne vous aura même pas fallu une heure pour que vous vous bagarriez. Deuxièmement, vous êtes distraites et vous ne faites pas assez attention à ce qui vous entoure. Si je ne vous avait pas tirées en arrière, vous seriez tombées. Troisièmement, cette mission exige de la discrétion, pas de faire étalage de ses pouvoirs à la première occasion !

Alors qu'elle s'apprêtait à s'en prendre de nouveau à Elyazra, Syara s'interposa, son violon posé sur l'épaule et l'archet prêt à jouer une note. Le sérieux qui se lisait dans ses yeux fit hésiter un instant la dragonne. La violoniste en profita, non pas pour l'attaquer, mais pour prendre la parole.

— C'est vrai, nous nous bagarrons à la moindre occasion, mais vous ne pouvez pas nous dire que vous n'en saviez rien avec les semaines que nous avons passé ensemble. C'est faux, nous faisons attention à ce qui nous entoure. C'est même Ely qui a remarqué cette ombre alors que nous autres avions tourné les talons. Cet oiseau aurait très bien pu nous prendre par surprise par la suite si elle n'avait pas fait attention à son environnement. Et enfin, s'il fallait recommencer non pas au beau milieu de nulle part, mais en plein centre d'une ville d'ange, je n'hésiterai pas une seule seconde si c'est pour sauver la vie d'un enfant.

— Tu mettrais notre monde en péril pour sauver une vie ?

— Une vie sauvée n'est jamais du gâchis. Si ma couverture tombe, alors je trouverai un moyen d'empêcher la guerre sans elle. Si vous n'êtes pas d'accord avec ça, rien ne vous empêche de tenter d'accomplir la mission de votre côté.

— Moi qui te croyais différente de Fos, voilà que j'ai l'impression de l'entendre, souffla Elirielle dont une pointe d'apaisement s'était glissée dans son ton agacé.

— Dites ! Non pas que je sois pressé de vouloir en finir avec cette scène, mais est-ce qu'on peut passer directement au moment où chacune reconnaît ses torts dans cette histoire, que ce soit d'un côté comme de l'autre, et que vous vous réconciliez ? proposa Orélius. Le comité d'accueil arrive.

Suivant son regard, Syara ne put que constater que le demi-dragon disait vrai. Dans le ciel approchait en formation serrée une contingent d'anges. Restait à savoir s'ils venaient en ami parce qu'ils avaient sauvé un des leurs ou en ennemi parce qu'ils se trouvaient sur leurs terres.

En ce qui concernait Elirielle, même si elle trouvait qu'elle avait été pour le moins extrême, la violoniste ne pouvait lui en vouloir. Après tout, si les arguments ne tenaient pas, ses craintes étaient, elles, fondées et elle voulait sans aucun doute avoir un geste impactant dès le début pour remettre tout le monde dans le droit chemin. Une fois qu'elles seraient de nouveau seules, elle s'excuserait et promettrait de veiller à ce que sa sœur fasse le moins de vague possible, se promit-elle.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant