Chapitre 23 : déroulé de la cérémonie

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 — Pour commencer, la cérémonie ne demande en aucun cas l'intervention d'un prêtre. Tout est réalisé par la personne qui cherche à obtenir son instrument de l'âme. Eux ne doivent certainement servir qu'à donner les instructions comme je m'apprête à le faire.

— Voilà qui est rassurant, on avait plus de prêtre en stock depuis plusieurs semaines, rit un satyre dans les tribunes.

— Il lui est arrivé quoi ? Demanda la personne à côté de lui.

— Je crois qu'il y a eu un crack de trop pendant sa séance de torture pour nous révéler la manière d'obtenir un instrument de l'âme.

— C'est toi qui ne vas pas tarder à entendre le crack de trop si tu ne la ferme pas tout de suite, lança le chef du conseil en lui jetant un regard noir.

Une menace de décapitation, une autre de torture à mort, cet elfe noir n'était-il pas lui aussi un peu sanguinaire sur les bords ? Il était visiblement modéré dans son idéologie, mais ses coups de sang avaient quelque chose d'inquiétant. D'un autre côté, le satyre qui venait d'être recadré ne semblait pas plus s'inquiéter que ça de son sort.

— Continue je te prie.

— Toute la cérémonie doit se faire au calme. Trouvez l'endroit le plus silencieux possible pour la réaliser et, s'il y a des personnes qui y assistent en tant que spectateurs, dites-leur de ne pas parler, de ne pas murmurer et d'éviter de bouger. Lorsque l'on essaie de créer un instrument de l'âme, nos sens sont amplifiés et c'est une gène plutôt qu'un avantage à ce moment-là.

— Amplifié à quel point ?

— Au point que j'entendais la respiration de toutes les personnes présentes dans la pièce ainsi que les frottements de tissu des habits de ma mère à chacun de ses mouvements. Trouvez aussi un endroit abrité du vent et sans odeur.

— Tu insinues que nous puons ? Que notre ville empeste ? Se braqua une personne de l'assemblée qui n'était pas encore intervenue jusque-là.

— Je n'insinue rien du tout, je me base sur mon expérience. Encore une fois, je dois ces précisions à ma mère. Mon père et les prêtres étant habitués à assister aux cérémonies de ce genre, il ne se dégageait d'eux aucune odeur. Ma mère, par contre, n'avait pas pu s'empêcher de se mettre un tout petit peu de parfum. J'avais alors l'impression qu'on m'en aspergeait continuellement le visage. C'est donc primordial. Trouvez l'endroit le plus neutre possible pour vos sens et réduisez un maximum le nombre de spectateurs. La cérémonie demande beaucoup de concentration et si celle-ci se brise au pire moment, alors vous pouvez en mourir. Et ce pire moment est justement celui où vos sens sont les plus aiguisés. Vous avez une conscience parfaite de ce qui vous entoure et vous devez y faire totalement abstraction.

— Elle parle bien la gamine, entendit-elle murmurer dans la tribune. Elle a quoi, dix ans ?

— La famille royale n'a pas besoin de se soucier de sa survie, c'est normal qu'elle ait reçu une éducation qui lui permette de s'exprimer comme une adulte, supposa la personne à côté de lui.

— C'est assez paradoxal, commenta le chef en ignorant totalement ce qui se disait à côté de lui. Donc, nous trouvons l'endroit idéal. Ensuite ?

— Vous trouvez une position que vous pourrez maintenir aisément pour bouger le moins possible. J'ai effectué ma cérémonie assise par terre, mais j'ai demandé aux prêtres et certains le font allongé. Ensuite, vous fermez les yeux et la cérémonie commence réellement. Comme je l'ai dit, la concentration est quelque chose de primordial. Vous ne devez pas détourner un seul instant votre attention.

— Mais la détourner de quoi ?

— Votre âme.

En entendant cela, de nombreux murmures s'élevèrent de l'assemblée. Elle les comprenait parfaitement. Elle aussi avait trouvé cela totalement incompréhensible lorsque son père lui avait expliqué de la même manière la façon de faire. Il avait cependant su trouver les bons mots pour décrire le procédé et elle se rappelait parfaitement de ses paroles.

— Certains pensent que c'est effectivement votre âme que vous allez voir, d'autres que ça n'est qu'une vue de l'esprit, une fausse représentation qui permet de se focaliser dessus et de se concentrer pour faire apparaître l'instrument.

— Et à quoi ça ressemble une âme ?

— Une boule de lumière blanche au milieu de votre corps. Attendez que cette représentation soit parfaitement nette dans votre esprit. De l'obscurité partout, et une boule de lumière, c'est tout.

— D'accord, et ensuite ?

— Imaginez que la boule se déforme pour en former une plus petite à partir d'elle. L'image que l'on m'a donnée pour me représenter ça est celle d'une goutte d'eau accrochée à l'envers. Elle va s'étirer jusqu'à ce qu'une partie reste et que l'autre tombe. Ça, c'est pour la forme que prend l'âme quand elle se déforme, mais le processus doit être plus lent et la rupture entre les deux entités ne doit pas être brutale.

— J'ai du mal à suivre là, avoua le chef.

— Si vous pouvez me fournir de quoi dessiner, je vous montrerai chaque étape importante. Ce sera plus simple que de les décrire à l'oral. Quoi qu'il en soit, la partie qui se sépare doit être plus petite que l'âme, mais pas trop non plus.

— C'est à dire ?

— Si mon poing est l'âme, la partie séparée fait la taille de la première phalange de mon pouce, répondit-elle en montrant ce que cela représentait avec ses mains. À ce moment-là, la partie la plus dangereuse est passée. Si vous avez réussi à faire cette séparation correctement, alors votre vie n'est plus menacée. La phase qui va suivre est la plus déstabilisante et, à ce niveau là, perdre sa concentration c'est perdre son instrument de l'âme à tout jamais.

— Sais-tu pourquoi ?

— Parce que cette partie de votre âme s'est définitivement détachée. Si le processus ne va pas jusqu'au bout pour donner un instrument, elle sera définitivement perdue. De ce qu'on m'a expliqué, la partie la plus dangereuse est celle de la séparation. Si elle est mal faite, on peut en mourir. Jamais personne ayant échoué après avoir réussi la séparation et retenté l'expérience n'a survécu.

— Donc, si je comprends bien, tant que la boule de lumière reste entière, on peut recommencer, mais après, c'est trop tard.

— Vous vous sentirez épuisés et il faudra attendre quelques mois, mais oui, il est possible de retenter si l'on a échoué aussi tôt dans le processus. Enfin, la phase finale. Comme je l'ai dit, c'est la phase la plus déstabilisante. Vous devez vous concentrer sur la partie de l'âme qui s'est séparée. Pour cela, imaginez que vous vous en approchez jusqu'à ce que la boule la plus grosse disparaisse de votre champ de vision. Au bout d'un certain temps, la boule va commencer à changer de forme. N'essayez surtout pas de contrôler ce processus, c'est impossible et cela va vous faire perdre votre concentration. Après plusieurs tentatives informes, la partie de l'âme va commencer à prendre l'apparence d'un véritable objet, un instrument. Lorsque la forme sera parfaitement définie, la lumière va s'estomper et les véritables couleurs de votre instrument vont se découvrir peu à peu. À cet instant, ouvrez les yeux et vous vous rendrez compte que vous tenez exactement le même instrument entre vos mains. Des questions ?

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant