Chapitre 61 : un plaidoyer pour la paix

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 — C'est bon, vous avez fini, on peut discuter maintenant ? Questionna Syara avec un air lassé en regardant les mages essoufflés.

— Vous êtes totalement folle, grinça l'un d'eux entre ses dents.

— Il me semblait que le conseil de Léfarène était constitué de grands mages. C'est la vieillesse qui fait que vous êtes à bout de souffle comme ça après quelques sorts ? En attendant, vous remarquerez que les personnes les plus civilisées et qui ont patiemment attendu que vous finissiez votre petite crise de nerf sont justement ceux que vous tentiez de tuer.

— Je vous promets que je ne vous veux absolument aucun mal, ajouta Sae. Tout ce que je souhaite, c'est être écoutée.

— Allez, vous pouvez bien leur accorder ça ! Ajouta le beast bovin. S'ils voulaient s'en prendre à nous, nous serions déjà tous morts. Cela ne coûte rien d'écouter ce qu'ils ont à dire.

— Discuter avec une calamité qui déversera bientôt ses congénères sur nos villes ? Et puis quoi encore ?

— à vrai dire, pour le moment elle a surtout ordonné à toutes les harpies de ne plus attaquer les autres races et de ne se montrer agressives que si leur vie en dépendait, contredit Rael.

— Écoutons-les, intervint un homme qui s'était réfugié derrière les mages.

Petit à petit, les dirigeants des villes principales du pays reprirent leur place à table. Bien que réticents à l'idée d'écouter Sae, les mages finirent par ranger leurs instruments, ce qui permit à Phi d'abaisser sa barrière. La jeune fée restait tout de même sur le qui-vive pour la dresser à nouveau au cas où il ne s'agirait que d'une ruse.

— Bien, reprenons où nous nous en étions arrêté. Sae, si tu veux bien te présenter.

— Mon nom est Sae et, comme vous pouvez le voir à mon plumage, je suis l'impératrice des harpies, commença-t-elle. Je fais partie du clan des serres noires qui peuple les montagnes que vous appelez la chaîne d'Hara. C'est là-bas que j'ai rencontré Syara et ses amis qui ont aidé ma tribu en nous débarrassant de notre cheffe tyrannique. En voyant ces personnes nous venir en aide, j'ai compris que beaucoup de choses que je pensais savoir sur les autres races étaient fausses.

— Des préjugés hein ? Et quels sont-ils ?

— Il y en a beaucoup, mais le plus important est sans doute que toute personne qui s'aventure sur notre territoire ne veut que notre mal. C'est un point que nous avons en commun. Chacun voit l'autre comme un ennemi naturel. Je ne vous en veux absolument pas pour ce que vous avez tenté de faire. C'est une réaction tout à fait normale sachant ce que les impératrices précédentes ont pu commettre. J'espère cependant pouvoir vous convaincre ce soir que je ne suis pas comme elles et que ce que j'ai à vous proposer pourrait profiter à tout le monde.

— La paix entre nous et les harpies, commenta le membre du conseil acerbe avec Syara.

— C'est en effet l'un des points qui me tiennent vraiment à cœur, mais cela prendra du temps et de nombreuses étapes restent à parcourir pour arriver à ce résultat qui n'est lui-même pas l'objectif final. En m'apercevant que je devenais impératrice, j'ai envoyé une requête pour que Syara et ses amis me viennent en aide pour vous rencontrer et parler de ça.

— Pour ceux qui se posaient peut-être la question, non, nous ne sommes pas sous son contrôle, appuya la demie-dragonne. Nous avons délibérément choisi d'accepter cette requête officielle, je tiens à souligner ce point, à la fois pour protéger Sae et pour l'aider dans sa quête d'idéal de paix.

Alors que son auditoire reprenait peu à peu son calme, Sae se mit d'abord à exposer ce qui avait été fait. Elle évoqua sa profonde envie de laisser à ses congénères leur libre-arbitre, même si elle leur avait ordonné, comme elle l'avait déjà dit, de ne plus attaquer les autres races et d'arrêter toute guerre entre elles.

Sur ce point, ses actions n'étaient pas passées inaperçues. Ça n'était pas flagrant dans ce pays où les harpies restaient dans des endroits peu peuplées et difficilement accessibles tels que la chaîne d'Hara et ses alentours, mais dans d'autres où les harpies se faisaient plus agressives, un changement dans leur comportement avait été relevé.

La jeune harpie aborda ensuite sa véritable vision du monde idéal. Non pas une simple paix entre les harpies et les autres races où chacun vivrait de son côté, mais un monde où ses congénères pourraient se rendre dans les villes comme pouvait le faire n'importe qui, qu'elles soient intégrées et traitées comme des personnes et non comme des monstres à abattre.

Un maire jusque-là resté silencieux ne cacha pas sa crainte qu'une telle chose arrive. Les harpies vivaient entre elles et avaient une culture bien différente de la leur. Cette question avait aussi été prévue et Rael se chargea de leur rappeler que les harpies pouvaient être comparées aux élémmentals. Eux aussi avaient une culture très différente et eux aussi vivaient principalement entre eux dans leur forêt. Certaines étaient même totalement interdites aux autres races. Cela ne les empêchait pas de pouvoir se déplacer comme bon leur semblait sans craindre d'être pris pour des monstres.

Sachant que ça n'était pas que par de simples discours qu'elle allait pouvoir convaincre les dirigeants, mais aussi tout le peuple qu'ils dirigeaient, Sae parla longuement de ce qu'ils avaient à y gagner et la manière dont les harpies pourraient être intégrées, non pas de force, mais naturellement avec le temps et le commerce.

Les ressources abondantes des montagnes et des forêts harpies étaient connues et même source d'expéditions. Les obtenir grâce au commerce plutôt que par le sang intéressa bon nombre de personnes. Certains furent d'autant plus attentifs lorsque l'impératrice détacha l'un de ses bracelets et leur fit passer pour leur montrer les pierres précieuses dessus.

Pour convaincre les autres races, les harpies devaient faire le premier pas et ouvrir leur territoire sans pour autant qu'elles ne soient submergées et que la mise en place de l'extraction et du commerce ne soit en réalité une invasion déguisée.

À mesure qu'elle abordait les points qu'ils avaient soigneusement réfléchis pendant des mois, Syara voyait que la plupart des invités de William se prenaient au jeu. Ils n'en étaient pas encore à décréter que les harpies étaient les bienvenues chez eux, mais la peur de se trouver en présence d'une impératrice avait disparu et les perspectives de voir de nouvelles routes commerciales ne les laissaient pas indifférents. Même les plus bornés comme certains membres du conseil de Léfarène s'étaient détendus. Ils restaient durs, mais pas plus que lorsque Syara les avaient rencontrés pour appuyer la demande d'Alan de créer un orphelinat dans leur ville.

Mise à part pour quelques interventions, le rôle de la violoniste et de ses compagnons s'arrêtait là, ce qui était pour le mieux. La soirée allait être longue, mais elle avait hâte d'en connaître le dénouement.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant