Chapitre 77 : La philosophie élémentale

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 Tout au long de la soirée et même pendant leur repas, le grand vénérable des élémentales avait fait en sorte de satisfaire la curiosité de Syara. Elle put apprendre de nombreuses choses, notamment la raison de cette politique isolationniste de certains clans de cette espèce. Pour eux, les autres races étaient responsables des maux subis par les forêts qui avaient alors créé les élémentales pour les protéger. Repousser les étrangers était donc leur raison de vivre et si certaines forêts avaient finies par pardonner, d'autres, comme celle-ci, étaient encore profondément marquées par les stigmates des guerres qui avaient eu lieu mille ans auparavant.

Tous les êtres faits de chair et de sang n'étaient malgré tout pas repoussés. Les animaux, eux, étaient acceptés car n'étaient en rien responsables du malheur des forêts. Ainsi, les forêts élémentales regorgeaient de vies animales, telles des réserves où ils pouvaient s'épanouir sans que les races intelligentes ne viennent bouleverser l'écosystème.

La beast l'interrogea aussi sur ce qu'un élémental d'un clan reclus pensait du fait que le bois était un matériau couramment utilisé par les autres races dans divers domaines et que cela impliquait d'abattre des arbres.

Contrairement à ce qu'elle croyait, lui et ses comparses ne s'en offusquaient pas. Son peuple faisait la différence entre les arbres éveillés et ceux primitifs. Pour appuyer son propos, il fit une analogie en disant qu'aucun membre des races intelligentes ne bougerait le petit doigt en apprenant qu'un loup avait tué une biche pour se nourrir, mais que cet animal serait sans doute traqué s'il s'était attaqué à un membre de l'un de ces peuples.

Ainsi, voir une planche de bois l'attristerait comme les êtres de chair et de sang s'émouvraient en tombant sur la carcasse de l'animal, mais il n'en ferait pas toute une histoire tant que cette planche n'était pas faite à partir d'un arbre éveillé.

Si elle comprenait l'analogie, le fait que les arbres primitifs soient tout de même conscients au point de faire voyager à travers le monde l'existence des fées l'empêchait d'être totalement convaincue. D'un autre côté, ayant toujours vécuedans des endroits dits civilisés, elle ne voyait pas comment les autres races pouvaient se passer de bois. Le fait qu'il le prenne ainsi n'était finalement pas plus mal. Si les élémentales considéraient les arbres primitifs au même niveau que les éveillés, cela aurait sans doute mené à une guerre ouverte.

Pendant que Syara parfaisait ses connaissances sur la culture de ce peuple, Phi continuait sa discussion avec l'arbre gigantesque qui avait modelé ses branches pour leur offrir un refuge. Elle ne s'était écartée qu'un instant de lui pour prendre de quoi manger et boire, puis était immédiatement remontée sur sa branche.

Finalement, le doyen des doyens avait fini par créer un deuxième dôme miniature pour que la jeune fée puisse rester à ses côtés. Vers la fin de sa discussion avec Ati, l'élémental apprit à Syara que Phi avait fini par s'endormir dans son propre abri.

Vu qu'elle ne pouvait faire de feu pour s'éclairer, la beast et la demie-dragonne décidèrent d'imiter la jeune fée et partirent se coucher après avoir souhaité une bonne nuit à leur hôte. De ce qu'elles voyaient, les élémentales aussi cessaient leurs activités la nuit. Tous ceux présents dans la clairière s'étaient totalement immobilisés dans des positions qui donnaient l'impression qu'ils n'étaient que des sculptures de bois vaguement humanoïdes.

Chacune sous leur couverture, sur le matelas moelleux de mousse, Syara et Elyazra ne tardèrent pas à trouver le sommeil. Cette nuit allait être bien plus confortable que les précédentes où elles avaient dormi sur le bord de la route et même meilleure que dans certaines auberges qu'elles avaient fréquentées. Lorsqu'ils ne tiraient pas des volées de flèches sur les étrangers, l'hospitalité des élémentales était irréprochable, se dit Syara avec amusement avant de s'endormir.

S'étant couchées tôt, les deux sœurs se levèrent dès que les nuages commencèrent à diffuser la lumière de l'astre solaire, toujours caché par ce voile cotonneux. La couleur gris clair indiquait que la journée allait être belle.

Avant même de prendre son petit-déjeuner, la curiosité de Syara prit le pas sur tout le reste. Elle se rendit au niveau du grand arbre et se hissa sur la pointe des pieds pour voir l'intérieur du petit dôme qui se trouvait sur la branche basse.

La jeune fée dormait toujours à poings fermée et, visiblement, elle avait eu un traitement de faveur supplémentaire. En plus du matelas de mousse, l'arbre lui avait fourni une couverture qui, bien qu'aussi fine qu'un bout de tissu, semblait tout de même assez efficace pour la protéger du froid matinal.

— Qu'est-ce que tu fiches ? Demanda Elyazra, encore à moitié endormie, en se frottant les yeux.

— Je jette juste un coup d'œil à la chambre royale, rit la beast.

— Tu veux la réveiller ?

— Non, laissons là dormir encore un peu. Mieux vaut qu'elle soit reposée pour l'ascension qui nous attend.

— Moui, enfin ça n'est pas elle qui va peiner le plus. Je te rappelle que si elle le souhaite, elle est plus légère qu'un moineau, qu'elle peut voler ou, si elle est fatiguée, se poser sur nous sans que ça ne nous fasse rien.

— Tu n'as pas tort, mais bon, je préfère la laisser dormir encore un peu, décida-t-elle, attendrie par la vision de la jeune fée toujours endormie.

— Tu ne la couves pas un peu trop ? Questionna sa sœur tandis qu'elle revenait vers leur abri.

— Tu trouves ?

— C'est systématique. Dès que c'est quelqu'un de plus jeune que toi, tu agis de cette manière. Phi, Sae, les orphelins, la sirène, lista-t-elle.

— Mais oui, c'est ça, rit Syara.

— Bien le bonjour chères invitées. Vous êtes-vous bien reposées ?

— C'était parfait ! S'exclama la demie-dragonne. Si nous pouvions être accueillies de la même manière où que nous allions, même en commençant par des volées de flèches, ce monde serait parfait !

Si Syara avait bien fait attention à ne pas parler trop fort, Elyazra, elle, ne s'était pas privée pour appuyer son compliment. Ainsi, les deux sœurs ne tardèrent pas à voir une fée pointer le bout de son nez, se frottant les yeux et baillant à s'en décrocher la mâchoire.

Vu qu'elle voulait visiblement garder cette apparence et cette taille tant qu'elle serait près de l'arbre, Syara lui coupa un bout de pomme que la jeune fée pouvait tenir dans ses mains et lui servit en tant que petit-déjeuner.

La beast aussi était aux fruits pour son premier repas, contrairement à la demie-dragonne qui avait entamé un saucisson à pleines dents sans même prendre la peine de le découper. Ati les laissa donc se rassasier, rassurant même la violoniste en assurant que non, aucun élémental n'allait s'offusquer de les voir manger un fruit et qu'ils poussaient autant pour donner de nouvelles pousses que pour être mangé par les êtres de chair.

Une fois ce repas terminé et un brin de toilette rudimentaire effectué, Phi resta quelques minutes auprès du doyen des doyens, puis rejoignit ses acolytes, prête à continuer leur périple. Syara et Elyazra ne pouvant communiquer avec lui, elles s'inclinèrent et demandèrent à Ati de transmettre tous leurs remerciements. Cette chose faite, la route pouvait reprendre.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant